dimanche 30 septembre 2012

Chronique de la zone

Sur ce blog, un grand numéro d'acteur peut en cacher un autre. C'est néanmoins le hasard qui m'amène aujourd'hui à évoquer Naked, film dont j'ignorais tout il y a encore un petit mois. Compagnon régulier de mes virées au cinéma, mon pote Philippe, lui, m'en avait parlé depuis un petit moment. Comme lui, j'ai aimé ce long-métrage doublement primé au Festival de Cannes 1993. En première tête d'affiche, j'étais à vrai dire ravi d'y voir David Thewlis, un comédien britannique méconnu, mais que j'ai trouvé plutôt bon à chaque fois que je l'ai vu. Je ne suis pas vraiment capable d'expliquer pourquoi...

Ce qui est sûr, c'est qu'ici, il donne de sa personne. Le film démarre à peine qu'on comprend déjà qu'on ne va pas se marrer. Dans une rue sombre de Manchester, la nuit, Johnny viole une femme qui finit quand même par se dégager et lui jure qu'un autre type le retrouvera pour lui régler son compte. Sans attendre davantage, le violeur décampe donc et s'enfuit jusqu'à Londres, où il finit par squatter l'appartement de son ancienne petite amie - je passe sur les détails. Naked débute alors véritablement en chronique de la zone. Johnny déambule dans les rues de l'Angleterre des réprouvés. Si le ton général du personnage - et du film tout entier - n'est pas dénué d'ironie, la réalité qui se trouve ici décrite frise souvent le sordide. Sans complaisance toutefois, la caméra navigue au coeur même d'une profonde misère urbaine. Méconnaissable, la capitale anglaise est filmée du côté obscur. Un voyage dont on ne sort pas indemne.

Tout au long du film, je me suis souvent demandé où tout cela allait mener. La réponse appartient à chacun de nous. Celle du réalisateur reste à débattre. Personnellement, j'ai tout de même cru ressentir une certaine empathie de Mike Leigh pour Johnny et ses personnages les plus paumés. Le scénario ne repose en fait sur aucune intrigue structurée, mais plutôt une suite de péripéties, heureuses ou non. Les visages ainsi croisés sont multiples, l'impression dominante presque glauque. La fulgurance de dialogues en partie improvisés sauve Naked de la noirceur absolue. Bien plus qu'un représentant parmi d'autres de l'école du cinéma social britannique, cette oeuvre forte est aussi une réflexion sur l'humanité et son devenir. L'évolution de l'homme l'a-t-il conduit à un stade de développement avancé ? Pas sûr, en fait, même si la fin ouverte du long-métrage laisse une petite porte ouverte à l'imprévisible. À vous d'imaginer...

Naked
Film britannique de Mike Leigh (1993)
Prix de la mise en scène et Prix d'interprétation masculine: Naked était donc reparti de la Croisette avec deux trophées, trois ans seulement avant que Mike Leigh ne revienne pour décrocher la Palme avec Secrets et mensonges. Il me faudrait désormais revoir quelques vieux Ken Loach pour retrouver la crème du cinéma britannique engagé. Parmi les artistes plus jeunes capables d'aborder ces thématiques sociales avec talent, je veux citer Paddy Considine et son Tyrannosaur. Pas question pour autant que j'en vienne aussitôt à oublier le superbe Fish tank de la brillante Andrea Arnold.

vendredi 28 septembre 2012

La folie du conquérant

Werner Herzog a eu du cran. Quand, à l'aube des années 70, il a décidé de s'embarquer vers la forêt amazonienne pour y tourner Aguirre, la colère de Dieu, le réalisateur n'avait pas 30 ans. On dit qu'il lui aura suffi de six semaines pour tout mettre sur bobines. Généralement, la légende affirme aussi que le tournage aura été entrecoupé de vives disputes entre le cinéaste et son acteur principal, Klaus Kinski. Ce qui est montré à l'image suggère d'ailleurs clairement que cette "escapade" n'aura pas été une partie de plaisir. Et quatre décennies plus tard, le film n'a rien perdu de sa puissance.

L'action d'Aguirre, la colère de Dieu est située en 1560. Le roi Philippe II d'Espagne a envoyé ses conquistadors en mission exploratoire sur le continent américain. Quand le long-métrage commence, une troupe de centaines d'hommes, esclaves "indiens" compris, dévale la montagne et s'enfonce dans la jungle. La tâche s'avérant particulièrement périlleuse, le commandant en chef décide de désigner un petit groupe d'éclaireurs pour trouver des vivres supplémentaires et repérer les éventuels ennemis sur le chemin. L'enjeu est de taille: à terme, il s'agit ni plus ni moins de ramener vers la mère-patrie l'or du mythique El Dorado. Le scénario s'intéresse alors au devenir de ces hommes envoyés vers l'avant. Parmi eux, dans le rôle-titre, il y a donc l'incroyable Klaus Kinski. Avec une carrière débutée en 1948, le comédien, déjà bien avancé dans la quarantaine, n'est plus franchement un jeune premier. Il joue ici constamment sur le fil du rasoir. Son rôle l'habite totalement. Gros plan sur une grande, très grande performance d'interprétation.

L'intérêt du film ne se limite toutefois pas à ce jeu un peu fou. Candidat au César du meilleur film étranger, le long-métrage marquait à l'époque un certain renouveau du cinéma allemand. Constat d'évidence: bien que racontée en costumes, cette histoire mégalomaniaque peut aussi trouver des résonances actuelles. Certes passablement funeste, l'ambition démesurée des conquérants espagnols du 16ème siècle reste finalement très humaine. L'aventure cinématographique de ces diables d'hommes s'inspire d'ailleurs d'éléments historiques avérés, qu'elle ne modifie qu'à la marge. Aguirre, la colère de Dieu reste un film bien ancré dans son époque. Napée de synthétiseurs, sa très curieuse bande originale vient ajouter au sentiment de malaise que fait naître la contemplation passive de ce triste spectacle. Sur le plan formel, je salue encore l'audace d'une mise en scène sur site, au mépris parfois des dangers de la nature. C'est ainsi que peuvent naître les grands films. Beaucoup de réalisateurs d'aujourd'hui feraient bien de s'en souvenir.

Aguirre, la colère de Dieu
Film allemand de Werner Herzog (1972)
Pour les risques qu'il faisait courir à ses acteurs, Werner Herzog serait paraît-il comparé à Sergio Leone, son homologue italien. Quelque part, je me dis donc que ce cinéma sans compromis permet de voir de grandes choses. Pas question de me plaindre ! Et sachant qu'il est ici question de remonter un fleuve, il me paraît bien difficile de ne pas citer Apocalypse now en autre point de comparaison possible, folie du projet comprise. Maintenant que j'ai eu l'occasion d'apprécier les deux films, je peux également confirmer que celui d'aujourd'hui peut former un diptyque avec Fitzcarraldo, oeuvre postérieure du même réalisateur. Il n'y a là que du grand cinéma !

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Pour un autre regard sur le film...
Je vous recommande de lire l'analyse du blog "L'oeil sur l'écran".

mercredi 26 septembre 2012

Devenir mère (ou pas)

Une autre histoire avec voix off, mais cette fois, le narrateur apparaît à l'écran. La narratrice, plutôt: Juno - c'est son nom - est une jeune Américaine. À tout juste seize ans, elle décide de faire l'amour à un garçon du voisinage et, quelques semaines et trois tests de grossesse plus tard, découvre qu'elle est enceinte. Plus embêtée qu'inquiète, la demoiselle cherche une solution, envisage d'abord d'avorter et finit par garder l'enfant dans l'idée de le donner aussitôt à un couple incapable d'en avoir un. Couple qu'elle a déjà déniché dans les pages petites annonces de Dieu sait quel journal spécialisé.

