jeudi 29 avril 2010

Monsieur Jean

Jean Rochefort, c'est pour moi un exemple, la classe à la française personnifiée. Antoine de Caunes a dit un jour qu'il aurait sacrifié énormément de choses pour être lui. Je n'irai pas jusque là, mais j'ai une admiration sans bornes pour ce vieux monsieur. Une info: j'ai appris ce matin en parcourant le Figaro qu'il pensait ne plus tourner qu'un seul film, pour jouer un sculpteur sous la direction de l'Espagnol Fernando Trueba. Et avant cela, combien de rôles a-t-il acceptés dans sa carrière ? En comptant cinéma, théâtre et télé, une centaine bien tassée, je suppose. Depuis 1999, millésime "toute fin de siècle" au cours duquel les professionnels de la profession leur attribuèrent enfin un César d'honneur, les plus belles moustaches du septième art français sont apparues dans 18 longs métrages ! Qui dit mieux ?

Rions un instant, voulez-vous ? "Quand je les enlève, j'ai l'impression de ne plus avoir de slip. En fait, j'ai un espace énorme entre le nez et la lèvre supérieure et je me trouve obscène sans elles". Joli, non ? C'est paraît-il l'aveu qu'en 1994, Jean Rochefort fit à un journaliste de France 3 qui voulait bien l'entendre. Analysées, ces deux phrases pourraient renfermer tout ce que j'aime chez lui: un juste mélange de sérieux dans l'expression et de fantaisie la plus totale et débridée quant au fond du propos. Parfois, c'est le contraire. En bon clown patenté, notre homme est capable de tout et, selon une recette n'appartenant qu'à lui-même, prouve que Pierre Desproges avait raison d'affirmer qu'on peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. En sens inverse et très digne pour le coup, le même amuseur public raconte ses souvenirs de la Libération et des femmes tondues. Un temps pour tout. Au fond, c'est peut-être ça aussi, la grandeur.

C'est que, contrairement à bon nombre de "petits jeunes" évidemment moins drôles que lui, Jean Rochefort n'est pas cynique. Vulgaire ? Méchant ? Non plus. Il aime à dire que nous avons tous, foncièrement, besoin des autres. Mercredi sortira sur les écrans cinéma son tout premier film... comme réalisateur. Un documentaire sans commentaires, une histoire autour du cheval. J'y reviendrai probablement car, même si le thème retenu ne me fascine pas nécessairement, j'ai bien l'intention de la découvrir quand même. Une façon (très imparfaite, j'en conviens) de rendre à nouveau hommage au talent de son auteur. L'année dernière, je suis allé l'applaudir sur scène, au Théâtre national de Nice: grand souvenir ! C'était encore mieux que j'aurais pu l'imaginer. Depuis, je rêve d'avoir d'autres occasions et, qui sait ? peut-être un jour de saisir celle d'une rencontre. Vous me direz que c'est pour les anniversaires que l'on formule des voeux. Je répondrai que je le sais pertinemment et que ça tombe bien: aujourd'hui, en effet, Jean Rochefort a 80 ans.

mercredi 28 avril 2010

Le roi de la forêt

Présentée comme un événement, une récente rétrospective des films de Hayao Miyazaki sur Arte m'a permis de découvrir Mon voisin Totoro. Sorti en 1988, ce long métrage d'animation est souvent désigné comme le chef d'oeuvre de son créateur, son personnage principal étant d'ailleurs repris en emblème du studio Ghibli qui l'a vu naître. Après, comme très souvent au cinéma quand le travail relève d'une certaine originalité formelle, c'est une question de conviction. En clair, pour apprécier ce genre, il faut parvenir à pénétrer l'univers ainsi proposé, pas si éloigné du nôtre, d'ailleurs, mais malgré tout foncièrement différent. Au début de l'aventure, cette fois-ci, un père et ses deux petites filles déménagent pour s'installer à la campagne. La maman, elle, soigne une sérieuse maladie lors d'un séjour hospitalier. Tout semble pour ainsi dire normal et même naturel lorsque l'une des gamines rencontre une vieille dame que la tribu adopte et baptise rapidement... Grand-mère. Une petite exploration du grenier, suivie d'une escapade dans le jardin, donne au scénario une tournure nettement plus onirique, avec la découverte successive des Noiraudes, petites boules de suie aux grands yeux, et de Totoro. Le voisin est une gigantesque créature poilue, volante et pacifique.

