jeudi 31 octobre 2013

Petit scarabée

Bigre ! J'ai mis près de trois ans à rattraper Nowhere boy, manqué au cinéma et vu enfin sur une des chaînes de mon opérateur Internet. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'entre vous aient eu écho de ce film anglais, ni d'ailleurs l'histoire qu'il raconte. Il y est question pourtant d'un artiste connu dans le monde entier: John Lennon himself. L'intérêt du long-métrage réside avant tout dans la période choisie pour parler de l'ex-leader des Beatles: nous nous retrouvons en face d'adolescents, vers 1957, avant même, donc, la formation du groupe.

Ce voyage dans le temps m'a offert l'opportunité d'en apprendre beaucoup sur la jeunesse du rockeur. J'ignorais qu'il avait été élevé par sa tante, son père ayant disparu en Nouvelle-Zélande et sa mère le délaissant presque totalement. Presque parce que, et c'est le sujet même du film, le jeune John cherchera à mieux connaître la femme qui lui a donné la vie. Il découvrira une personnalité fragile, capable d'aimer, certes, mais dépassée par les événements et comme coincée dans une nouvelle vie construite sans lui. C'est cette même femme qui lui apprendra à jouer du banjo et encouragera dès lors sa passion pour les arts en général et la musique en particulier. Nowhere boy rappelle ainsi qu'avant d'être le dieu Lennon, le gamin de Liverpool était, comme tant d'autres Anglais de son âge, un fan d'Elvis Presley. Et même si le long-métrage s'emballe bien sûr au son des standards du rock, il est plutôt un récit intime qu'une grande fresque musicale.

C'est bien simple: on n'y entend même pas les Beatles ! Le scénario s'arrête à l'aube d'un voyage en Allemagne, là où trois des garçons, pleins d'avenir sans doute, mais pas encore tout à fait dans le vent, John Lennon, Paul McCartney et George Harrison, firent connaissance avec un quatrième, Ringo Starr, prélude à la naissance des Fab Four. Difficile alors de ne pas se dire qu'ils étaient vraiment bien jeunes encore, et, du même coup, de ne pas être sensible à la découverte tardive des tendres moments partagés entre le leader et sa maman ! Nowhere boy compose en fait un portrait sans fard d'une star beaucoup plus tourmentée que ce que j'avais pu imaginer. Je note qu'il le fait honnêtement, sans cacher quelques-uns des aspects obscurs de cette personnalité complexe: l'homme encore en devenir fait parfois preuve d'une détestable arrogance. L'empathie domine toutefois dans ce constat, magnifié par une très belle reconstitution.

Nowhere boy
Film anglais de Sam Taylor-Wood (2009)

Ne vous laissez pas abuser par le prénom: c'est bel et bien une femme qui a tenu la caméra de ce joli film. D'abord et avant tout artiste plasticienne, Sam Taylor-Wood faisait ici ses débuts de cinéaste. Bravo, Madame ! De votre côté, chers lecteurs, si vous souhaitez vous plonger dans un autre film rock, je vous laisserais alors choisir entre l'assez drôle Killing Bono et le très noir Control. Le premier évoque les débuts de U2, le second le parcours de Joy Division. À vous de voir sur quel ton s'exprimeront vos préférences ciné-musicales...

----------
Bon, cela dit, si vous voulez rester avec les Beatles...
Je vous conseille deux autres chroniques consacrées à Nowhere boy sur les blogs de mes "confrères". Pascale ("Sur la route du cinéma") cite judicieusement les trois acteurs principaux: Aaron Johnson, Anne-Marie Duff et Kristin Scott-Thomas. Phil Siné, lui, fait de même et parle même d'une distribution épatante (cf. sa "Cinémathèque").

mardi 29 octobre 2013

Un homme, son cheval

Il y a assurément plusieurs façons de considérer Cheval de guerre. Sorti sur les écrans fin 2011, ce long-métrage de Steven Spielberg prend la forme d'une fable porteuse d'espoir. Rien n'est très crédible dans cette histoire d'un jeune homme et son poulain que la barbarie du premier conflit mondial vient séparer. Les uns lui reprocheront inévitablement son aspect sirupeux, sa façon d'envoyer les violons comme pour surligner une émotion presque trop belle pour être vraie. Un peu indulgents sans doute, les autres se laisseront embarquer.

Pas dupe pourtant des grosses ficelles de Steven Spielberg, je veux demeurer fidèle à la seconde catégorie. D'accord, Cheval de guerre m'est apparu à plusieurs reprises noyé sous la guimauve. Il a énormément de défauts et avant tout un côté si léché qu'il tombe souvent dans ce qui ressemble à une caricature. C'est une oeuvre humaniste, mais qui fait porter à un animal des sentiments exagérément humains. La démarche est pudique, mais maladroite. Avec les notes de John Williams qui s'emballent de concert, ça larmoie jusqu'à plus soif. La logique "spielbergienne" est poussée au point que, malgré la dureté du conflit, il n'y a plus de méchant ou d'ennemi. Il n'y a que du chagrin et de l'injustice, affres que le scénario achèvera évidemment de consoler et réparer. En deux heures et quart parfaitement calibrées, on arrivera à la fin prévisible... dès le début.

Et pourtant, à mes yeux, ce cinéma presque alangui conserve en lui quelque chose de magique. Je ne parviens pas à me moquer complètement de la manière dont Steven Spielberg, à 65 ans, sait encore placer ses histoires à la hauteur du regard d'un enfant. Il y a là une manière de filmer à laquelle je me trouve sensible, un artisanat cinématographique qui me plaît - même s'il dispose très certainement de moyens financiers que beaucoup lui envieraient. Cheval de guerre emporte le morceau, au fond. Je regrette que tout le monde y parle anglais, Allemands et Français compris, mais ça me paraît un détail comparé à la qualité plastique de la reconstitution. J'éprouve également du respect pour ce réalisateur éclectique capable d'amener un peu de lumière sur un conflit ancien et d'en démontrer l'absurdité en une allégorie pacifique universelle. Je veux bien pleurer un peu...

Cheval de guerre
Film américain de Steven Spielberg (2011)
Et de dix ! Mon évocation des oeuvres du maître américain s'enrichit d'une dixième chronique. Il me reste davantage de films à découvrir ou à revoir pour prétendre le connaître parfaitement. Je m'en réjouis d'avance. Dans la manière dont il aborde la guerre de 14, il est clair que l'opus présenté aujourd'hui est bien plus proche de Joyeux Noël que de Capitaine Conan. Maintenant, si vous voulez connaître le fond de ma pensée, le film le plus juste sur ce sinistre épisode de l'histoire du monde demeure - j'en juge en cinéphile - La vie et rien d'autre.

----------
Pour en revenir au travail de Steven Spielberg...