Porte-étendard d'un certain cinéma indépendant, Juno est un film que je voulais voir depuis longtemps. J'ai connu quelque difficulté avant d'entrer dedans - l'effet d'un doublage assez moyen, peut-être. Finalement, je me suis attaché aux personnages. Parmi les qualités du film, on peut sans doute citer le fait qu'une petite galaxie gravite autour de l'héroïne principale. Paradoxalement, le couple stérile cité juste au-dessus ne m'a que moyennement intéressé: en dépit d'ailleurs de quelques bonnes répliques, la manière dont il rencontre la jeune fille m'a paru bien artificielle. J'ai en fait préféré les parents de l'adolescente, un peu désorientés, certes, mais compréhensifs. Joué par un acteur que j'apprécie, J.K. Simmons, Papa montre d'étonnantes capacités d'adaptation. Quant à Belle-maman, j'ai aimé en elle un certain cynisme et Allison Janney n'est pas mal du tout. N'oublions pas Michael Cera, plutôt inspiré en jeune homme rêveur confronté à une paternité non désirée et qui assume, finalement.

Ici et là, j'ai lu toutes sortes de choses sur ce second long-métrage du cinéaste canadien Jason Reitman. Les meilleures et les pires. Juno ne plaît pas à tout le monde - c'est un euphémisme. Faut-il oser le recommander aux jeunes filles de l'âge de son héroïne ? Question difficile. C'est vrai que, dans le fond, le bébé passe pour un objet plus ou moins agréable qu'on peut toujours refiler au premier voisin venu si on préfère s'occuper d'autre chose - et par exemple de soi. Certains disent que le film donne du grain à moudre aux militants anti-avortement, d'autres qu'il risque de déresponsabiliser les jeunes face à la grossesse. Pas envie d'entrer dans le débat. Sur le plan strictement cinématographique, j'ai bien aimé le montage en saisons et les sons d'une bande originale pop plutôt efficace. J'ai cru comprendre après l'avoir vue que cette production anglo-saxonne était le remake d'un autre film sud-coréen. Franchement à son aise dans le rôle-titre, la jeune Ellen Page fait oublier cette antériorité.

Juno
Film américano-canadien de Jason Reitman (2007)
Chose curieuse pour une reprise: en 2008, le long-métrage a reçu l'Oscar du meilleur scénario original. Dans la série des petits films indépendants, je préfère (500) jours ensemble ou Away we go. J'ai aussi entendu du bien de Little miss Sunshine, dont je devrais reparler tôt ou tard. Le cinéma indépendant mérite qu'on s'y attarde un peu. Autre exemple récent: le très chouette Moonrise Kingdom.

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D'autres avis pour le moins contrastés...
Juno, comme je l'ai déjà dit, ne fait vraiment pas l'unanimité. Pascale, de "Sur la route du cinéma", le descend en flamme. Il fait l'objet d'une critique plus louangeuse sur "L'oeil sur l'écran". Cité également sur "L'impossible blog ciné", il l'est dans un top de l'année et, pour Ellen Page, dans la liste des révélations 2008. Si j'ai évoqué 2007, c'est comme année de sa sortie aux États-Unis et au Canada.

lundi 24 septembre 2012

Regards nostalgiques

Je préfère être prudent. N'étant pas (encore ?) un grand connaisseur du cinéma de Woody Allen, je me garde bien d'évaluer la qualité autobiographique de Radio days. Juste une certitude: le réalisateur est aussi le narrateur de cette histoire, sans apparaître face caméra. Il est également très probable qu'il ait mis de lui dans le personnage de Joe Needleman, le petit garçon juif autour duquel tourne l'histoire du film. Sans référence précise, Wikipedia avance que le cinéaste considère le long-métrage comme le meilleur de sa filmographie. Qu'il me soit permis de disconvenir, tout en reconnaissant humblement qu'Allen s'est peut-être fait plaisir. Tout simplement.

Ce bon vieux Woody fait tout même preuve d'un incroyable talent pour camper un décor original, ici, celui de l'Amérique prolétarienne des années 40. Radio days n'a pas exactement une structure ordinaire. Pas linéaire pour un sou, le scénario bâtit un kaléidoscope de personnages et de situations. C'est le transistor qui vient relier toutes les histoires entre elles: on nous invite à nous intéresser autant à ceux qui fabriquent les émissions qu'à ceux qui les écoutent. L'air de rien, on nous parle donc d'un temps que les moins de 60 ans ne peuvent pas connaître. En ce temps-là, pas de télé, encore moins d'Internet ou de téléphone portable. Le monde extérieur parvenait jusqu'aux gens par la seule puissance de la voix, souvent en différé. Et un petit garçon pouvait encore rêver de héros qu'il ne voyait pas...

Qu'un cinéaste - alors âgé de 52 ans - aborde avec une telle justesse l'apport d'un autre média, c'est sûrement nostalgique, mais aussi plutôt émouvant. Je gage qu'à défaut d'y reconnaître une évocation de l'enfance de Woody Allen, quelques vieux Américains se sont d'abord souvenus de leur propre jeunesse. Les bases du cinéma allenien sont respectées, cela dit: plus concrètement, Radio days n'oublie pas d'être drôle et de parler d'amour. En mère parfaite, épouse fidèle d'un vieux chamailleur, tante vouée au célibat éternel ou maîtresse d'école sexy, la femme elle-même vient ici s'incarner sous différentes formes, qu'on retrouvera isolées dans d'autres films. Il faut aimer ce long-métrage dans sa multitude d'approches. Accepter de s'y perdre un peu pour mieux alors ressentir sa beauté.

Radio days
Film américain de Woody Allen (1987)
Un point à ne pas oublier: le long-métrage fait également la part belle à une bande originale jazz du meilleur niveau. Il me paraît tellement intime que je ne vois guère d'autres oeuvres cinématographiques qui pourraient lui être comparées. Si vous aimez cette musique et les films d'époque, jetez quand même un oeil à Bird de Clint Eastwood. En attendant que je continue avec Woody Allen...

samedi 22 septembre 2012

Seule dans la ville

Avec Woody Allen, je me rapproche doucement de mon objectif. Parce que le New-Yorkais fait du cinéma depuis 1966, il m'a paru essentiel de ne pas me contenter de ses films récents. L'envie d'appréhender son travail plus ancien me titille depuis un moment. C'est dans cette logique que j'ai vu Alice il y a quelques jours. Possible que le titre vous dise quelque chose ou que l'affiche trouve un écho dans un recoin de votre mémoire: dans une allure qui peut rappeler celle d'Audrey Hepburn, on y voit la tête de Mia Farrow, boucles d'oreille et chapeau rouge, regarder de côté. Symbolique...

Encore l'une de ces grandes bourgeoises en qui Woody Allen puise d'infinies idées de cinéma. Avec Alice, le cinéaste livre une comédie douce-amère. Femme mariée depuis bientôt seize ans, son héroïne s'ennuie terriblement à Manhattan. Sa bonne (?) éducation catholique la retient de tromper son mari mais, en réalité, ce n'est pas l'envie qui manque. Madame Tate a des idées coquines, mais n'ose pas passer à l'acte. Se croyant malade et souffrant du dos, elle multiplie les séances médicales, sans résultat jusqu'alors. D'emblée convaincue qu'il n'aura aucune solution à ses problèmes, elle finit tout de même par consulter le médecin chinois conseillé par une de ses rares amies et se voit prescrire toutes sortes d'herbes aux effets ravageurs. Silence désormais: à vous de découvrir comment Woody Allen fait évoluer cette histoire. Une précision: il n'apparaît pas dans le film. C'est peut-être parce qu'il s'est créé un double féminin. Je ne sais pas s'il le ressent ainsi, mais ça ne me semble pas absurde de le penser.