Et il ne surprend personne ! Présenté comme une sorte de divinité sylvestre, ce qui signe de fait le travail de Miyazaki, je l'ai d'abord perçu comme le rêve... de la plus jeune des deux héroïnes du film. Mais non ! Mon voisin Totoro existe bien, et au moins dans l'esprit des enfants, puisque la plus grande des deux soeurs le rencontre aussi. En somme, il s'occupe des plus jeunes comme le ferait notamment une baby-sitter au format XXL ! S'il ne parle pas la langue des humains, il les comprend toutefois parfaitement et devance généralement leur désir quand ils font face à une adversité quelconque. En ce sens, il est donc tout à fait rassurant et attire indéniablement une confiance immédiate chez ceux qui ont la chance de croiser sa route. Je lisais dernièrement une analyse du film soulignant qu'à aucun moment, le spectateur n'a à subir une violence quelconque, que ce soit en images ou dans le propos. Je le confirme ! La seule (petite) ombre vient de la mère des petites filles, mais, quand on la découvre dans sa chambre d'hôpital, l'intéressée paraît sereine et a le sourire. Comme si, dans le fond, rien ne pouvait jamais aller vraiment mal. Un discours doux et positif qui est aussi, dans une moindre mesure, la marque du réalisateur nippon.

On a le droit de trouver ça nunuche ! C'est à vrai dire un peu iconoclaste de le penser, mais ce ne serait pas tout à fait injustifiable. Wikipedia explique d'ailleurs que la comptine qui ouvre le film est aujourd'hui encore un classique... des écoles maternelles japonaises. De ce que je connais de l'oeuvre de Miyazaki, je crois pouvoir dire que Mon voisin Totoro s'adresse plutôt à un public jeune. Sauf erreur, le gentil personnage lui-même est issu d'un livre pour enfants. Pour autant, ce film pourrait très bien ne pas exister. Surprise: son scénario a été refusé (deux fois !) par les producteurs du pays du soleil levant, pas forcément plus conciliants que d'autres. Qu'il soit finalement parvenu jusqu'à nous est donc une chance aussi. Anecdote amusante: en français, c'est Mélanie Laurent qui double Satsuki, l'une des jeunes héroïnes de cette fiction étonnante. Notez que sept autres oeuvres du même cinéaste sont sorties depuis. Comme j'ai déjà eu l'opportunité de le dire ici, certaines se tournent vers une audience un peu plus adulte. Cécile, une collègue de boulot, me disait hier qu'elle avait vaguement entendu parler d'une huitième, mais je n'ai pas trouvé de confirmation particulière. Une chose semble avérée: alors qu'il aura 70 ans en janvier prochain, on n'a probablement pas fini d'entendre parler - en bien - du vieux senseï.

dimanche 25 avril 2010

Des enfants ingrats

Le cinéma, c'est très souvent l'occasion d'une escapade dans l'espace et le temps. Je vous emmène à présent dans le Japon des années 50. Il y a peu, ce Voyage à Tokyo, je l'ai aussi fait pour la première fois. Quelques mots sur l'intrigue: Shukishi Hirayama et sa femme Tomi sont deux sexagénaires nippons. Ils habitent une petite ville côtière avec leur fille cadette, Kyoko. Un jour, ils prennent le train, direction la capitale, pour rendre visite à leurs enfants, Shige et Koichi, ainsi qu'à leurs petits-enfants. Un autre de leurs fils, Shoji, n'est plus. Mort à la guerre, il laisse derrière lui une belle-fille, Noriko, chaleureuse avec le vieux couple. D'abord accueillante avec les aînés, la famille se trouve gênée aux entournures quand il faut les héberger quelques jours. Peu perceptible d'abord, un malaise s'instaure pourtant petit à petit, à mesure que l'hypocrisie des plus jeunes bascule et disparaît sous les coups de boutoir de leur égoïsme forcené. Lentement mais sûrement, M. et Mme Hirayama passent pour des gêneurs. La discrétion de leur mode de vie n'empêche pas qu'ils ne soient plus vraiment les bienvenus chez leurs enfants. Comme si elle cohabitait avec deux inconnus, la jeune génération s'essouffle vite et en vient à chasser l'ancienne. Ce qui ne sera pas sans conséquences, notamment sur la santé de la grand-mère...