J'illustre la diversité des avis sur Cheval de guerre par deux avis contradictoires. Celui de Pascale ("Sur la route du cinéma") raconte toute l'histoire, admet qu'elle est bien mise en images, mais conclut négativement sur son intérêt. Phil Siné, lui, défend plutôt le film dans sa Cinémathèque. Après, c'est à vous de vous faire votre idée !

dimanche 27 octobre 2013

Cohabitation forcée

Il n'y a pas toujours une méthode dans la façon dont je passe d'un film à l'autre. Le fait est qu'aujourd'hui dimanche, après un drame venu d'Afghanistan, j'enchaîne sans délai avec une bonne grosse comédie franchouillarde. Deux jours entre les deux chroniques, deux jours aussi entre ma découverte des deux longs-métrages. Le grand écart stylistique m'impressionne ! Cela dit, j'assume: même si c'est un ami à moi qui a choisi d'aller voir Eyjafjallajökull, j'avais bien l'intention déjà de lui donner sa chance. Bon, OK, ce n'était pas l'idée du siècle...

La cohabitation forcée ? C'est celle de Valérie et Alain, couple séparé avec fille de 23 ans. Au début du film, ils volent dans le même avion. Leur destination ? La Grèce, pour assister au mariage "coup de tête" de leur progéniture. Et Eyjafjallajökull ? C'est le nom du volcan islandais qui va se réveiller et les ramener au sol ! Mais si, enfin ! Vous vous souvenez forcément de cet épisode de l'actualité 2010 ! Bref... je vous fais grâce de tous les détails sur la géographie nordique et j'en reste au film: une fois privés d'avion, Valérie et Alain sont contraints de trouver ensemble une solution de repli. Ce sera d'abord une voiture de location, qu'ils se disputeront très âprement avant de faire un bout de route en mode duo, itinéraire périlleux évidemment, vu que les époux d'hier se détestent désormais. J'espérais justement que leur foire d'empoigne fasse exploser le film dans tous les sens. Raté ! Le scénario est en réalité sagement balisé.

Avec Dany Boon dans le rôle principal, c'est vrai: je m'y attendais quand même un peu. C'est en fait sur Valérie Bonneton que reposait l'essentiel de mes espoirs de rire. L'incontournable bande annonce m'avait laissé croire à l'efficacité de son jeu dans le registre hystérique. Mouais. À dire vrai, la miss joue bien, mais elle joue aussi un peu toujours la même chose. Quant aux rares personnages secondaires, ils sont soit insignifiants, soit ridicules - à l'image notamment d'un Denis Ménochet presque consternant en criminel repenti devenu prédicateur de camping-car. Tout ça manque cruellement d'enthousiasme, de rythme et de vraies bonnes blagues. Reste le plaisir d'une longue virée en Europe sur fond de musique rock: ça ne m'a pas suffi, sincèrement. J'ai très vite eu l'impression de tourner en rond et, pire, autour des mêmes clichés incessants. Finalement, la meilleure des idées d'Eyjafjallajökull, c'est son titre...

Eyjafjallajökull
Film français d'Alexandre Coffre (2013)

Ce n'est pas avec ce film que Dany Boon va redresser sa popularité vacillante. La "star" peut se consoler, puisqu'il paraît qu'elle a touché 3,5 millions d'euros pour ce rôle, soit 15% du budget du film. Je sens que ça ne va pas faire plaisir à tout le monde ! J'ai mis deux étoiles et demie parce qu'objectivement, je n'attendais guère autre chose. C'est bien payé aussi. Plus original à l'époque ou plus sincère peut-être, Bienvenue chez les Ch'tis m'avait de fait paru plus drôle.

vendredi 25 octobre 2013

Négation de la liberté

Le cinéma est-il un instrument de liberté ? Sans doute. Osama fait partie de ces films qui me le laissent croire. Parti d'Afghanistan, il est parvenu jusqu'à nous par l'intermédiaire du Festival de Cannes. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2003, il a ensuite obtenu une mention à la Caméra d'or. Il a reçu d'autres distinctions également et pourtant, avant de le voir au programme d'une chaîne de mon fournisseur d'accès à Internet, je n'en avais jamais entendu parler. Sa nationalité a toutefois suffi à ce que je m'intéresse à lui.

Osama n'est pas le premier film afghan. C'est le premier que je vois et, apparemment, le premier réalisé après le départ des Talibans. Tourné à Kaboul, il montre, dans une démarche d'abord assez proche du documentaire, un pays courbé sous la férule des fondamentalistes musulmans. Il se tourne vers les femmes, leurs premières victimes. Précision que je crois importante: le film ne présente pas la religion comme la source de tous les maux. Ce qui nous est exposé repose d'abord sur la vilenie d'hommes ordinaires, petits potentats locaux jamais aussi sûrs de leur pouvoir que de celui de leur Kalachnikov. L'intérêt du long-métrage - sa force, dirais-je même - consiste à faire d'une jeune fille le symbole d'une population martyre. Osama devient son prénom quand sa mère la déguise en garçon pour qu'elle puisse sortir et travailler. Leurs époux morts à la guerre, les autres femmes de la famille n'ont plus rien: ni d'argent, ni même le droit d'en gagner.

Je n'ai pas envie de vous raconter la suite, mais j'espère vraiment que vous aurez l'occasion de la découvrir. Les exactions talibanes étaient rangées dans un recoin de ma mémoire, presque oubliées finalement. Les revoir sous le masque de la fiction m'a bousculé. Évidemment, la liberté du peuple afghan était alors si conditionnelle qu'elle n'existait pas. Pas sûr que ce soit tellement mieux aujourd'hui. C'est là que je reviens à mon idée d'un cinéma, instrument de liberté. Qu'un film comme Osama puisse simplement exister a quelque chose de rassurant. Le plus surprenant est que le réalisateur fasse preuve d'une grande justesse technique. Né en 1962, Siddiq Barmak a étudié son art dans une école de cinéma soviétique, dont il est sorti diplômé à 25 ans. Je suis très favorablement impressionné par la prestation de ses acteurs, tous amateurs, et en particulier bien entendu par celle de l'enfant, Marina Golbahari. Il semble qu'elle poursuive sa carrière !

Osama
Film afghan de Siddiq Barmak (2003)

Le réalisme de cette oeuvre peut faire mal ! Je crois devoir dire toutefois que la pudeur avec laquelle ces événements sont contés permet aussi d'atténuer le choc. Le film reste sombre, son auteur soucieux de montrer les choses comme elles sont, écartant alors l'idée d'un happy end hollywoodien. Ceux d'entre vous que le drame rebute se tourneront plutôt vers Wadjda, long-métrage saoudien découvert cette année. Certes différentes, les deux histoires se ressemblent...

----------
Pour les autres qui aimeraient d'autres avis...

Je recommande la lecture des chroniques de "L'oeil sur l'écran".

mercredi 23 octobre 2013

Reconstruction ?

Je ne sais plus comment j'ai appris que Woody Allen tournait un film avec Cate Blanchett. Quand Blue Jasmine a commencé à faire parler de lui, j'ai lu quelques articles à son sujet, mais j'ai surtout attendu. J'avais cette émotion que suscitent les projets cinématographiques jugés les plus enthousiasmants, étant donc partagé entre l'impatience de le découvrir et l'inquiétude d'en être déçu, après coup. C'est aussi pour ce frisson, plus intense en salles je crois, que je vais au cinéma.