Concentré sur son travail derrière la caméra, il signe ici une oeuvre sensible, encore embellie par une petite dose de fantastique. L'amour est presque toujours difficile, chez Woody Allen. Il est ici assez triste, malgré quelques belles séquences lumineuses. L'auteur qui s'intéresse à ces thématiques doit évidemment pouvoir compter sur des comédiens au sommet de leur art pour rendre crédible pareille histoire. Sans peur de me tromper, je dirais donc qu'Alice est d'abord le film de Mia Farrow. L'actrice est ici filmée par l'homme qui l'aime, c'est vrai. Il n'empêche qu'elle est remarquable d'expressivité sur toute la palette des sentiments. Tout tourne autour d'elle, de son questionnement existentiel, de ses petites joies et de ses grands renoncements. Du côté des hommes, William Hurt, Joe Mantegna et un stupéfiant Alec Baldwin complètent le boulot. Parce que certaines scènes sont vraiment drôles, j'ai beaucoup aimé le yo-yo émotionnel auquel ce film nous convie. Et j'en redemande !

Alice
Film américain de Woody Allen (1990)
Une solitude affective dans la grande ville qui éveille des amours compliquées: je citais Audrey Hepburn pour commencer et on peut penser à Diamants sur canapé en voyant ce long-métrage. J'ai pris Alice Tate en affection comme je l'avais fait pour Holly Golightly. Notons toutefois qu'au final, leurs destinées divergent nettement. Pour l'heure, parmi les Woody Allen que j'ai déjà découverts, je place Alice parmi les meilleurs, au niveau de Tout le monde dit I love you ou juste devant. Il me faudra une émotion costaude pour le déloger. Détail: le film fait quelques clins d'oeil... à Certains l'aiment chaud.

jeudi 20 septembre 2012

Une fille sinon rien

Il a coûté environ 36 millions de dollars et en a rapporté 200 de plus dans le monde entier. Avec 2,5 millions de spectateurs dans les salles françaises, American pie peut être qualifié de film générationnel.

C'est mon amie Killaee qui tenait absolument à me le montrer. Pari gagné: j'ai bien rigolé devant les aventures de ces quatre petits mecs au célibat forcé. Kevin, Jim, Oz et Finch en auront bientôt terminé avec les années lycée. Ils font un pacte: se soutenir les uns les autres et le perdre. Je parle de leur pucelage, vous l'aviez deviné, j'espère.

Bon, si vous aimez la finesse et le bon goût, circulez ! American pie navigue clairement sous la ceinture. Bon point: il l'assume parfaitement et rend finalement ces quatre anti-héros sympathiques dans leur quête du Graal féminin. Malgré certaines scènes franchement scatologiques, le film parvient à emporter le morceau grâce à une certaine fraîcheur. Les mecs n'apparaissent pas toujours sous leur meilleur jour, si vous voyez ce que je veux dire. Et les gags font mouche le plus souvent, pas si éloignés de la réalité des ados.

Les deux réalisateurs du film ont compris un truc essentiel, je crois. Comme tout bon teen movie qui se respecte, American pie campe des personnages typés, mais capables d'évoluer: le timide qui ose s'encanailler via Internet, le sportif au coeur tendre qui préfère finalement sa copine à son équipe, le con décomplexé et chambreur pris à son propre jeu, par exemple. Je ne dis pas que j'aimerais voir l'ensemble de la série. Juste que j'ai passé un vrai bon moment devant ce premier des sept épisodes... et un burger made by Killaee.

American pie
Film américain de Chris et Paul Weitz (1999)
Rappelez-vous ce que j'ai sous-entendu il y a quelques mois: si j'ai vu le film, c'est aussi pour le comparer à Projet X, autre teen movie sorti au cinéma cette année. Celui d'aujourd'hui est bien meilleur. Plus drôle et moins provocateur, il est également le tout premier film de ses auteurs. Les frères Weitz sont du genre polyvalent: ils ont travaillé sur la série Twilight et avec Hugh Grant (Pour un garçon).

mardi 18 septembre 2012

Gilles Jacob sur le vif

Un privilège ! Ou à tout le moins un vrai bon gros coup de chance ! Mardi dernier, mon travail m'a offert l'occasion d'une rencontre informelle avec Gilles Jacob, critique cinéma dans les années 60-70 et actuel président... du Festival de Cannes. Venu à Monaco apporter une contribution à une exposition collective d'artistes du monde entier, il a présenté avec une modestie touchante une petite partie de ses propres images du Festival, à découvrir au fil de l'échange. Seul le portrait est de moi. Mes remerciements à Axelle, avec qui j'ai réalisé cette longue interview, et à Nathalie, qui l'a rendue possible. Merci enfin à Laurence, qui m'a permis de la réaliser et de la publier.

C'est la première fois que vous exposez en Principauté ?
Oui. Pas la première fois, mais la première fois à Monaco.

Comment cela s'est-il organisé ?
On me l'a demandé. Les photos que vous voyez rassemblées appartiennent à la ville de Cannes: je leur en ai fait don et suis ensuite intervenu pour qu'on les prête à Monaco. Il n'y a pas de raison qu'il y ait des rivalités méditerranéennes.

Et d'autant que Monaco et le cinéma, c'est une grande histoire...
Effectivement. Je parlais justement à l'instant avec l'un de vos confrères de la princesse Grace, sachant qu'un film se tourne sur elle. L'une de mes premières actions au Festival de Cannes aura été de l'accueillir pour l'hommage à Hitchcock. À la mort de ce dernier, nous avions fait un film de montage et elle est venue le voir. Il existe même une photo de moi la raccompagnant à sa voiture.

Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
Cette femme était belle, pas la peine de le dire, et en même temps, elle s'intéressait aux gens, ce qui est très rare. Bien souvent, en tant que star, on est déconnecté de la réalité. Elle, on voyait qu'elle avait en elle une certaine bonté, cet intérêt pour l'humain. Et ça n'arrive pas tous les jours...

Dans toute sa filmographie, y aurait-il un film que vous aimez particulièrement ? À Monaco, évidemment, on parle très souvent de La main au collet...
Je l'adore aussi ! La scène la plus connue au monde, c'est sûrement celle dans le couloir, quand elle embrasse Cary Grant et referme ensuite la porte. Il n'y a pas un cinéphile qui ne connaisse pas cette scène-là... ou alors, il lui faut tout réapprendre ! Elle a été obligée d'arrêter le cinéma: sa carrière s'est interrompue trop tôt. J'adore aussi Fenêtre sur cour. James Stewart avec la jambe dans le plâtre et elle qui va et vient, finissant par être menacée... très grand film ! Film sur la photographie d'ailleurs, avec ce héros immobilisé...

Et qui voit ce qu'il ne devrait pas forcément voir !
Exactement !

Et vous, alors ? D'où vous vient cet intérêt pour la photographie ?
Du fait d'abord que c'est un art voisin du cinéma. Quand les appareils numériques sont apparus, je me suis rendu compte à quel point ça pouvait être facile de faire de la photo. Ce qui m'intéresse, c'est de voler des photos, de voler l'instant... d'arriver à reconstituer une seconde de vie. Ça m'est égal que la photo soit floue, bougée ou pas bonne, pourvu qu'on arrive à capter un regard, quelque chose dans la rue ou n'importe quoi. J'appelle ça des photos volées comme Truffaut disait Baisers volés. S'il faut s'installer, poser... le sujet est parti. L'oiseau est un bon thème de photo parce qu'il s'envole. Si vous l'avez eu, c'est que vous avez été assez rapide. En magie, il existe d'ailleurs une feinte dite de l'oiseau. Je vous montre un oiseau, vous vous retournez pour le voir et c'est à ce moment-là que je peux faire ma manipulation. Le photographe doit utiliser cette feinte aussi.