Voyage à Tokyo est sans doute le plus vieux film japonais qu'il m'ait été donné de voir - au moins pour le moment. De fait, j'ignorais tout de Yasujiro Ozu, le cinéaste qui le réalisa en 1953. Il n'est pas évident d'entrer dans cette histoire, aux enjeux finalement simples par rapport à ceux du cinéma d'aujourd'hui et d'une culture objectivement bien différente de la nôtre. Même si elle ajoute beaucoup à l'authenticité, la version originale japonaise achève également de faire du long métrage une oeuvre exigeante, difficile d'accès et, parfois, un peu hermétique dans son formalisme classique. Toutefois, je ne regrette pas les presque deux heures devant mon téléviseur. Le plus difficile consiste peut-être à trouver le bon créneau horaire pour visionner ce type de productions. Il est bien évident que les adeptes du cinéma d'action risquent de passer leurs chemins car, s'il réalise quelques plans d'une grande beauté, l'homme derrière la caméra n'est sûrement pas un adepte des effets spectaculaires. En un mot comme en cent, nous avons ici du cinéma à l'ancienne. Cela étant clarifié, je souligne que ce n'est pas étonnant compte tenu de l'ancienneté du film et j'insiste pour dire qu'il est vraiment intéressant de dépasser les petites "contraintes" techniques pour remettre au jour des monuments de la longue et belle histoire du septième art. Car c'est bien de cela dont il s'agit ici.

Le film est considéré comme l'un des chefs d'oeuvre de son auteur. Certains critiques professionnels en font même l'une des pièces majeures du cinéma dans son ensemble. Magazine spécialisé fondé en Angleterre en 1952, Sight and Sound propose tous les dix ans (!) son palmarès des cent meilleures productions internationales: Voyage à Tokyo était classé 3ème en 1992 et encore 5ème en 2002 ! Je ne suis pas sûr à 100% que ce soit également le cas outre-Manche, mais c'est en 1978 qu'il est arrivé en France, faisant du même coup connaître Yasujiro Ozu... décédé quinze ans plus tôt. Si ce n'est évidemment d'avoir pu honorer le maître de son vivant, il n'y a pas grand-chose à regretter. Même si, comme je l'ai suggéré, son travail apparaît aujourd'hui un peu daté, il est aussi enthousiasmant d'avoir l'occasion de le découvrir maintenant. Mieux vaut tard que jamais ! Mine de rien, dans cette histoire de conflits plus ou moins larvés entre les générations, il y a aussi un peu d'universalité. Les réactions des uns et des autres peuvent tout à fait nous parler aujourd'hui encore, et ce bien que nous soyons jeunes et occidentaux. La palette des caractères qui sont ici dépeints est large: un autre gage d'identification possible avec l'un ou l'autre des personnages. Conclusion: cette découverte était pour moi vraiment positive. Plaisir à venir, il reste une bonne demi-douzaine de vieux films japonais dans ma collection de DVDs: je me réjouis déjà d'avoir ainsi la possibilité de mieux appréhender cette culture et d'approfondir encore ma connaissance "globale" des films et de leurs auteurs.

samedi 24 avril 2010

Doublé de Cantona !

Contrairement à ce que vous pourriez croire en parcourant les textes de ce blog, j'ai fixé quelques limites à ma cinéphilie dévorante. L'une d'elles consiste à de ne pas revoir un film avant qu'une année complète soit écoulée. Cela dit, et comme pour le tirage au sort organisé autour du prochain DVD, quelques exceptions restent possibles. La dernière en date a bénéficié à Looking for Eric, découvert au cinéma le 7 juin dernier, chroniqué ici pile-poil un mois plus tard et finalement revu le 31 mars. Ce qui peut venir expliquer cet empressement, c'est ma volonté de le montrer à mes parents, motivés par ce que je leur avais raconté, et qui l'ont finalement apprécié. Fidèles lecteurs, peut-être vous souvenez-vous également que je l'avais classé à la troisième place de mon top ten cinéma 2009.

