Coup double: deux semaines après Sylvain George, mon association de cinéphiles a reçu Tariq Teguia pour parler de Révolution Zendj. Initialement, il était même prévu que l'on diffuse deux de ses films. Faute d'avoir pu retenir le réalisateur plus longtemps, nous n'avons vu que son dernier. C'est déjà très bien et le cinéaste s'est ensuite prêté de bonne grâce au jeu des questions / réponses. J'ai pris des notes...
"Le biographique relève de l'anecdotique". Tariq Teguia, 48 ans, aime évoquer son travail, mais, de prime abord, il parle peu de lui-même. Révolution Zendj est son troisième long-métrage. Le cinéaste explique qu'il referme un triptyque. Après la guerre civile qui a ravagé son pays et la paix retrouvée, cette fois, il pense aux conséquences des printemps arabes. Tout en précisant toutefois que "le tournage avait commencé avant. Il n'illustre pas ce mouvement que je crois toujours en cours". Il ne se voit pas du tout comme un visionnaire...
Complimenté sur la qualité esthétique de son film, Tariq Teguia insiste précisément sur la dimension filmée. "Je ne fais pas de photo. Je travaille en 25 images par seconde. Je préfère cadrer qu'encadrer. Et j'aime ce qui fuit". Ibn Battutâ, son personnage, prend pourtant quelques images figées tout au long du film. Un dialogue explique alors qu'il le fait pour voir... à quel point les choses peuvent changer. Le réalisateur, lui, dit s'être interrogé sur ce que peut être l'Algérie aujourd'hui, dans son double environnement méditerranéen et arabe.
Par l'intermédiaire de businessmen anglo-saxons, Révolution Zendj dresse un portrait assez cynique du monde occidental, sans aller toutefois jusqu'à dire qu'il n'existe pas d'autres visages possibles. L'auteur s'avoue tout de même assez surpris qu'un certain jargon néo-conservateur soit si facilement entré dans les esprits, au point d'imprégner le langage. "En revanche, si je montre des policiers algériens brutaux, ça ne choque personne. Comme si c'était normal". Incontestablement, le film interroge presque notre vision du monde.
Dans l'esprit du cinéaste, les choses sont visiblement loin d'être figées. Elles ne le sont donc pas davantage à l'écran. Tariq Teguia considère un long-métrage comme "un plan, une partition, un corps vivant". En musicien de l'image, il s'efforce "d'équilibrer les masses" pour réussir sa composition. Il a toujours tourné dans les lieux cités par le scénario, si ce n'est pour quelques scènes censées se dérouler en Irak. "Une armée autour de nous, ce n'était pas dans nos moyens". C'est notamment la vallée du Nil qui a servi de décor de substitution.
Un point qui a surpris certains membres du public: Révolution Zendj ne pose guère la question des religions. Tariq Teguia estime d'ailleurs que l'hypothèse d'un islamisme fondamentaliste algérien est en passe d'être dépassée. "Je ne dis pas que l'Algérie sera laïque dans le sens où vous l'entendez", précise-t-il toutefois, prudent. Le cinéaste se dit persuadé que les deux rives de la Méditerranée resteront connectées. Quand il a commencé à tourner, les Grecs n'ont pas aussitôt compris qu'il le fasse chez eux. La poussée des Indignés a changé la donne...
Si j'ai bien compris, c'est toutefois notamment sur le plan religieux que la révolte des Zendj a, jadis, été vivement décriée par le pouvoir califal établi. Une histoire de descendance - ou non - du prophète. Quelque chose subsisterait aujourd'hui de cette contestation ancienne. "Nous sommes là", dit un personnage du film, au moment d'abaisser le voile qui, jusqu'alors, cachait l'essentiel de son visage. Tariq Teguia ose un parallèle avec Spartacus et Rosa Luxemburg. "Mon film est là aussi pour rappeler certains des oublis de l'histoire".
Face à l'idée que les (r)évolutions ne conduisent pas nécessairement les peuples à plus de bonheur, le réalisateur algérien reste très lucide. Il s'accroche toutefois à l'idée d'une persistance, peut-être également parce qu'il estime que l'être humain peut garder en mémoire des faits vieux d'un millénaire. "Si pessimisme il y a, c'est un pessimisme hyperactif, dit-il. Il y aura toujours des communautés, des individus pour dire: nous n'acceptons pas le sort que vous nous faites. L'échec n'empêche pas le recommencement". Presque un discours politique...
L'une des scènes du film montre, en Grèce, des étudiants parler politique et faire la fête. "C'est une mise en scène, mais j'ai vu là-bas des choses que je n'ai pas vues à Paris quand j'y étais étudiant", précise Tariq Teguia. Il souligne du même coup son intérêt manifeste pour voir la manière dont la politique et la joie peuvent s'articuler. "Cela peut gêner, cette façon de raconter les choses en rigolant. Il y a une proposition politique, dans ces mouvements que l'on peut décrier. Et j'espère que les fantômes du passé reviendront de façon joyeuse".
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Une précision pour terminer cette chronique...