Une sélection a-t-elle été faite dans les photos que vous exposez ? On y reconnaît beaucoup d'acteurs américains...
Cette sélection n'est pas de moi. Je dois faire 10-20% de photos avec Cannes et, le reste de l'année, d'autres photos du quotidien. C'est celles-là que j'aime ! Après, je ne vais pas dire: "Non, je ne montre pas les photos de Cannes". Elles sont à tout le monde ! Mon idée, c'est bien de donner les photos que je fais. À Cannes, cette année, j'ai par exemple "twitté" les photos du jury en cours de délibération. C'est la première fois que cela se faisait dans le monde. En donnant ça à Match ou à qui vous voulez, j'aurais pu faire un argent fou. Mais je me suis dit qu'il fallait plutôt le donner au public qui ne venait pas à Cannes. Après, les gens en font ce qu'ils veulent. Je tiens beaucoup à rendre au cinéma ce que le cinéma m'a donné. J'ai quand même été très privilégié. Alors j'essaye d'aider de jeunes gens, de former...

Et Cannes, ce ne sont pas que des stars hollywoodiennes...
Non. Et si vous allez voir les photos sur le côté, nous allons peut-être trouver un terrain d'entente...

Et si on vous demande si vous en avez une préférée ? Vous allez répondre non...
Celle que j'aime bien, c'est celle-là. Je fais beaucoup d'autoportraits et pour faire ça, il faut se mettre en grand danger. Monter en équilibre sur une baignoire dans une petite salle de bains et parvenir à viser. Ça n'a l'air de rien, mais pour être dans la glace, ce n'est pas évident ! J'en ai une autre, dans ce genre. Je m'amuse, parce que c'est difficile à réaliser... et ce sont bien mes seules photos posées ! Sinon, j'aime beaucoup les photos prises dans la rue. Je dis la rue comme ça peut être la campagne. Ce qui m'intéresse, c'est de retrouver la vie quotidienne d'une manière extrêmement simple. Après tout, les grands photographes de l'histoire, des années 30-40, c'est ce qu'ils faisaient. Pour moi, la plus belle photo du monde reste Le baiser de Doisneau. Bon, il paraît que ça a été reconstitué... mais je veux croire que non. D'ailleurs, dans mon Livre d'or, j'ai un couple sur la Croisette qui fait exactement Le baiser de Doisneau, qui s'embrasse peut-être pour la dernière fois. Il y a le goût de l'ailleurs avec le paquebot qui s'en va. Notre région s'y prête bien.

Les stars que vous photographiez voient d'autres photographes tous les jours. Vous avez, vous, un autre regard sur elles...
Mon privilège à moi, c'est que ces stars sont la locomotive qui tire les wagons que sont mes autres photos.

Les stars vous regardent aussi différemment, sans doute...
C'est vrai. Si vous prenez Sharon Stone, par exemple, son regard est à la fois étonné et amusé. C'est la première fois... et ça ne marche qu'une fois ! Sur cette photo, elle éclate de rire. Jamais elle n'aurait pu imaginer ça ! Une fois délivrées du grand mur de photographes, les stars ne s'attendent pas à ça... et surtout venant de moi !

On vous a déjà demandé ce que vous faisiez ?
Non, jamais. Après tout, il faut bien dire que les stars sont ici au maximum de leur beauté, habillées, coiffées... sur les marches de Cannes, elles ne viennent pas débraillées. Elles acceptent donc: ça fait partie du jeu. Elles savent aussi que mon regard à moi est bienveillant, amoureux, chaleureux... si la photo n'est pas bonne, je la jette. J'ai fait beaucoup d'autres photos dans la coulisse, mais je ne les montre pas. Là, il me faudrait des autorisations. Par exemple, si, au dernier moment, on rajuste les cheveux d'une comédienne qui va remettre un prix, elle n'aura pas forcément envie de le montrer. Et en même temps, c'est passionnant... j'espère donc qu'un jour, elles accepteront ! C'est aussi une façon de montrer l'envers du décor.

Invité par vous, Andrzej Wajda était venu à Cannes en 1978. C'était alors une vraie performance ! Est-ce, paradoxalement, plus compliqué aujourd'hui d'accueillir des stars pour lesquelles, théoriquement, les difficultés devraient être moindres ?
C'est vrai qu'aujourd'hui, les stars font le service après vente convenu avec leur société de production, qui paye le voyage, le séjour... avec leurs agents et leurs gardes du corps. Elles acceptent peu de choses: photo-call, montée des marches, une demi-journée presse française, une demi-journée presse internationale. Point final. Le deal est respecté par les deux parties, mais c'est l'usine ! Huit ou dix journalistes à la fois, pas plus de six minutes par session. Beaucoup de journalistes refusent, d'ailleurs. À une époque révolue, les acteurs allaient du Carlton au Palais des festivals en se promenant, en disant bonjour aux gens. C'est fini, tout ça. Maintenant, ils sont dans des voitures fermées aux vitres teintées. Ce n'est pas lié à Cannes, mais dans leur tête, il y a un sentiment d'insécurité: ils se demandent ce qui va leur arriver. C'est dommage.

Certains, moins connus, sont peut-être un peu plus décontractés...
Oui, avec ceux-là, pas de problème. Sauf que, pour les journalistes, ils ne comptent pas ! Ils aimeraient bien qu'on les interviewe également, tous ces cinéastes des sections parallèles. Je ne dis pas que ce n'est pas le cas, mais il y a quand même moins de monde. Tout ce qui est magazine ou télé ne s'intéresse qu'aux people, alors que ce qui nous intéresse, nous, c'est la promotion du cinéma...

Effectivement, Apichatpong Weerasetakhul, ce n'est pas vraiment un people...
Voilà ! Rien que taper son nom, c'est déjà une expérience ! Que voulez-vous ? Il faut vivre avec son temps. Il y a d'autres avantages. Ainsi, aujourd'hui, d'une diffusion du cinéma dans le monde entier qui n'existait pas autrefois.

Parmi les nombreux artistes qui exposent avec vous, on retrouve Robert Redford. Or, l'un de ses derniers films - La conspiration - n'est pas sorti dans les cinémas français. Faut-il que le Festival aide des gens comme Robert Redford... aussi ?
Je l'ignore, mais probablement avez-vous raison. On a montré son travail, déjà. Je dois dire que, quand Redford est venu à Cannes pour la première fois, j'étais assis avec lui, sur la plage. Il défendait un film de Sydney Pollack, Jeremiah Johnson. Je vous parle du début des années 70. À table, il y avait Pollack au milieu, tous les journalistes autour de lui et, au bout, Redford qui s'embêtait. À ce moment-là, c'était juste un bon acteur... pas encore Robert Redford.

Il faut du temps pour le devenir...
Oui. Il faut du temps. Absolument.

Et un peu de talent aussi, peut-être ?
Oui, bien sûr ! Ces gens, s'ils n'ont pas de talent, ils ne restent pas.

L'avenir du cinéma, vous le voyez comment ? Que pensez-vous notamment de la 3D et de toutes ces nouvelles technologies ?
Ça ne m'intéresse pas beaucoup, la technique pour la technique. C'est très bien d'arriver à reconstituer tous les éléphants de l'Antiquité pour moins cher, mais moi, j'aime le cinéma qui touche les gens. Et pour ça, il faut faire ce que j'appelle du cinéma "about people". Tous les sentiments humains m'intéressent plus que des légions en train de charger. Cela dit, le cinéma est un patchwork et nous sommes là pour le montrer en train d'évoluer, pour être en avance sur l'écriture cinématographique. La 3D devient incontournable, mais prenez un film comme celui de Doillon, La drôlesse, avec deux personnages dans un grenier pendant une heure et demie... pas besoin de 3D !