Avec un peu de recul, je reste convaincu de ses grandes qualités. J'insiste: drôle même si social, le film est donc franchement atypique dans la filmographie de Ken Loach. Je vous rappelle que l'idée originale est venu d'Eric Cantona, qui souhaitait au départ tourner quelque chose autour de la relation un peu particulière qui unit supporters et joueurs de foot - unique, en tout cas en Angleterre. Cette deuxième vision de Looking for Eric m'a permis de remarquer que l'ancien attaquant de Manchester United ne tient finalement qu'une place assez limitée dans le long-métrage. L'une des preuves que cette histoire de copains est un grand film: la star ne vole pas nécessairement la vedette aux anonymes qui l'entourent. Mon avis n'a guère changé: je vous renvoie donc à ma chronique antérieure.

Pour en savoir plus...
Je vous invite donc à lire cette première chronique sur le film.

jeudi 22 avril 2010

Un rêve aquatique

J'ai l'impression d'un malentendu à propos de M. Night Shyamalan. Depuis la sortie de Sixième sens en 1999, film que j'ai d'ailleurs franchement apprécié, on dirait que le public attend que le scénario de chacune de ses créations réserve une surprise de taille au cours des dernières minutes. Conséquence: souvent, le succès n'est pas véritablement au rendez-vous alors que, de mon point de vue, un peu plus de considération peut sans difficulté être apporté à des oeuvres parfois qualifiées de "mineures" dans sa filmographie. Un exemple parmi d'autres ce soir avec La jeune fille de l'eau, un long métrage que, pour ma part, j'aime beaucoup. Je l'ai revu il y a quelques jours avec un plaisir identique à celui de la découverte en 2007. C'est dire !

La jeune fille de l'eau se focalise sur un anti-héros, Cleveland, gardien d'une résidence assez ordinaire, là-bas, en Pennsylvanie. Sans s'expliquer comment, notre homme constate qu'un resquilleur fréquente la piscine commune la nuit, ce que, pourtant, le règlement de copropriété interdit formellement. Après quelques frissons d'usage, on apprend que ledit resquilleur est en fait une resquilleuse, et plus précisément une jolie jeune femme rousse, pas très bavarde quant à ses motivations. Prénommée Story, la belle demoiselle vient en fait d'un autre monde, d'un autre temps ou... des deux à la fois. Peu importe. Ce qui est sûr, c'est qu'elle en est sortie et souhaite pouvoir y retourner rapidement, mais aussi qu'une étrange créature la menace, comme tout droit sortie d'une très ancienne légende...

Est-il nécessaire que j'en dise plus ? Je vous ai annoncé la couleur aussitôt, dès le titre de cette chronique: La jeune fille de l'eau s'ancre dans le rêve ou la fantaisie. Même s'il parait assez cohérent que toute la petite communauté décide d'aider Story, il me semble également bien dérisoire, voire inutile, de chercher dans cette fable quelque chose de parfaitement rationnel. En fait, le long métrage repose véritablement sur l'onirisme, avec la création d'une dimension crédible et pourtant parallèle. L'imaginaire y cohabite avec la réalité. Dès lors, l'alternative est claire: entrer dans l'histoire ou bien rester "en marge". Possible que, malgré le retournement de situation pré-générique, la chose ait été plus simple avec Sixième sens. J'insiste toutefois: ce film plus jeune - il date de 2006 - m'emmène plus loin et très clairement... ailleurs. Pour cela, coup de chapeau particulier au réalisateur, au compositeur de la BO, ainsi bien sûr qu'aux acteurs et notamment au couple vedette, Bryce Dallas Howard et Paul Giamatti. Ils créent et maintiennent une très belle ambiance. Pas de twist, certes, mais une bonne dose de suspense et d'émotion.

mardi 20 avril 2010

Pauvre papa !

Jean Gabin, le retour. Ce soir, très heureux propriétaire d'une série de films du célèbre comédien français, j'ai choisi de vous présenter l'un d'entre eux, Rue des prairies, réalisé par Denys de la Patellière et sorti sur les écrans cinéma en 1959. Le héros de cette histoire tient un peu du Panisse de Pagnol: il élève comme son fils un garçon qui n'est pas le sien. Pourquoi ? C'est ce qu'expliquent de manière très pudique les toutes premières minutes du métrage. Ce petit inconnu, l'ex-prisonnier de guerre le découvre au moment de rentrer dans ses foyers, en 1942, et alors même qu'il apprend que sa femme est morte en couches, lui laissant en outre la charge d'assumer seul l'éducation des deux qu'ils ont eus ensemble. Séance très poignante du père devant les trois bébés couchés sur un lit. Fondu au noir.