Révolution Zendj dure presque deux heures et quart. J'ai écouté Tariq Teguia après une grosse semaine de boulot et à partir de 23h00 environ. Il se peut donc son propos soit ici quelque peu simplifié. Désolé si je reste assez flou: ce n'était pas une interview "classique".
"Le biographique relève de l'anecdotique". Tariq Teguia, 48 ans, aime évoquer son travail, mais, de prime abord, il parle peu de lui-même. Révolution Zendj est son troisième long-métrage. Le cinéaste explique qu'il referme un triptyque. Après la guerre civile qui a ravagé son pays et la paix retrouvée, cette fois, il pense aux conséquences des printemps arabes. Tout en précisant toutefois que "le tournage avait commencé avant. Il n'illustre pas ce mouvement que je crois toujours en cours". Il ne se voit pas du tout comme un visionnaire...
Complimenté sur la qualité esthétique de son film, Tariq Teguia insiste précisément sur la dimension filmée. "Je ne fais pas de photo. Je travaille en 25 images par seconde. Je préfère cadrer qu'encadrer. Et j'aime ce qui fuit". Ibn Battutâ, son personnage, prend pourtant quelques images figées tout au long du film. Un dialogue explique alors qu'il le fait pour voir... à quel point les choses peuvent changer. Le réalisateur, lui, dit s'être interrogé sur ce que peut être l'Algérie aujourd'hui, dans son double environnement méditerranéen et arabe.
Par l'intermédiaire de businessmen anglo-saxons, Révolution Zendj dresse un portrait assez cynique du monde occidental, sans aller toutefois jusqu'à dire qu'il n'existe pas d'autres visages possibles. L'auteur s'avoue tout de même assez surpris qu'un certain jargon néo-conservateur soit si facilement entré dans les esprits, au point d'imprégner le langage. "En revanche, si je montre des policiers algériens brutaux, ça ne choque personne. Comme si c'était normal". Incontestablement, le film interroge presque notre vision du monde.
Dans l'esprit du cinéaste, les choses sont visiblement loin d'être figées. Elles ne le sont donc pas davantage à l'écran. Tariq Teguia considère un long-métrage comme "un plan, une partition, un corps vivant". En musicien de l'image, il s'efforce "d'équilibrer les masses" pour réussir sa composition. Il a toujours tourné dans les lieux cités par le scénario, si ce n'est pour quelques scènes censées se dérouler en Irak. "Une armée autour de nous, ce n'était pas dans nos moyens". C'est notamment la vallée du Nil qui a servi de décor de substitution.
Un point qui a surpris certains membres du public: Révolution Zendj ne pose guère la question des religions. Tariq Teguia estime d'ailleurs que l'hypothèse d'un islamisme fondamentaliste algérien est en passe d'être dépassée. "Je ne dis pas que l'Algérie sera laïque dans le sens où vous l'entendez", précise-t-il toutefois, prudent. Le cinéaste se dit persuadé que les deux rives de la Méditerranée resteront connectées. Quand il a commencé à tourner, les Grecs n'ont pas aussitôt compris qu'il le fasse chez eux. La poussée des Indignés a changé la donne...
Si j'ai bien compris, c'est toutefois notamment sur le plan religieux que la révolte des Zendj a, jadis, été vivement décriée par le pouvoir califal établi. Une histoire de descendance - ou non - du prophète. Quelque chose subsisterait aujourd'hui de cette contestation ancienne. "Nous sommes là", dit un personnage du film, au moment d'abaisser le voile qui, jusqu'alors, cachait l'essentiel de son visage. Tariq Teguia ose un parallèle avec Spartacus et Rosa Luxemburg. "Mon film est là aussi pour rappeler certains des oublis de l'histoire".
Face à l'idée que les (r)évolutions ne conduisent pas nécessairement les peuples à plus de bonheur, le réalisateur algérien reste très lucide. Il s'accroche toutefois à l'idée d'une persistance, peut-être également parce qu'il estime que l'être humain peut garder en mémoire des faits vieux d'un millénaire. "Si pessimisme il y a, c'est un pessimisme hyperactif, dit-il. Il y aura toujours des communautés, des individus pour dire: nous n'acceptons pas le sort que vous nous faites. L'échec n'empêche pas le recommencement". Presque un discours politique...
L'une des scènes du film montre, en Grèce, des étudiants parler politique et faire la fête. "C'est une mise en scène, mais j'ai vu là-bas des choses que je n'ai pas vues à Paris quand j'y étais étudiant", précise Tariq Teguia. Il souligne du même coup son intérêt manifeste pour voir la manière dont la politique et la joie peuvent s'articuler. "Cela peut gêner, cette façon de raconter les choses en rigolant. Il y a une proposition politique, dans ces mouvements que l'on peut décrier. Et j'espère que les fantômes du passé reviendront de façon joyeuse".
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Une précision pour terminer cette chronique...
Révolution Zendj dure presque deux heures et quart. J'ai écouté Tariq Teguia après une grosse semaine de boulot et à partir de 23h00 environ. Il se peut donc son propos soit ici quelque peu simplifié. Désolé si je reste assez flou: ce n'était pas une interview "classique".
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