Alors oui, quand la seule véritable actrice que j'admire véritablement et presque inconditionnellement obtient un rôle chez un réalisateur dont j'ai appris à aimer le style si particulier, j'essaye d'esquiver chaque détail - trop - révélateur et je suis fidèle au rendez-vous. Deux jours ! J'ai tenu deux jours après sa sortie avant d'aller voir Blue Jasmine. Je trouve ça bien qu'il n'apparaisse sur le blog qu'aujourd'hui, presque un mois plus tard. Certains d'entre vous l'auront sans doute vu, d'autres pas: s'il n'est pas trop tard, courez-y ! C'est un beau film avec, surtout, une magnifique comédienne. Il peut m'arriver de manquer d'objectivité, mais là, j'insiste... et j'assume !

Malgré son incroyable prestance, la Jasmine du titre est une femme brisée. Après lui avoir permis de mener grand train dans un hôtel particulier de New York, son mari s'est suicidé... en prison, condamné qu'il était pour escroquerie - le film le montre comme un Madoff franchement convaincant et j'en profite pour saluer la prestation d'Alec Baldwin, on ne peut plus crédible lui aussi. Bref... insouciante hier, ruinée aujourd'hui, Blue Jasmine n'a d'autre solution de repli que d'aller vivre chez Ginger, sa demi-soeur, à San Francisco. Problème: cette femme a une vie bien différente, celle d'une caissière de supermarché. Du temps de sa superbe, Jasmine la méprisait...

Ce cynisme plane sur le scénario et donne matière à des répliques particulièrement grinçantes. Blue Jasmine sait faire rire, parfois. Woody Allen se retrouve à l'évidence derrière les névroses obsessionnelles de son héroïne déchue, bien plus franche et assumée après avoir avalé sa dose quotidienne de Xanax. Le long-métrage n'est dès lors pas qu'une bonne partie de rigolade. Il est bien certain que le réalisateur a de l'empathie pour son personnage principal. Soucieuse de se reconstruire, Jasmine se coltine un nombre impressionnant de crétins et ça ne lui facilite pas la vie. Le scénario ne lui donne pas toujours le beau rôle, toutefois. J'en dis déjà trop...

Allez, juste un mot encore pour saluer l'ensemble du casting. Inutile de revenir sur la performance de Cate Blanchett, qui confirme encore tout le bien que je pense d'elle. J'ai aussi parlé d'Alec Baldwin. J'ajoute simplement que, d'après moi, l'autre très beau personnage est celui de Ginger - et Sally Hawkins est impeccable dans les habits bon marché de cette demi-soeur frustre et mal-aimée. Blue Jasmine est-il un film de femmes ? Peut-être bien. Le meilleur Woody Allen depuis longtemps ? Possible aussi. Intelligemment monté et traversé par un jazz inspiré, c'est un long-métrage puissant, plutôt rude parfois, mais dépourvu de manichéisme. Un film très humain, en fait.

Blue Jasmine
Film américain de Woody Allen (2013)

D'aucuns vous diront que ce nouvel opus prouve que le New-yorkais n'est jamais aussi inspiré qu'au moment de tourner dans son pays. Personnellement, ces considérations géographiques me laissent froid, d'autant que le film me paraît pour beaucoup reposer sur les épaules d'une comédienne australienne et, au second plan, celles d'une actrice britannique. Je redis simplement que ce Woody-là est un bon cru. Dans mon panthéon personnel, je le place entre Alice et Manhattan.

----------
Et maintenant, si vous souhaitez en savoir plus...
Vous pouvez lire l'avis de Pascale ("Sur la route du cinéma"). Elle est plus bavarde sur le déroulé du scénario, mais nous sommes d'accord. L'opinion de Dasola ? Elle est positive aussi: à lire sur son propre blog. Liv, elle, est moins emballée: elle en parle sur "Liv/raison de films". Je termine avec un petit clin d'oeil à Phil Siné, auteur d'un site éclectique que je lis parfois et qu'il désigne comme sa Cinémathèque.

lundi 21 octobre 2013

Un pur psychopathe

J'attaque la semaine avec du costaud. Un petit mot pour mes lecteurs puristes, d'abord: si j'ai cru honnête d'attribuer la nationalité américaine à The killer inside me, le réalisateur, lui, est anglais. Quant à l'équipe de production, elle a également bénéficié de fonds canadiens et suédois. Était-il trop ardu de faire le film dans un pays donné ? Je n'en sais rien, mais je me dis que c'est tout à fait possible. Au-delà du scénario, j'imagine que la façon dont le long-métrage traite de la violence peut avoir rebuté quelques mécènes potentiels.

The killer inside me raconte l'histoire d'un jeune flic, Lou Ford. Années 50, Texas. Notre homme a pour mission de s'occuper du cas d'une prostituée un peu trop tapageuse. Or, surprise, de représentant de la loi pétri de bonnes manières, il devient vite un client ordinaire. Enfin non, pas tout à fait ordinaire: la relation qu'il développe ressemble à de l'amour, un amour particulier, d'ailleurs, puisque basé sur des rapports sadomasochistes. Et hop ! Premier rebondissement majeur du long-métrage: le petit flic découvre que la gagneuse fait aussi commerce de son corps avec le fils d'un notable. Plus important encore, ledit notable pourrait bien être responsable d'un accident mortel pour le frère du policier. Vous suivez toujours ? L'intrigue part là-dessus et le film se fait récit d'une vengeance. Cette dernière exécutée, il s'agira ensuite de suivre un à un les pas du policier ripou. L'occasion d'approcher de près un personnage de pur psychopathe...

Je vous préviens: n'en déplaise à Jessica Alba, ce que vous verrez ici n'est pas forcément agréable à regarder. Soyons clair: à deux reprises au moins, ce que la caméra ose montrer frise l'insoutenable. Il a pu être reproché à Michael Winterbottom une certaine complaisance. Moi qui me suis avéré plutôt "solide" pour endurer ces images, je dois dire toutefois que j'ai du mal à comprendre comment elles ont pu sortir avec juste une interdiction aux spectateurs de moins de 12 ans. En dehors même de cet aspect des choses, The killer inside me conserve d'après moi quelques défauts et notamment l'usage répété de flashbacks pour éclairer la personnalité de son personnage principal. Dommage, car la sobriété de Casey Affleck suffit largement à donner le frisson ! Le frère de Ben est à coup sûr l'atout numéro 1 de ce film noir et rouge sang. Pour la bonne bouche, on savourera aussi, en costumes, accessoires et décors, une belle reconstitution.

The killer inside me
Film américain - etc... - de Michael Winterbottom (2010)

Pour une fois, je trouve que le titre en anglais "claque" et permet d'anticiper sur un personnage aussi glacial que Mister Hyde. Il me faut vous dire que vous n'aurez guère de Docteur Jekyll pour compenser. Ce n'est pas tous les jours qu'une oeuvre cinématographique s'appuie sur un "héros" aussi négatif. Bien que largement moins brillant formellement parlant, le film a pu me faire penser à Psychose. Notez pour finir que sa conclusion m'a paru beaucoup plus sombre encore...