Le temps avance: nous voilà à la veille des années 60. Les enfants d'Henri Neveux sont devenus grands. Louis, l'aîné, est champion cycliste. Odette, la cadette, vend des chaussures et fait des photos de mode. Fernand, enfin, le benjamin inattendu, n'a pas encore quitté l'école. Son comportement déplaît d'ailleurs à ses professeurs. Le jeune homme est ce qu'il est convenu d'appeler un petit caïd. C'est sur cette banalité familiale que va se développer le scénario. N'attendez pas des rebondissements épiques et un suspense à couper au couteau: Rue des prairies est une comédie de moeurs qui respire la simplicité. Elle nous parle d'une France qui n'existe plus: c'est bien dans ce constat que réside le charme du film. Désuet, sans doute, mais pas inintéressant. Le noir et blanc est même touchant, parfois.

Et que dire alors de Jean Gabin, dans ce rôle de pauvre papa débonnaire ? Sa gouaille fait ici merveille, à tel point que, s'il aurait été naturel que je m'identifie à l'un des enfants, c'est finalement bien du père dont je me suis senti le plus proche. Ce qui ne veut pas dire que les autres comédiens soient mal inspirés. C'est le contraire: Rue des prairies offre une chouette occasion de revoir Claude Brasseur jeune, de mesurer un peu mieux les nombreuses facettes du talent de Marie-José Nat et de découvrir Roger Dumas, certes un peu âgé pour son rôle d'ado lycéen, mais, à 77 ans, toujours actif aujourd'hui ! La perle de ce film, il faut toutefois la voir ailleurs. Hum... en fait, il faut même plutôt l'entendre ! Michel Audiard signe en effet des dialogues particulièrement savoureux, qu'ils soient drôles ou pathétiques. Rien que pour ça, je vous recommande vivement de regarder le film si, un jour, il (re)passe à votre portée.

dimanche 18 avril 2010

De retour à Wonderland

Parier sur l'idée du plaisir à quitte ou double: c'est un peu ce que j'ai le sentiment de faire à chaque fois que je découvre un film, ancien ou nouveau, de Tim Burton. Avec le recul, je dirais que le cinéaste américain m'a sans doute au moins autant enthousiasmé que déçu. Sans avoir vu tous ses films, je crois savoir et pouvoir dire qu'il en a réalisé de superbes, mais aussi qu'il a commis deux ou trois erreurs de parcours, à la limite d'ailleurs de la faute de goût. C'est d'autant plus surprenant que le futur président du Festival de Cannes a clairement une inspiration très marquée, un univers à lui qu'il sera d'ailleurs peut-être intéressant de chercher sur la Croisette prochainement. En attendant, il me semble évident qu'avant même de sortir, sa version d'Alice aux pays des merveilles était, buzz oblige, promise au succès. En termes cinématographiques, j'ose supposer que le monde "burtonien" est vraiment raccord avec celui de Lewis Carroll. N'ayant pas encore découvert les romans, j'ai retrouvé dans cette version un certain nombre d'éléments aperçus chez Disney. Des souvenirs de l'âge tendre qui remontent ainsi doucement à la surface: ce n'est pas, je crois, un véritable handicap pour savourer une production moderne, bien au contraire. Encore faut-il retrouver son âme d'enfant et/ou revivre des émotions analogues, sans être identiques, à ce qu'elles étaient alors. Je dois admettre cette fois y être parvenu, mais seulement partiellement.