Un petit mot sur le prochain Festival de Cannes ?
Ah, la question incontournable ! Tout le monde est déjà au travail. Pas d'éléments nouveaux, toutefois, parce qu'on est vraiment encore au début. Il faut à peu près treize mois pour un film international entre le moment où son tournage commence et celui où on sait s'il viendra à Cannes. Les films du prochain Festival sont donc soit en fin de tournage, soit en début de montage. Ce n'est pas un scoop...

Peut-être pas, mais c'est intéressant quand même...
Vous savez, à la limite, aujourd'hui, on découvre presque la sélection en lisant vos confrères qui, des mois à l'avance, nous expliquent comment ça va être. Il y a certains films incontournables, bien entendu. Il n'est très pas compliqué de deviner qu'on va forcément s'intéresser à un nouveau film de Scorsese, de Tarantino ou autre...

Ou de Malick !
Par exemple, oui. On arrive ainsi à avoir des listes de 60 à 80 noms. Dans le tas, on en retient forcément quelques-uns. On peut trouver une sélection quelque huit mois à l'avance...

À propos de Malick... vous avez vu son dernier film ?
Non, pas encore.

Il est allé vite, cette fois, après The tree of life...
Effectivement, il accélère... et il a raison. Laisser passer sept ans entre deux films, c'était bon pour Kubrick. Moi, je ne suis pas pour. La vie est courte !

Kubrick, je crois savoir que c'est d'ailleurs l'un de vos regrets. N'être pas parvenu à l'accueillir à Cannes...
Effectivement ! Cela ne s'est jamais fait, mais j'ai tout essayé. Bon. D'abord, il ne prenait pas l'avion. Le tunnel sous la Manche n'existait pas encore. Et puis, les studios étaient réticents ! Kubrick, c'était quand même le seul à faire des films sans les montrer aux studios. J'ai d'ailleurs raconté dans mon livre La vie passera comme un rêve comment il roulait les patrons de studios américains. Très drôle !

J'aimerais terminer avec vos coups de coeur cinématographiques du moment. Des films vous ont-ils particulièrement plu dernièrement ? Certains vous ont-ils procuré un frisson ?
Je regarde des films tous les jours, mais ce ne sont peut-être pas ceux que vous allez regarder. J'en regarde que j'ai envie de revoir...

De revoir ?
Bien sûr, j'en vois aussi par nécessité professionnelle, mais il n'y a pas longtemps, j'ai revu Pépé le Moko, par exemple. Je voulais revoir Mireille Balin. J'écris actuellement un livre où on parle d'elle. Quand vous commencez un film comme ça, c'est dur de le lâcher !

lundi 17 septembre 2012

Mon inquiétude pour Bilbo

Il ne me reste désormais que trois petits mois. Je fais partie de ceux qui attendent avec une certaine impatience la sortie du nouveau film de Peter Jackson inspiré de l’univers Tolkien, adaptation du roman Bilbo le Hobbit. Je vais peut-être lire le bouquin pour garder patience. Je sais simplement que l'histoire qui y est contée précède de peu celle de la trilogie Le seigneur des anneaux. Revenir au texte avant de passer aux images n'est sûrement pas une mauvaise idée. Avec cette centaine de jours devant moi, j'en ai largement le temps.

Pourquoi est-ce que je suis inquiet ? Parce que je constate que, malgré quelques raccourcis discutables, Peter Jackson avait signé trois grands films avec Le seigneur des anneaux. Trois tomes littéraires, trois longs-métrages: rien à redire. J'ai toutefois appris récemment qu'il comptait s'offrir une nouvelle trilogie avec Bilbo. Cette fois, je crains une profonde relecture du roman - un livre unique qui tient dans une (petite) poche. Notez, c'est une raison supplémentaire pour me plonger dans une lecture par anticipation. C'est d'ailleurs une "technique" que j'avais déjà adoptée précédemment, sans que ça vienne gâcher mon plaisir de cinéma. Respectueux du texte littéraire, j'ai admis qu'il ne puisse être retranscrit tel quel. Le septième art a ses propres codes et raisons.

Le 5 juillet dernier, j'ai lu dans Le Monde un long reportage consacré à Christopher Tolkien, fils et héritier du romancier, âgé de 87 ans aujourd'hui. Il y était expliqué que le vieux monsieur se désolait parfois de voir le public concentrer son intérêt sur une petite partie de l'oeuvre paternelle. Toute sa vie durant, lui a cherché à faire connaître l'ensemble, largement inédit à la mort du maître, en 1973. Exécuteur testamentaire de son père, il gère aussi une société chargée de la redistribution des droits, dont l'une des branches développe des projets éducatifs et humanitaires. Christopher Tolkien soulignait alors qu'il pourrait écrire un livre... sur les demandes bizarroïdes qui lui ont été faites. Il l'admet: "Le fossé qui s'est creusé entre la beauté de l'oeuvre et ce qu'elle est devenue me dépasse".

samedi 15 septembre 2012

La nouvelle guerre du feu

Je ne m'attendais pas à grand-chose le soir où j'ai choisi de lancer Eragon sur ma platine DVD. J'avais juste envie d'un film pour soirée plateau-télé, 100% garanti sans prise de tête. C'est ce que j'ai vu.

Adapté du premier tome d’une tétralogie de papier, le long-métrage conte les aventures d'un jeune paysan qui, en chassant aux alentours de son village, fait un beau jour la découverte… d'un œuf de dragon. Or, la légende de ce pays dominé par un roi tyrannique veut qu'autrefois, le monde était défendu par un groupe de chevaliers amis des cracheurs de feu. Et voilà donc leur héritier tant espéré !

Cette introduction ultra-classique passée, c'est parti pour une heure et demie de cavalcade dans des paysages enchanteurs, soit le temps de rassembler une troupe suffisante pour renverser d'un coup l'infâme monarque et le cours de l'histoire. Pas de doute sur un point précis: l'ensemble de ceux qui ont travaillé sur la version cinéma d'Eragon ont bien appris leur leçon. Ils la récitent sans effort apparent, mais sans imagination. C'est loin d'être la première fois que le septième art s'intéresse à ce type de personnages et le film pâtit largement de la comparaison avec les standards du genre. Disons qu'il ne m'a jamais vraiment emballé. Trop prévisible pour ça.

Au terme de l'aventure, il y a fort à parier que vous envisagerez déjà une suite. Renseignements pris, il était bel et bien prévu d'adapter les autres tomes du bouquin originel. Problème: en salles, Eragon restera un flop, ayant même moins rapporté que ce qu'il avait coûté. Le public s'est peut-être lassé de l'heroic fantasy ou en attend mieux désormais. Malgré le peu de charisme déployé par Edward Speleers dans le rôle-titre, la présence d'autres acteurs chevronnés, à l'image de John Malkovich, Robert Carlyle ou Jeremy Irons pouvait laisser espérer une fresque plus épique. Cette escapade à dos de dragon(ne) m'a certes été agréable, mais je garde un sentiment de frustration.

Eragon
Film américain de Stefen Fangmeier (2006)
Ceux qui parlent du film le comparent souvent avec la grande trilogie Le seigneur des anneaux. Le niveau est plus faible ici, au point qu'on peut presque parler de pâle copie – si ce n'est de plagiat. Personnellement, je placerais le long-métrage à un niveau équivalent à celui de Blanche Neige et le chasseur. Allez, si vous tenez absolument à voir des dragons, un conseil: voyez plutôt... Dragons !