----------
Le film fait débat. D'autres pages l'ont donc évoqué...

- "Sur la route du cinéma" - avec mention spéciale à Casey Affleck.
- "Mon cinéma, jour après jour" - qui lui attribue la note de 7/10.
- "L'oeil sur l'écran" - le rédacteur dit le trouver "très prenant".
- "L'impossible blog ciné" - qui en parle sans emballement.

Enfin, pour être complet, vous apprendrez que...
1) le film adapte un roman éponyme de Jim Thomson, édité en 1952.
2) Ordure de flic (Burt Kennedy / 1976) est une autre version ciné.

samedi 19 octobre 2013

Un Américain à Paris

Un jour, je vous parlerai des plus vieux films de Roman Polanski. Personnalité véritablement controversée, le réalisateur a déjà 55 ans et douze longs-métrages derrière lui quand il réalise Frantic en 1988. Pour jouer le rôle principal de ce thriller, le cinéaste franco-polonais fait appel à une star américaine, Harrison Ford, qui sera l'année suivante, je le dis pour situer, Indiana Jones pour la troisième fois. Ironiquement, le comédien est ici un peu l'antithèse de l'aventurier archéologue, simple chirurgien venu à Paris pour un congrès médical.

L'intrigue du film démarre quand, pas encore remis du décalage horaire, le docteur Walker sort de la salle de bains de sa chambre d'hôtel et constate que sa femme... a disparu ! Montée d'angoisse d'autant plus vive qu'aucun signe avant-coureur ne laissait envisager une telle péripétie et que le médecin se retrouve livré à lui-même dans une ville qu'il ne connaît que comme touriste et un pays étranger dont il ne parle pas la langue. Autant dire que cet Américain à Paris s'offre une capitale bien éloignée de son image de carte postale ! C'est précisément  là que Frantic fait mal: il s'inscrit efficacement sur le territoire qu'il parcourt, mais en donne une vision assez froide et détachée de tout aspect romantique. On pourrait du coup reprocher à Roman Polanski de forcer un peu le trait. Je ne le ferai pas. J'ai vu plusieurs fois le film et, bien qu'il ait pris quelques rides, je garde toutefois en mémoire la première. Elle m'avait franchement marqué.

Alors, à quoi attribuer ce souvenir persistant ? Sans doute en partie au fait qu'ici, il n'est pas vraiment question de happy end. Je préfère garder le silence sur les tenants et aboutissants du scénario, oeuvre commune du duo Roman Polanski / Gérard Brach. J'indique simplement qu'à peu près à la moitié du film, Harrison Ford rencontre une Emmanuelle Seigner alors débutante et que ce personnage féminin amène encore un peu plus de noirceur à l'histoire. Frantic n'exprime rien de franchement nouveau en soi. Dénué de tout effet spectaculaire, c'est probablement avant tout, comme d'autres oeuvres du même cinéaste, un film d'ambiance. Je l'aime en fait pour ça. Malgré le temps qui passe, je suis toujours saisi par les sonorités synthétiques du Libertango chanté par Grace Jones dans la bande originale. J'ai l'impression qu'elles me parlent aussi d'une époque fuyante, non sans nostalgie. Strange... I've seen that face before...

Frantic
Film franco-américain de Roman Polanski (1988)

En attendant, donc, que je découvre les plus anciens longs-métrages du cinéaste, je vous recommande celui-là. Parfois jugé inconstant dans son travail, Roman Polanski avait réalisé deux ans auparavant un Pirates beaucoup moins sobre. L'atmosphère incertaine de Frantic m'a fait songer à celle d'un film plus récent, La neuvième porte. Certains diront que ceux-là ne sont pas les meilleurs de leur auteur. Admettons, mais, très sincèrement, ils me plaisent tels qu'ils sont.  

jeudi 17 octobre 2013

Un bébé à moustache

Si le titre de ma chronique vous semble incongru, il me parait vraisemblable que vous n'ayez jamais vu Les valeurs de la famille Addams. Les Addams ? D'abord héros d'un soap diffusé à la télé américaine dans les années 60, lui-même inspiré des personnages dessinés par un dénommé Charles Addams au cours des années 30 finissantes, ils habitent un manoir gothique et font preuve d'excentricité vestimentaire, tout en étant entourés de gens "ordinaires". Quand le film commence, Morticia, la mère, annonce calmement au père, Gomez, qu'elle va avoir un bébé... tout de suite !

Le moustachu, c'est lui, digne héritier de son paternel sur ce point. L'ennui, pour ce petit... Puberté, c'est que, non content d'être affublé d'un horrible prénom, il doit subir la jalousie de ses aînés, le duo Mercredi-Pugsley. Je vous passe les détails: je pense que vous aurez compris que Les valeurs de la famille Addams sont un peu décalées. Le film, lui, l'est tout autant et présente l'avantage d'annoncer immédiatement la couleur. Et donc, c'est une affaire de goût. Personnellement, j'aime beaucoup cette noirceur pour faire rire. Maintenant, objectivement, si vous ne mordez guère à l'hameçon pendant le premier quart d'heure, le temps va vous paraître long. Notez toutefois que, compte tenu qu'il fête cette année les vingt ans de sa sortie en salles, le long-métrage a une belle longévité artistique. Ses décors et costumes respirent le travail bien fait. Peut-être que ce serait un peu plus léché aujourd'hui, et encore...

Le scénario, lui, tient la distance et, à côté de celle du bébé, poursuit une autre voie parallèle, avec le mariage de Fétide, l'oncle foldingue de service - joué par un Christopher Lloyd en cabotinage intensif. Encore une fois, si vous ne passez pas à côté, c'est jubilatoire ! Gentiment mais sûrement, Les valeurs de la famille Addams démontent celles de l'Amérique traditionnelle, au point de s'autoriser à ironiser sur les pères fondateurs. Le plus beau est que personne n'a l'air de se prendre vraiment au sérieux, ce qui permet de se sentir complice de ces drôles de personnages. Je voudrais ici faire mention d'une prestation particulière: celle de la jeune Christina Ricci, 13 ans seulement, dans le rôle de Mercredi. Cette gamine aux cheveux noir corbeau est sûrement le premier moteur comique du film. Elle mérite à elle seule le détour et n'a pas à rougir face aux acteurs confirmés que sont Raul Julia et Anjelica Huston. Une mémorable performance !

Les valeurs de la famille Addams
Film américain de Barry Sonnenfeld (1993)

Une précision qui pourra intéresser les amateurs: le long-métrage présenté aujourd'hui est en réalité la suite d'un premier opus sorti deux ans plus tôt (La famille Addams, tout court). Je l'ai vu également, mais n'en garde pas de souvenir particulier. On s'approche finalement de l'univers d'un Tim Burton, dans le genre Dark shadows par exemple. En fait, je trouve les Addams beaucoup plus drôles...