Vous connaissez l'histoire ? Je crois qu'une petite mise à jour s'impose. Pour Tim Burton, Alice n'est plus une petite fille, mais bien une adolescente de bonne famille... à quelques jours de ses noces. Dans l'Angleterre victorienne, la jolie demoiselle n'a évidemment guère voix au chapitre. Le film débute quand, devant une kyrielle d'invités prestigieux, son fiancé forcé lui fait sa - piètre - demande en mariage. Comment sortir de ce pétrin ? Mais en suivant un lapin habillé en complet veston, montre gousset à la ceinture, aussi blanc que pressé ! Quelques bonds et le rongeur conduit Alice à l'écart: loin des yeux de la collectivité, la jeune femme finit (inévitablement !) par tomber dans un trou et se retrouve dans un autre monde, différent bien sûr et en fait le plus étrange qui soit. Alice au pays des merveilles développe alors l'essentiel de son argument. Une fois que l'héroïne a su établir son identité, elle attire la confiance aveugle de ses nouveaux compagnons et, mieux que ça, suscite leurs espoirs. Si je n'avais pas peur d'être jugé pour hérésie, je la présenterais volontiers comme... une Jeanne d'Arc anglaise ! L'environnement qu'elle découvre, Wonderland, subit en effet la tyrannie de la Reine rouge, despote hystérique et joueuse de croquet. Coupez-lui la tête ! Sa réplique favorite illustre parfaitement le caractère épouvantable de la monarque, par ailleurs usurpatrice du trône. La couronne, c'est sa soeur, une Reine blanche un peu nunuche et non-violente, qui devrait légitimement la détenir. Vous aurez certainement compris qu'Alice, bon gré mal gré, va devoir mettre de l'ordre dans tout ça...

Je ne développerai pas plus avant la manière dont elle y parviendra (ou pas). Ce qu'il faut dire sans plus attendre, c'est qu'Alice aux pays des merveilles est une grande réussite visuelle. Notons également tout de suite, pour évacuer la question, que bien que visible en 3D dans les salles équipées, le film n'y gagne pas grand-chose, n'ayant visiblement pas été d'emblée conçu dans cet esprit. Bref. Sur l'aspect purement graphique de la chose, on peut toutefois dire sans hésiter que Tim Burton ne déçoit pas. Il est même franchement très agréable de découvrir sa vision des personnages de Lewis Carroll: Chapelier fou, Lièvre de Mars, Tweedledum et Tweedledee, ils sont tous là ! D'autres encore complètent un casting qui, dans sa partie humaine, assure bien le coup. Pour les yeux et l'ambiance, le long métrage est un véritable régal ! Malheureusement, c'est sur l'aspect scénaristique qu'il est moins bon qu'espéré: désormais sous la coupe du studio Disney, et même si visiblement consentant, notre ami réalisateur semble désormais se contenter de mettre en images, sans apporter ses propres codes et références. Résultat: de la couleur, du sucre aussi bien sûr, de la belle ouvrage, en somme... mais assez peu d'émotions. N'allons pas clouer l'ensemble au pilori: il y a objectivement de très belles choses dans ce film. Je ne regrette pas de l'avoir vu, a fortiori parce que c'était sur un écran de cinéma. Maintenant, de là à en faire un classique, même de son auteur, il y a un pas. Un constat, tout de même: depuis la séance, j'ai envie de lire les bouquins et de revoir le dessin animé. C'est bon signe, j'imagine.

vendredi 16 avril 2010

Enfants du pavé

Ewan McGregor ? Nicole Kidman ? Sachez-le d'emblée: vous ne verrez ni l'un ni l'autre dans Moulin Rouge, le film dont je vous parlerai aujourd'hui. Il faut préciser à celles et ceux d'entre vous qui ont apprécié la version de Baz Luhrmann que j'évoque un long métrage datant de 1952, signé John Huston. C'est un Portoricain, José Ferrer, qui joue ici le rôle d'Henri de Toulouse-Lautrec. Deux Françaises campent les femmes dont il s'éprend: Colette Marchand, couronnée d'un Oscar du meilleur second rôle féminin à l'occasion mais qui n'est toutefois pas restée une vedette de notre cinéma, et Suzanne Flon, dont la carrière s'est poursuivie jusqu'à sa mort en 2005. Sur la photo juste en-dessous, c'est elle. Elle a 35 ans, c'est son onzième tournage déjà ! Et je ne vous parle même pas de ses apparitions au théâtre...

Concentrons-nous sur le grand écran, voulez-vous ? Moulin Rouge raconte la solitude d'un homme. Jeune garçon d'origine noble, Henri de Toulouse-Lautrec est victime d'un grave accident, une chute spectaculaire dans l'escalier de la propriété familiale. Il survit certes à ses blessures, mais ses os sont si fragiles qu'il reste infirme, incapable de grandir. Le pauvre bougre ne trouve de vrai réconfort que dans l'amour de sa mère et son goût pour la peinture. Constatant par lui-même qu'il ne sera jamais à la hauteur du destin auquel, pourtant, sa naissance le destinait, il décide de tout quitter, rejoint Paris et s'installe dans le quartier de Montmartre, haut lieu de vie des artistes populaires et des filles de joie. Là, l'agilité de son coup de crayon lui vaut au moins l'affection protectrice du propriétaire d'un cabaret. Jusqu'à ce qu'abruptement, une femme survienne...