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Un petit mot encore ?
Pascale, de "Sur la route du cinéma", évoque le film très brièvement.

jeudi 13 septembre 2012

En suivant le poisson...

Me lâcher complètement dans l'écriture, essayer de rendre compte d'un film farfelu en utilisant un style lui-même débridé, on me l'a déjà conseillé. J'aimerais bien y parvenir. Le truc, c'est qu'il faut quand même un peu d'imagination au départ. Or, et c'est là finalement que le chien se mord la queue, il est difficile d'en avoir plus qu'un type comme Emir Kusturica. Peu de temps après que j'ai décidé de regarder Arizona dream, Killaee m'a confirmé que j'avais raison d'anticiper un truc décalé. C'est peu dire ! Le film est gratiné ! Cela dit, notons-le également tout de go: il m'a vraiment bien plu.

Des balises pour se repérer ? Elles peuvent éventuellement vous être fournies par le visage familier des certains acteurs, Johnny Depp, Faye Dunaway ou Jerry Lewis. Vincent Gallo, je connaissais de nom. Lili Taylor et les autres restaient pour moi inconnus au bataillon. L'histoire ? Arizona dream suit les pas d'un jeune fonctionnaire amoureux des poissons qu'il est censé recenser. Trentenaire orphelin depuis la mort de ses parents dans un accident, Axel Blackmar paraît déterminé à ne pas mener autre chose qu'une vie de bohème. L'existence paisible qu'il suit en solitaire sera pourtant bouleversée quand son oncle le rappellera dans sa ville natale pour lui demander d'être... son témoin de mariage - et, ensuite, son héritier probable. Ce qu'Axel finira par accepter, devenant ainsi concessionnaire auto.

À partir de là, le film sera vraiment sur les rails et le sera un peu plus encore au moment où son drôle de héros rencontrera deux femmes fâchées l'une contre l'autre, une fille et sa mère, et se laissera embarquer dans leurs folies respectives. Arizona dream a le mérite d'annoncer un peu de sa couleur grâce à son titre: on peut avoir l'impression de rêver lors de ces deux grosses heures de cinéma incongru. Les personnages, eux, le font, d'une opportunité de jouer la comédie, d'une vie amoureuse épanouie, de la capacité de voler comme un oiseau ou encore d'une réincarnation en tortue. Étonnamment poétique, le long-métrage est très drôle par moments. À d'autres, il est aussi habité par la mélancolie et la mort. Un poisson vous servira de guide dans un curieux voyage, bien difficile à oublier.

Arizona dream
Film franco-américain d'Emir Kusturica (1993)
À cette époque, le réalisateur serbe est déjà connu des cinéphiles français, puisqu'il a obtenu une première Palme d'or pour son film Papa est en voyage d'affaires, en 1985. Underground lui en vaudra une seconde en 1995. Moi, jusqu'alors, je n'avais vu que des oeuvres sorties plus récemment: le très animé Chat noir chat blanc (1998) et l'à peine plus raisonnable La vie est un miracle (2004). Suffisant pour vous conseiller de vous essayer à cette filmographie fantasque. Pas assez, je crois, pour me risquer au petit jeu des comparaisons.

mardi 11 septembre 2012

Croc vacances

Se faire mousser les méninges dès le retour de vacances, ça peut évidemment se faire, mais il ne faut pas abuser de ces choses-là. Voilà pourquoi, après avoir regardé un film pointu, j'ai enchaîné l'autre jour avec un autre bien moins exigeant: Crocodile Dundee, qu'on présente toujours comme la plus rentable des productions australiennes. Une journaliste américaine y part rencontrer l’homme qui s'est montré capable de survivre à l'attaque d'un saurien particulièrement féroce. Pitch étrange pour qui n'aura pas entendu parler du long-métrage, mais les films d'aventures étaient redevenus assez populaires au cœur des années 80. L'influence Indiana Jones...

En 2012, ma foi, le concept a vécu. En VO, et parce que le chasseur de crocos finit par suivre la reportrice à New York, le décalage volontaire entre les deux accents crée un effet comique, parait-il. Soit. En français, Crocodile Dundee paraît gentiment kitsch. Honnêtement, j'ai souri deux ou trois fois, mais c'est plutôt un plaisir nostalgique que j'ai pris devant ces images. J'ai déjà dû admettre ici que la décennie 80 reste celle que je connais le moins, sur le plan artistique. L'aspect exotique de l'Australie, qui devait en faire rêver plus d'un à l'époque, est aujourd'hui moins net. Et les changements qu'a connus le monde depuis créent un autre et inéluctable décalage.

Crocodile Dundee garde un atout majeur dans sa manche: venu donc des antipodes, son casting est exclusivement composé d'acteurs inconnus - ou disons méconnus, parce que je me dis quand même que la trogne de Paul Hogan dans le rôle-titre vous sera familière. Finalement, devant le film, j'ai un peu eu l'impression d'un truc tourné pour la télé. Le fait est d'ailleurs que le réalisateur travaillait plutôt pour le petit écran. Très librement inspiré d'une anecdote arrivée à un vrai Australien, son film connut deux suites, confiées toutefois à d'autres que lui. J'ai l'air moqueur ? Je m'en voudrais donc de conclure ainsi. Pas de honte à revoir ce petit truc sans prétention.

Crocodile Dundee
Film australien de Peter Faiman (1986)
Trois étoiles seulement, mais le fait que le film vienne d'Australie rend les choses un tantinet plus intéressantes que s'il s'agissait plutôt d'une production US basique. En étant ouvert, on peut aussi déceler un tout petit message écolo-humaniste derrière la pochade. Bon. Dans le genre, il faudrait que je revoie À la poursuite du diamant vert, peut-être. Attention à ne pas le confondre - comme je l'ai souvent fait - avec La forêt d'émeraude, une oeuvre plus profonde.

dimanche 9 septembre 2012

Questionnements intimes

Jean-Pierre Melville fait partie d'un cercle (rouge ?) de réalisateurs qui me sont familiers, mais dont - c'est une bonne chose - j'ignore encore une bonne partie du travail. Tiré au sort avant que je parte en vacances, c'est son film Léon Morin prêtre que j'ai regardé le soir de mon retour. Film âpre pour une "reprise" ! Il m'attirait toutefois pour deux raisons de taille: Emmanuelle Riva et Jean-Paul Belmondo. J'ai prévu de retrouver la première dans la Palme d'or 2012, sortie programmée en octobre, et j'aime voir les vieux films du second. Âgé ici de 28 ans seulement, il n'est pas encore Bébel, mais bon...

Léon Morin prêtre est un film bavard, tiré d'un roman éponyme récompensé du Goncourt en 1962. Au cours de la dernière guerre mondiale, quelque part en zone occupée, une jeune femme se croit déterminée à "bouffer du curé". Quand Barny finit par s'engouffrer dans le confessionnal de l'église voisine, c'est dans le but d'attaquer l'abbé local sur son propre territoire. Surprise de taille: de l'autre côté de la grille aux confidences, l'homme a du répondant ! Il aime mieux engager le débat que de répondre à la provocation et d'administrer une quelconque pénitence. Ce qui devait n'être qu'une protestation presque politique devient l'amorce d'une étonnante discussion. Bientôt, d'autres suivront, sur la base de nombreux écrits philosophiques et théologiques. Si le décor dans lequel il est inscrit garde une certaine importance, Léon Morin prêtre est bien d'abord un dialogue, un échange de questions/réponses qui conserve de fait une certaine modernité. Porté par la belle sobriété du jeu du duo Riva/Belmondo, c'est un plaisir difficile, certes, mais pourtant réel.