----------
Et apparemment, je ne suis pas le seul...

Aelezig aime aussi: la preuve sur "Mon cinéma, jour après jour".

mardi 15 octobre 2013

Jouer, toujours jouer

Je veux bien l'admettre: je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre quand j'ai choisi de regarder Le dernier métro. J'allais avoir six ans quand le film est sorti au cinéma et il est dès lors quasiment certain que je n'avais pas encore fait connaissance avec François Truffaut. Trois bonnes décennies plus tard, tout a changé, évidemment. Poussé par l'envie d'apprécier une nouvelle fois la complémentarité du duo Catherine Deneuve / Gérard Depardieu, j'ai donc choisi cette oeuvre sans bien savoir ce dont il était question. Peu m'importait, au fond.

Ce que j'avais compris, c'est que l'action se déroulait dans le Paris occupé par la Wehrmacht, au début des années 40. Je me rappelle qu'en fait, je m'attendais à ce que le film évoque peu ou prou l'action de la Résistance. C'est bel et bien le cas, d'ailleurs. Le dernier métro ne se contente toutefois pas de détailler les opérations paramilitaires destinées à libérer la France. En respectant également la réalité historique, il nous invite à nous souvenir qu'à l'époque, les théâtres de la ville jouaient encore à guichets presque fermés, nos aînés tâchant d'oublier dans les salles de spectacle les privations qui étaient leur quotidien à l'extérieur. À vrai dire, l'intrigue du long-métrage reste presque limitée aux murs d'une de ces illustres scènes parisiennes: malgré la fuite de son directeur, juif, une troupe continue d'y répéter sa prochaine pièce. Très logiquement dépendants les uns des autres, contrariés par la censure vichyste, saltimbanques et techniciens tentent de faire face. Leur but: jouer, toujours jouer.

Au nombre des rares films français à représenter les conditions de vie des Français ordinaires d'alors, Le dernier métro peut s'apprécier également comme le récit d'un triangle amoureux, une thématique habituelle et ô combien chère à François Truffaut. Je n'ai pas envie d'expliciter la chose: je vous laisse la découvrir par vous-mêmes. J'aimerais vous dire cependant que, bien que manifestement tourné en studio, le long-métrage conserve une force peu commune. J'ajoute volontiers qu'après le générique final, me souvenant de l'aspect carton-pâte des premiers décors, j'ai estimé qu'il était envisageable d'appréhender le film comme une gigantesque mise en abyme, option audacieuse que vient bientôt corroborer un épilogue des plus malins. Inutile de vous dire qu'aux côtés du duo majeur, toute la distribution "secondaire" se montre à son avantage: Jean Poiret, Andréa Ferréol ou Maurice Risch n'en sont que les trois membres les plus connus. Succès public, le film fut honoré de dix des Césars 1981. Un record !

Le dernier métro
Film français de François Truffaut (1980)

Mon index des réalisateurs vous mettra sur la piste: François Truffaut sur Mille et une bobines, c'est déjà trois autres films - en attendant que j'en découvre et présente encore une série. J'ai une affection particulière pour L'histoire d'Adèle H. et la formidable prestation dramatique qu'y délivre Isabelle Adjani. Aussi curieux que ça puisse paraître, le film d'aujourd'hui est moins tragique, bien que dur aussi. Maintenant, si vous voulez juger de l'adéquation comique du tandem Deneuve / Depardieu, vous pouvez toujours voir ou revoir Potiche...

dimanche 13 octobre 2013

Fascination, mélancolie

Le constat m'amuse: pour Billy Wilder, Ariane est le film du milieu. L'Américain le tourne en effet 23 ans après les débuts d'une carrière de réalisateur qui en compte 47, de 1934 à 1981. Il en a alors signé treize et, par la suite, en mettra en scène treize autres. Ici, il fait appel à un duo au top du glamour: Audrey Hepburn, qui a déjà joué une fois sous sa direction, et Gary Copper, avec qui il ne travaillera qu'à cette unique occasion. Nous partons à Paris, présenté aussitôt comme la capitale de ceux qui s'aiment. Illustration par l'exemple...

Violoncelliste de bon niveau, Audrey Hepburn / Ariane partage l'appartement de son père, détective privé missionné pour surveiller un Américain coureur de jupons. Vous l'avez compris: le Don Juan n'est autre que Gary Cooper, alias Frank Flannagan. La jeune femme et lui se rencontrent quand Miss A., surprenant un client paternel animé d'intentions belliqueuses, épie à son tour et finalement sauve la vie du séducteur patenté - à vous de découvrir comment. Il y a quelque chose d'absolument invraisemblable dans ce scénario, reprise d'ailleurs d'un roman du Suisse Claude Anet. Qu'importe: Billy Wilder oblige, j'ai eu envie d'y croire quand même. Si vous êtes aussi portés sur la guimauve que moi, je suis sûr que le couple vedette achèvera de vous convaincre d'en reprendre une petite dose. Moi, je ne vois aucune raison de s'en priver. Ce style de comédies romantiques semble avoir complètement disparu des écrans aujourd'hui. Snif !

Autant vous le dire également: jamais vous ne rirez aux éclats. Tendre au possible, le film est une sucrerie à laisser fondre gentiment. Elle paraît aussi se laisser aller au spleen, émotion ressentie dans d'autres Billy Wilder, peut-être plus récents. L'amour est là, bien sûr, et l'humour l'accompagne, mais ils offrent tous deux des impressions fragiles, si ce n'est fugaces. Ariane avance sur un fil d'autant plus ténu que son héroïne ment aux autres et se ment presque à elle-même pour séduire. Il n'y a là aucune méchanceté. Émerge simplement, une fois encore, le constat que les sentiments sont difficilement compatibles avec la désinvolture. Parce qu'il existe une différence d'âge importante entre les protagonistes, le film déplut à quelques censeurs mal embouchés, en son temps. Il s'inscrit désormais comme un joli exemple du style inimitable de son auteur. Lequel y voyait un hommage à son maître spirituel, Ernst Lubitsch. 

Ariane
Film américain de Billy Wilder (1957)
D'aucuns diront que le réalisateur a fait mieux: ce n'est pas faux. Reste que le charme d'Audrey Hepburn offre pour moi une motivation suffisante pour voir ce "petit" film. Gary Cooper est bien, lui aussi. Bémol pour Maurice Chevalier: dans le rôle du père, le Frenchie surjoue, parfois... mais ça correspond assez à son personnage. Amis cinéphiles, vous noterez pour terminer que Billy Wilder collaborait ici pour la première fois avec le décorateur français Alexandre Trauner et le scénariste I.A.L. Diamond. Par la suite, il les retrouvera notamment pour La garçonnière, un autre film que j'aime beaucoup. 

----------
Un autre avis sur le Billy Wilder du jour ?
Vous en trouverez un chez mes amis de "L'oeil sur l'écran".

vendredi 11 octobre 2013

La crise et l'intime

Les films venus de Singapour sont plutôt rares dans les salles françaises. Si j'en crois Les fiches du cinéma, il en serait sorti deux l'année dernière - dont l'un en coproduction internationale. Un autre était arrivé jusqu'à nous en 2009. Le dernier en date, Ilo Ilo, crédite un Français, Benoît Soler, comme chef-opérateur. Ce joli petit film est parti à la rencontre du public avec un atout: une Caméra d'or glanée au dernier Festival de Cannes. Ce qui veut dire, je le précise pour ceux qui l'ignorent, qu'il a donc été considéré comme le meilleur des premiers films en compétition, toutes sélections confondues.

Retenu pour la Quinzaine des réalisateurs, Ilo Ilo marquera l'histoire du cinéma dans son pays, puisqu'il est aussi le tout premier film singapourien primé sur la Croisette. L'histoire se déroule en 1997-98. L'archipel s'enfonce alors dans la crise économique. Loin du pamphlet social qu'il aurait pu être, le long-métrage nous propose de faire connaissance avec une famille ordinaire, Teck, Leng et Jiale, leur fils d'une dizaine d'années. C'est en fait lui, je crois, qui donne le tempo. Parce qu'il n'est pas très travailleur et plutôt turbulent, ses parents décident d'embaucher une nounou pour s'en occuper, aller le chercher à l'école, l'aider à faire ses devoirs, partager sa chambre. Le boulot passe d'abord pour ce couple en attente d'un autre enfant et inquiet de la dégradation de son niveau de vie. Ce qui se passe à l'écran trouve alors un écho dans ce que nous pouvons vivre aujourd'hui. D'ailleurs, la nounou de Jiale est... une travailleuse immigrée. Teresa vient des Philippines. Elle doit s'intégrer, s'adapter à une nouvelle vie.

Je ne voudrais surtout pas faire de généralités sur le cinéma asiatique: je suis à mon avis beaucoup trop peu connaisseur pour ça. Reste que j'ai trouvé dans ce film une sensibilité que j'avais décelée dans d'autres oeuvres venues d'Asie. Comment l'expliquer ? Disons juste qu'une fois encore, la caméra m'a paru suivre les personnages sans les juger. Il n'y a pas de manichéisme, dans Ilo Ilo. Il n'y a pas non plus d'apitoiement. Il y a des femmes et des hommes confrontés à certaines situations et qui tâchent de s'en sortir. Il y a aussi beaucoup d'empathie, je dirais même de respect, pour eux. Il suffit parfois d'un rapide gros plan sur une cicatrice pour que le passé ressurgisse et qu'une émotion passe sans que le réalisateur ait besoin d'ajouter un dialogue ou une image supplémentaire. La pudeur fondamentale de ce style me plaît beaucoup. Je suis heureux aussi d'ajouter un petit drapeau à ma page "Cinéma du monde". Il est toujours agréable d'ouvrir ainsi son horizon. Et donc merci, Cannes !

Ilo Ilo
Film singapourien d'Anthony Chen (2013)

Une précision d'ordre géographique: le titre reprend le nom d'une ville et d'une province des Philippines, qu'on écrit en un seul mot. Du point de vue cinématographique, le travail d'Anthony Chen, 29 ans, me fait penser à celui de Hirokazu Kore-eda (cf. index des réalisateurs). J'attends justement la sortie du prochain long-métrage du cinéaste japonais pour mieux en juger - possible que j'en reparle cet hiver.

----------
Si vous ne souhaitez pas attendre...

Vous pouvez toujours lire un autre avis sur "Le blog de Dasola". Pascale donne aussi le sien (cf. "Sur la route du cinéma").

jeudi 10 octobre 2013

Chimère

Depuis le temps que l'on parle de son renouveau, je finis par me dire que le western ne sera pas resté bien longtemps absent des écrans. Celui qui va nous occuper aujourd'hui a ceci d'original qu'on y cause allemand plutôt qu'anglais et que sa tête d'affiche est une femme. Avec six autres personnes, Emily Meyer s'engage dans une expédition à cheval vers le Nord du Canada, à destination de Dawson, ville minière du Klondike, avec la certitude d'une bonne fortune retrouvée. Ainsi débute Gold, sans explication préalable. J'aime ce côté radical.

Réalisateur allemand d'origine turque, Thomas Arslan s'intéresse presque logiquement à ce qui est aussi l'histoire d'une émigration massive. Si ce que je l'ai entendu dire est vrai, six millions d'Allemands auraient jadis quitté le Vieux Continent pour un Eldorado nord-américain. Selon Wikipedia, un peu plus d'un Américain sur huit se dit aujourd'hui d'ascendance germanique - ce qui représenterait quand même 42,8 millions de personnes ! Gold en dit finalement assez peu sur leur motivation: il y a là un homme marié qui a laissé sa famille derrière lui pour lui revenir riche, un couple de cuisiniers motivés par l'idée d'ouvrir son restaurant, un journaliste-photographe chargé de rédiger un article sur le périple... autant de profils distincts qui offrent à l'expédition des allures d'auberge espagnole. On s'attend vite à ce que tout déraille et, de fait, bien que l'héroïne se rapproche d'un dénommé Carl Böhmer, éleveur de chevaux, le projet s'enlise...

Je préfère ne pas vous révéler les difficultés que le groupe des sept va devoir affronter. Le titre de ma chronique suffirait à vous donner une indication de ce qui va advenir de ses espoirs. Je me dois d'insister sur un point: Gold n'est pas franchement un film d'action. Les choses qui s'y passent nous incitent plutôt à la contemplation qu'au frisson - dans les majestueux décors naturels de la Colombie britannique, on finit par se demander aussi où conduit le chemin. Quand l'expédition croise un pionnier muet et solitaire, en train apparemment de revenir sur ses pas, ce quasi-fantôme semble confirmer à lui seul que la destination est presque inatteignable. Apprécier cette ambiance n'est pas chose facile, le long-métrage n'offrant que peu de prises et se démarquant assez significativement des codes du genre. "Tout ça pour ça", diront certains. Il peut sembler frustrant de suivre ces personnages à peine esquissés. C'est un choix.

Gold
Film allemand de Thomas Arslan (2013)

Dans de nombreux textes que j'ai lus depuis, deux comparaisons reviennent presque systématiquement. Le long-métrage d'aujourd'hui est ainsi très souvent assimilé à La dernière piste, autre western d'allure un peu sèche que j'ai prévu d'évoquer très prochainement. Parce que sa bande originale repose sur des riffs de guitare électrique, certains critiques le placent aussi en face de Dead man. Moi, deux ans après Blackthorn, je me dis que le renouveau du genre passe plutôt par l'Europe. Tout en restant sensible à l'idée inverse...

----------
Il semble que le public français se montre assez sceptique...