Le cinéma y paraît presque secondaire. Si les scènes ne devaient pas s'enchaîner aussi vite, on se sentirait presque être au théâtre. L'ambiguïté relative des sentiments de Barny pour son confesseur déroute un peu: elle m'a fait me concentrer bien vite sur l'évolution de leurs rapports. En un mot, j'ai quasiment oublié d'examiner l'arrière-plan et l'ensemble des autres personnages. Rien à regretter. Il me semble que le reste n'est là que pour venir encore surligner l'importance de la dualité principale. Emmanuelle Riva, que j'attends donc avec impatience de revoir... 51 ans plus tard, est étonnante d'intensité. Son regard, notamment, garde à tout moment un air indécis, entre inquiétude, doute et joie. Comédien à l'expressivité animale s'il en est, Jean-Paul Belmondo bouffe la pellicule et s'avère aussi engagé qu'il le sera plus tard dans ses rôles de brute au coeur tendre - une vraie et belle redécouverte. Léon Morin prêtre fera probablement partie de ces films qui s'insinuent lentement en moi. Sur l'instant, je n'y ai parfois vu qu'un récit plan-plan des années 60 tout juste naissantes. Il a toutefois laissé une trace et je subodore que je n'ai pas fini d'y penser. Ce qui est finalement assez révélateur.

Léon Morin prêtre
Film français de Jean-Pierre Melville (1961)
La même année, à l'heure de ses tout premiers succès, Bébel tourne pas moins de sept autres films, avec Jean-Luc Godard notamment. J'aurais l'occasion d'en reparler, puisque cet opus est tiré d'une série de cinq DVD en ma possession, intitulée "Belmondo Nouvelle Vague". Pour une autre histoire d'homme et de femme par temps de guerre d'un ton différent, je peux conseiller le joli Fortunat. Michèle Morgan y accompagne Bourvil dans un de ses rares rôles mélodramatiques.

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À lire aussi...
L'analyse, plus courte, du cinéphile webmestre de "L'oeil sur l'écran".

À voir aussi ?
Il y un remake télé avec Robin Renucci et Nicole Garcia. Pas vu...

vendredi 7 septembre 2012

Rêve d'envol

Bon, en attendant le retour - hypothétique - de mes plumes associées, j'entame cette sixième année "bobinienne" sans mention de l'auteur de la chronique. Ce sera "Martin par défaut", OK ? Je tiens toutefois une promesse faite hier: l'apparition d'une nouvelle nation de cinéma sur le blog. Une fois encore, je me sens redevable à Arte.

C'est en effet la petite chaîne franco-allemande qui, un soir de match de foot, a préféré diffuser Captain Abu Raeb, un film... jordanien ! Je n'en avais jamais entendu parler avant de lire le programme télé en quête de (bons) choix estivaux. Même Télérama se contentait d'ailleurs de trois lignes de résumé. J'étais en route vers l'inconnu !

Si ce que j'ai lu depuis est exact, le long-métrage serait le premier issu de son pays depuis un demi-siècle ! Je crois pouvoir le présenter comme un spectacle familial, même si certaines (courtes) scènes recèlent une violence difficile à accepter pour les plus jeunes. Il est d'abord question d'un brave type, homme de ménage à l'aéroport d'Amman, qui découvre et s'accapare une casquette de pilote abandonnée à la poubelle. Avec ce couvre-chef, aux yeux d'un groupe d'enfants du voisinage, il va devenir le Captain Abu Raeb, de retour chez lui entre deux vols internationaux. Une jolie illusion maintenue avec d'autant plus de bonheur qu'elle vient idéalement combler le trou laissé par une longue solitude affective. À partir de cette trame poétique, le scénario esquisse alors d'autres thèmes plus profonds...

Pour être juste avec le film, je crois qu'il faut d'abord tenir compte du fait qu'il arrive un peu de nulle part. C'est un objet filmique légèrement bancal, peut-être un peu trop long, avec quelques ellipses bien venues et, à l'inverse, des scènes relativement dispensables. L'étonnant est que, d'abord assez drôle avec ce personnage principal au grand coeur, le long-métrage bascule petit à petit vers le drame. J'ai la très nette impression qu'il dit quelque chose de la Jordanie d'aujourd'hui, sans vraiment savoir à quoi m'en tenir, ne connaissant que très mal la situation actuelle du pays. Captain Abu Raeb m'a plu pour ce qu'il est: le représentant d'une nation dont j'ignorais jusqu'alors toutes les expressions artistiques. Il évoque de manière frontale la condition des femmes en terre d'Islam, celle des enfants, les conflits de génération, la vieillesse et la mort. C'est beaucoup. Trop, diront certains. Mais ça a le mérite d'exister et donc d'orienter notre regard vers autre chose que ce qu'il connaît déjà par coeur.

Captain Abu Raeb
Film jordanien d'Amin Matalqa (2007)
Cette découverte culturelle m'a fait songer à un autre film apprécié cette année et tourné autour d'un groupe d'enfants: Nobody knows. Du Japon à la Jordanie, il n'y a qu'un saut de puce, au plan alphabétique. L'espace est plus important dans la maîtrise de l'outil cinéma. Qu'importe: je me réjouis de voir s'ouvrir d'autres horizons.

jeudi 6 septembre 2012

Ma part du gâteau

Une chronique de Martin

Bon, d'accord, il y a un peu trop de bougies... mais je fête bien l'anniversaire du blog aujourd'hui. Oui, cinq ans déjà que je partage avec vous mes expériences cinématographiques. Je ne pensais pas tenir aussi longtemps, ni d'ailleurs développer cette vraie passion pour les films d'hier et d'aujourd'hui. L'adage veut que l’appétit vienne en mangeant. Vous en reprendrez bien une tranche, pas vrai ?

Puisque les anniversaires sont propices aux bilans chiffrés, je relève que Mille et une bobines compte à ce jour 727 chroniques et évoque 598 films - 580 que j'ai eu le plaisir de vous présenter et 18 analysés par mes plumes associées, entre décembre 2010 et mai 2011. Signe de leur domination sur le marché occidental, les longs-métrages américains s'offrent la part du lion: ils sont 281 contre 173 français. La troisième provenance du blog est la Grande-Bretagne, loin derrière toutefois, avec ses 44 films. L'Asie dans son ensemble pointe à 36 films, dont 15 japonais. Le très florissant marché indien ne compte que 2 représentants, soit autant que la Finlande, nation qui, sauf erreur, demeure la dernière à être entrée dans le cercle. Scoop pour les curieux et habitués: la prochaine ne tardera plus...

Mille et une bobines, c'est aussi une photographie - certes partielle - du cinéma de toutes les époques. Les oeuvres les plus récentes demeurent les plus nombreuses, avec 374 films sortis tout au long des années 2000 et au début de ces années 2010. Le blog évoque tout de même 35 films sortis avant 1960, 38 au cours de la décennie suivante, 44 des années 70, 44 encore des années 80. S'y ajoutent 63 des années 90. Faire mieux ? J'y ai souvent réfléchi. Soucieux d'abord d'écrire régulièrement, j'ai (provisoirement ?) renoncé à un index généraliste des acteurs, jugé trop chronophage. Je cherche vaguement le moyen de faire une passerelle vers la littérature, autour de romans ayant inspiré des films, évidemment. Suis-je reparti pour cinq ans ? Je n'en ai aucune idée. On verra bien en 2017 !

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Une précision qui peut être utile...
Le titre de cette chronique et les images choisies pour l'illustrer viennent du film éponyme de Cédric Klapisch, "Ma part du gâteau". Notez qu'il est possible que je reparle du réalisateur prochainement...

mardi 4 septembre 2012

Crise d'adolescence ?

Une chronique de Martin

Le conflit qui oppose depuis des lustres les partisans des studios Pixar et Dreamworks va-t-il prendre fin ? Je me pose la question quelques semaines après avoir vu Rebelle, tout dernier film d'animation des premiers nommés. Si certains d'entre vous l'ignorent encore, je précise que la firme à la lampe de bureau fait désormais partie du giron Disney. C'est assez flagrant ici. Le savoir-faire reste indubitable, mais c'est peut-être à un public rajeuni que l'on s'adresse dorénavant. Cherchez l'erreur: j'ai vu le film avec... ma grand-mère !

Comment elle l'a trouvé ? Bien, mais un peu bruyant. Opinion partagée avec ma mère, qui nous invitait à l'occasion. À l'initiative de cette sortie commune, je dois dire que j'ai bien aimé Rebelle. L'histoire est celle d'une jeune princesse irlandaise, décidée à rester maîtresse de son avenir et donc à refuser le traditionnel mariage clanique espéré par ses parents. Point positif: bien que ce scénario ne soit pas franchement innovant, il est pourtant tout à fait original. Une fois n'est pas coutume: Disney n'a pas pioché dans le répertoire magique des contes Grimm et Perrault pour trouver un personnage inexploité. L'héritage est là, clins d'oeil compris, mais pas les figures ancestrales. Mickey Mouse réécrit sa propre mythologie, en somme. Raconter des histoires enchanteresses, c'est sûr, la souris maîtrise.

Reste qu'il m'aura manqué une petite touche Pixar. On peut s'interroger sur ce que serait justement ce petit plus susceptible d'être apporté par le studio. Sans le définir vraiment, je dirais probablement un zeste de folie ou un supplément de poésie. Rebelle ne manque pas de beauté, mais peut-être de petites périodes décalées ici et là. Si j'ai choisi d'illustrer ma chronique d'une image des trois petits frères de l'héroïne Mérida, c'est parce que c'est typiquement l'exemple de ce que je peux attendre. Pas nécessaires au bon déroulement de l'intrigue, les rouquins offrent toutefois un fil rouge d'autant plus sympathique qu'ils sont muets. Leur apport burlesque est incontestable et montre bien que l'animation a plus d'une corde à son arc. À voir ce qu'elle nous offrira la prochaine fois...

Rebelle
Film américain de Mark Andrews (2012)
Après avoir vu le film, j'ai lu une critique qui évoquait l'attitude machiste du studio. En effet, si la star est ici féminine, le réalisateur est un homme, qui a repris seul un projet d'abord mené en binôme avec une femme - Brenda Chapman, pour ne pas la nommer. Le fait que le résultat ait une allure un peu hybride s'en trouve peut-être expliqué. Honnêtement, dans la série des histoires de princesses made in Disney, j'ai pu préférer l'approche légèrement plus "radicale" de Raiponce ou même de La princesse et la grenouille. Crise adolescente ou pas, Pixar paraît hésiter entre tradition et modernité.

dimanche 2 septembre 2012

Un fabuleux destin

Une chronique de Martin

Je l'admets: la coïncidence est troublante. Quand Arte m'a permis d'enfin découvrir Citizen Kane, cet immense classique venait juste de voir Sueurs froides - alias Vertigo - d'Alfred Hitchcock lui chiper la première place du grand classement du British Film Institute. Publiée tous les dix ans dans le magazine Sight & Sound, la hiérarchie dresse une liste de 50 films considérés donc comme les meilleurs créés depuis l'origine du cinéma. Discutable, oui, mais référentiel. Notez pour info que Voyage à Tokyo complète le podium 2012...

Existerait-t-il encore aujourd'hui dans le monde cinéphile occidental des amateurs qui n'aient jamais entendu parler de Citizen Kane ? J'aurais aimé en faire partie. Même sous forme parodique, la trame du film et son aboutissement sont généralement connus. Espérant ainsi mieux préserver votre plaisir de découvrir, je me contenterais de dire que le long-métrage trace le parcours d'une vie. Le prétexte d'Orson Welles pour ouvrir son récit réside dans les dernières paroles de son héros. "Rosebud": avant de s'éteindre, Charles Foster Kane prononce ce mot mystérieux et, magnat de la presse, lance au public le dernier aspect de sa personnalité resté inconnu jusqu'alors. L'enquête rendue nécessaire sert de fil conducteur au scénario.

Le film repose donc sur une série de flashbacks, depuis l'enfance campagnarde et modeste du futur grand patron. Au cours d'une scène d'une saisissante beauté, on le voit presque vendu par sa mère biologique au profit d'un homme capable de l'élever. Tout est déjà là. Orson Welles livre au regard un indice important pour prévoir d'emblée la suite. J'admets que c'est plus évident quand on connaît d'avance la fin ! Rassurons les anxieux: Citizen Kane a bien assez d'intérêt en dehors même de l'énigme qu'il propose. Ces thèmes multiples sont d'autant plus intéressants qu'enquête oblige, le film multiplie les angles d'attaque. Après avoir retenu de fausses images d'actualité en introduction, l'écran affiche les points de vue de ceux qui ont côtoyé Kane. Admirable kaléidoscope et portrait subjectif.

Le plus étonnant est peut-être que Citizen Kane reste de facture assez classique quant à l'intrigue elle-même. Récit d'une ascension fulgurante, le film est aussi celui d'une chute presque aussi brutale. Quand le mot fin arrive sur l'écran, on peut légitimement s'interroger sur la postérité de Kane. Patron de presse opiniâtre, diplomate improvisé plus ou moins efficace, homme politique majeur fracassé par la morale, Charles Foster semble presque contemporain ! Le jeu de miroirs qui s'instaure entre l'époque du film et la nôtre ouvre objectivement de larges perspectives d'intérêt pour le long-métrage et son scénario écrit à quatre mains - Orson Welles peut ici remercier son complice Herman J. Mankiewicz, qui lui permit d'obtenir un Oscar. Pas besoin toutefois de remonter les décennies...

Compte tenu de ce qu'était le cinéma en 1941, l'oeuvre reste fascinante par elle-même. Elle est connue pour introduire un nombre important d'innovations technologiques destinées à marquer définitivement l'histoire du septième art. Les plus fameuses demeurent sans doute ces plongées/contre-plongées incessantes venues déterminer l'importance - changeante - des personnages. Convaincant devant la caméra, Orson Welles l'est tout autant derrière ! Alors qu'il n'a que 26 ans, le futur maître invente aussitôt un vocabulaire particulier et immédiatement frappant. Il "bricole" longuement ses images pour obtenir les effets qu'il souhaite mettre en avant. Citizen Kane va même jusqu'à le montrer... aux côtés d'Adolf Hitler ! En tournant plusieurs fois les scènes et en triturant ses bobines, il obtient des profondeurs de champ incroyables. L'effet dramatique du film s'en trouve renforcé: une vraie leçon de cinéma.

Citizen Kane
Film américain d'Orson Welles (1941)
Premier ou deuxième d'un classement de prestige, le film demeure évidemment un standard incontournable pour qui s'intéresse un tant soit peu à l'histoire du septième art. Je n'ose pas ici lui faire l'affront de le comparer avec un autre, mais, en matière de classique éternel, je crois que je lui ai préféré Casablanca - moins innovant, pourtant. Si je ne lui ai décerné que quatre étoiles, c'est parce que j'attendais un peu mieux du scénario. Tout l'inconvénient de connaître à l'avance la conclusion des grands longs-métrages historiques de référence...