Le jour où je suis allé voir le film, j'ai moi-même hésité. Nous étions une dizaine dans la salle, dont quelques Allemands, apparemment. Finalement, je ne regrette pas le prix de mon ticket et je n'ai pas fait ce "voyage au bout de l'ennui" dont parlait une critique parcourue quelques heures avant. De ce film, vous lirez une autre chronique positive sur "Le blog de Dasola". Comme quoi, les goûts et couleurs...

mercredi 9 octobre 2013

Jamais son tour

Après avoir vu le film dont j'ai parlé dimanche, je me suis demandé dans quel(s) long(s)-métrage(s) j'avais vraiment apprécié le talent comique de Benoît Poelvoorde. Entendons-nous bien: l'acteur belge m'amuse très souvent et, pour tout dire, il est devenu au fil des rôles l'un de mes comédiens préférés. Le truc, c'est que j'apprécie particulièrement son jeu dans le drame et, oui, je m'interroge: est-ce qu'il y a autre chose ? Dans Le vélo de Ghislain Lambert, il est drôle et pathétique à la fois. Et je me dis du coup que c'est pile son rayon.

Notez que ça peut toujours se discuter: Le vélo de Ghislain Lambert n'est que le sixième de la quarantaine de films dans lesquels il a tenu un rôle. Ainsi que le titre le suggère, l'ami wallon y est un coureur cycliste, brave type persuadé que le vélo fera de lui un homme respecté. Le problème, c'est qu'il n'est pas assez fort pour une équipe professionnelle et même plutôt "limite" pour une formation amateur. À son crédit toutefois, une confiance en lui à toute épreuve, doublée d'un indéniable esprit d'équipe. Il faut dire qu'il faut une bonne dose de culot pour se croire apte à rivaliser avec les plus grands champions et à effacer le record de l'heure d'Eddy Merckx. Vous aurez compris que le long-métrage se passe dans les années 70, belle reconstitution à la clé. C'est aussi ce qui rend agréable le suivi des pérégrinations sportives du loser magnifique qui tient lieu de héros. Un pauvre gars bientôt popularisé par une série d'échecs savamment entretenue...

Sous le vernis de la comédie, ce petit film ne néglige pas son sujet. Nombreux sont ceux qui louent la manière dont il présente le milieu du cyclisme: un regard froidement pragmatique, que d'aucuns disent même tout à fait réaliste. Oui, et même s'il ressemble alors davantage à un Gaulois tombé dans la marmite de potion magique qu'à un toxicomane, Ghislain/Benoît s'adonne au dopage. Oui, il subit parfois l'arrogance de son leader, l'inutilité de certaines luttes internes au peloton, les consignes idiotes de son directeur d'équipe. Oui, il doit composer avec un entourage versatile, dont il est à la fois le héros et la vache à lait. Le vélo de Ghislain Lambert m'a offert une bonne tranche de rigolade, mais n'est pas pour autant réductible à sa dimension humoristique. Avec Antoine de Caunes pour narrateur et José Garcia, Sacha Bourdo ou la propre mère de Benoît Poelvoorde en personnages secondaires, cette histoire sait aussi être touchante.

Le vélo de Ghislain Lambert
Film franco-belge de Philippe Harel (2001)

Quatre ans plus tôt, le réalisateur et son comédien principal s'associaient dans Les randonneurs, une pure comédie, pour le coup. Le film d'aujourd'hui est sans doute à conseiller à ceux qui apprécient le vélo et les sans-grades qui forment le contingent des courses cyclistes. Même si La grande boucle, long-métrage sorti de mémoire au cours de l'été dernier, est là pour me démentir, je crois qu'il n'y a finalement que peu de films dans cet univers. J'ai entendu du bien d'un dessin animé signé Sylvain Chomet, Les triplettes de Belleville.

----------
Tout le monde n'est pas forcément d'accord, hein ?

La preuve: Aelezig de "Mon cinéma, jour après jour" n'a pas aimé.

mardi 8 octobre 2013

Un pêcheur impénitent

Il paraît - mais je n'ai pas vraiment vérifié - que Poisson d'avril serait la première rencontre cinématographique de l'incroyable duo Bourvil / Louis de Funès. Précision de taille: le premier tient le rôle principal du film, tandis que son acolyte doit avoir un petit quart d'heure pour jouer son personnage de garde-champêtre sadique. L'histoire qui les rassemble est toute simple: Émile, modeste employé dans un garage de banlieue, raconte un dimanche à sa femme qu'il est obligé de faire un dépannage... alors qu'en réalité, il part à la pêche.

Évidemment, à l'heure des portables et des statuts Facebook renouvelés vingt fois par jour, cette comédie fleure bon la naphtaline et son décor la France de (Grand) Papa. Il est permis d'en rire ! Objectivement, les acteurs sont bons et ce qu'ils ont à interpréter plutôt croquignolet ! Merci qui ? Merci Michel Audiard, qui signe ici quelques dialogues franchement savoureux. Poisson d'avril compte son lot de scènes mémorables, notamment quand il s'agit pour Bourvil d'acheter une canne à pêche dernier cri à un Maurice Biraud particulièrement bavard ou de relever la taille d'un brochet trop petit d'un centimètre pour être sorti de l'eau. Il me faut vous dire également que les activités aquatiques ne sont qu'un des éléments farfelus du film. Le reste, c'est vaudeville et soupçons d'adultère...

Il ne faut évidemment pas prendre tout cela au sérieux. Soixante ans auront bientôt passé depuis et, bien entendu, ça se sent. Que dire alors d'un personnage féminin qui déclare que son rêve est de vivre au milieu des machines à laver ? Qu'il est joué par une Annie Cordy toute jeunette, par exemple, et à ce titre d'un comique certain. Poisson d'avril ne se déguste avec plaisir qu'en plongeant tête baissée dans la France de l'époque, ce pays "lointain" qui comptait encore en anciens francs. Sans faire preuve d'irrévérence, je relève également que le long-métrage s'autorise à lancer quelques piques aux sommités de son temps et au général De Gaulle, entre autres. Notons aussi que ce bon petit film est le 25ème extrait de la carrière de son auteur. Le symbole de ces années où l'on tournait beaucoup.

Poisson d'avril
Film français de Gilles Grangier (1954)

Ceux d'entre vous qui penseront ou diront que le réalisateur a fait mieux n'auront pas forcément tort.  Il y a ainsi, dans ma famille maternelle, de grands amateurs du cultissime Les vieux de la vieille. Avant peut-être que j'évoque d'autres de ses films, j'aimerais attirer votre attention sur le fait que Gilles Grangier savait et aimait faire rire, certes, mais qu'il n'a pas tourné que des comédies. Gas-oil offre un bon exemple de son talent de cinéaste dans un tout autre registre.

dimanche 6 octobre 2013

Au révélateur

Il s'appelle Antoine Dumas, "comme les trois mousquetaires". Il vit seul ou en compagnie parfois d'un petit garçon, son "meilleur copain". Photographe, il ne crée plus d'image intéressante, malgré un talent qu'il ignore et auquel il ne croit pas. L'unique personne qui le touche est une voisine: depuis l'immeuble en face, il l'entend et la voit jouer du piano. Quand Une place sur la Terre démarre, Elena grimpe finalement sur le toit, y danse un peu et saute. Antoine, qui a tout vu et tout photographié, appelle les secours. Rencontre de deux êtres cabossés par la vie sur le froid pavé d'une cour d'immeuble ordinaire.

Une place sur la Terre fait partie de ces films que je suis allé voir sur la foi d'une bande-annonce et parce que j'ai confiance en l'acteur principal. Rien à redire: Benoît Poelvoorde est excellent, une fois encore, dans ce rôle torturé. Je sais un peu des névroses personnelles du comédien. La façon dont il donne corps aux troubles existentiels de son personnage me touche et me fait me demander: joue-t-il vraiment ? Quoiqu'il en soit, son pathétisme assumé (?) lui confère une présence indéniable, presque magnétique: je ne vois personne d'autre que lui pour aussi bien porter les frustrations et les doutes d'Antoine. D'aucuns objecteront que le comédien reste en terrain familier, qu'il a déjà joué dans ce registre. C'est vrai, c'est son "truc". Et pourquoi ne pas considérer que c'est un peu de lui-même, donc ?

D'après moi, c'est clair: l'histoire du film est celle d'une révélation. Aussi incongru que soit son événement déclencheur, la rencontre Elena / Antoine offre à ce dernier la possibilité de s'accomplir enfin. Le photographe maudit passe lui-même au révélateur. Il fallait donc compter sur une autre présence forte en face de Benoît Poelvoorde pour crédibiliser ce chemin de vie. C'est le cas: j'ignorais tout d'Ariane Labed jusqu'alors, mais la jeune femme joue elle aussi remarquablement. Les sourires qui savent éclairer ce beau visage sont rares, mais ils sont lumineux quand ils surviennent: c'est l'esprit même du personnage. Une place sur la Terre trouve une belle vérité dramatique dans la complémentarité de son duo d'acteurs. J'ajoute volontiers un coup de chapeau au petit Max Baissette de Malglaive.

Une place sur la Terre
Film franco-belge de Fabienne Godet (2013)

À ce stade de la lecture de ma chronique, vous vous dites sûrement que j'ai aimé le long-métrage. Les étoiles vous le confirmeront. Laissez-moi tout de même préciser deux choses: 1) le scénario concentre l'essentiel de la dramaturgie sur deux êtres, certains autres ne faisant alors que passer - c'est parfois dommage et 2) le film prête à sourire à certains moments, mais demeure un vrai drame. Je note que la réalisatrice a déclaré vouloir "filmer des âmes". C'est réussi. Imparfait et beau à la fois, avec la discrète Bruxelles en toile de fond.

----------
Un autre avis vous serait-il utile ?

Si c'est le cas, vous en trouverez sur "Le blog de Dasola". J'ajoute enfin que Patrick, un collègue de travail qui m'accompagnait, a trouvé le film glauque, sombre, désespéré, mais surtout... formidable.

vendredi 4 octobre 2013

L'amour, les épreuves

J'ai vu mon premier film flamand l'an passé. Mon goût pour le cinéma wallon allant croissant, j'ai aujourd'hui le sentiment d'un grand champ de découvertes possibles de l'autre côté de ce que les Belges francophones appellent la frontière linguistique. C'est cet a priori favorable qui m'a incité à aller voir Alabama Monroe en salles. Évidemment, j'avais vu la bande-annonce du film: un bien joli couple avec enfant s'y aime et s'y déchire sur fond de musique country. Repoussantes pour certains, ces images m'ont aimanté. J'y ai décelé la promesse d'un grand film social et sensible, comme je les aime.

Vérification faite, Alabama Monroe est un vrai mélodrame. Il montre combien la vie peut être belle, mais aussi, frontalement, à quel point elle peut être salope. D'aucuns jugeront, et c'est vrai, qu'on n'a pas besoin du cinéma pour le savoir. D'autres diront, et c'est leur droit, qu'ils n'ont pas envie qu'on leur rappelle cette réalité dans une salle obscure, après qu'ils ont dépensé une dizaine d'euros. Je fais partie d'une autre catégorie de personnes, je crois. Oui, j'aime la tristesse au cinéma, parce que c'est justement du cinéma. Quand l'image s'arrête et quand la lumière se rallume, je regarde défiler le générique et je reprends ainsi mon souffle en me disant que non, le petit chat n'est pas mort, pas vraiment. Et j'aime ça, oui, j'aime ça, avoir vécu une émotion difficile et, soudain, revenir à ma réalité, en général plus souriante. Je crois qu'il y a une vraie poésie, dans le drame fictif. Le geste d'un humain vers les autres, pour les sensibiliser peut-être à quelque chose de profond et, idéalement, les préparer. Exemplaire à ce titre, ce film-là ne manque jamais d'empathie.

Pour nous faire pleurer, il aurait sans doute été possible de dérouler le drame de ces prémices jusqu'à sa glaçante conclusion. Le choix opéré par le réalisateur est autre: Alabama Monroe se caractérise d'abord par un montage déstructuré. Passé, présent et futur s'enchaînent constamment, sans pourtant perdre de vue le fil conducteur et la compréhension du spectateur. On voit donc arriver les catastrophes, mais on a aussi la garantie qu'après une scène particulièrement rude, une autre arrive, moins difficile à encaisser. J'ignore dans quel ordre ces scènes ont été tournées, mais je dois dire que le duo Johan Heldenbergh / Veere Baetens fonctionne parfaitement et donne l'image d'un couple réel. Peut-être juste l'homme est-il un peu plus investi dans sa manière de jouer: il faut préciser que le film adapte en fait une pièce de théâtre qu'il a écrite. J'ai déjà dit beaucoup de choses, mais toujours rien sur la musique. Elle est un vrai personnage: sans elle, le film ne serait pas le même. À vous de découvrir le reste. Un gros coup de coeur, pour ma part.

Alabama Monroe
Film belge de Felix van Groeningen (2013)

Tôt ou tard, je devrais être amené à vous reparler du cinéma flamand. Un séjour à Bruges m'a en effet permis d'acquérir une série de DVD de longs-métrages venus de l'autre partie de la Belgique. Détail amusant: alors que Felix van Groeningen a été connu en France avec son film précédent, La merditude des choses, j'ai à disposition les deux premiers extraits de sa jeune filmographie. À suivre, donc. En attendant, ultime conseil: n'ayez pas peur de la version originale. Les acteurs chantent eux-mêmes: si tant est qu'elle existe, la VF risque d'être "décalée". Vraiment, rien de tel que le tout en flamand !

----------
Et en attendant, ce que je peux vous proposer...
C'est de retrouver le blog de Liv, "Liv/raison de films". Vous verrez qu'elle évoque le film d'aujourd'hui de façon bien plus directe. La lire vous dévoilera beaucoup et vous offrira au final une comparaison avec un autre film. Pascale, elle, a choisi d'évoquer également comment les personnages se placent face à la notion de foi. Il est vrai que c'est un sous-thème majeur - détails ici: "Sur la route du cinéma". Rien sur "L'impossible blog ciné": David l'a trouvé... insupportable !