L'idée que j'avais de John Huston ? Celle d'un créateur de westerns. Pas totalement erronée, cette vision s'avère franchement partielle. Bien évidemment, ici, pas question de duels au soleil et d'Indiens. Pas davantage d'action trépidante. Reste que ce regard d'un cinéaste américain sur le Paris des années 1870-1900 n'est pas dénué d'intérêt, loin de là. Je le dis tout net: Moulin Rouge m'a plu. Beaucoup plu, même. Sans doute parce que je suis décidément friand de vieux films à costumes, mais aussi parce qu'il souffle tout au long du métrage un souffle épique et romanesque qui m'a littéralement emporté. Les bons connaisseurs de l'art peuvent sans nul doute crier à une scandaleuse violation des faits historiques. Peu m'importe. Oui, ce mélodrame à l'ancienne m'a séduit tel quel. C'est l'occasion aussi de découvrir des comédiens oubliés ou en tout cas... désormais moins illustres que le brave Ewan McGregor et la belle Nicole Kidman.

jeudi 15 avril 2010

Qui après Haneke ?

27 jours, les enfants ! C'est le délai qui nous sépare du 12 mai, date d'ouverture du 63ème Festival de Cannes. Aujourd'hui, on en a appris un peu plus sur la sélection officielle et la composition du jury réuni autour du président Tim Burton. Honnêtement, je n'ai ni le temps matériel ni vraiment l'envie de vous proposer une présentation exhaustive des films retenus comme j'ai pu le faire l'année dernière. Notons que, pour succéder à l'Autrichien Michael Haneke, il y aura notamment cette fois quatre réalisateurs français en lice: les jeunes que sont Xavier Beauvois et Mathieu Amalric seront sur la Croisette avec deux "grands anciens", Bertrand Tavernier et Jean-Luc Godard.

Dans cet aréopage encore provisoire, qui devrait passer prochainement de seize à vingt candidats, on remarquera la présence d'un seul réalisateur américain, Doug Liman, mais aussi, ce qui est une première à Cannes, celles d'un cinéaste tchadien et d'un autre ukrainien, Mahamat Saleh Haroun et Sergei Loznitsa. Difficile d'établir un quelconque pronostic pour l'instant, mais il est à noter également le retour de deux ex-lauréats de la Palme d'or: l'Anglais Mike Leigh et l'Iranien Abbas Kiarostami. Dernière anecdote notable lors de ce premier mini-tour du monde: l'Iran est aussi représenté dans le jury, par le réalisateur Jafar Pahani. Il se trouve toutefois que ce dernier est actuellement emprisonné dans son pays. Il a été choisi comme symbole de la liberté des artistes, d'après Gilles Jacob, président du Festival, et pourrait toutefois être remplacé à terme.

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Rectificatif (lundi 19, 22h40): Deux petites corrections à apporter aujourd'hui en attendant la liste complète des candidats à la Palme d'or. 1) Jean-Luc Godard sera bel et bien en compétition à Cannes cette année, mais dans le cadre de la sélection "Un certain regard". 2) Toujours emprisonné, Jafar Pahani pourrait de son côté faire partie du jury principal, mais également d'un autre. J'espère désormais que vous pardonnerez mes erreurs et noterez que j'ai l'intention de vous donner d'autres infos au tout début du Festival.

mardi 13 avril 2010

Alien ghetto

District 9 part d'une bonne idée: faire de créatures extraterrestres des migrants en quête d'asile. Dans le film, on ne sait pas vraiment pourquoi ces êtres venus d'ailleurs débarquent sur notre planète. Dans le fond, peu importe: le fait est qu'ils ne semblent pas hostiles et que ce sont plutôt les hommes qui le sont à leur égard. En panne de vaisseau au-dessus de Johannesburg, les nouveaux venus l'abandonnent et se retrouvent aussitôt parqués dans un camp gigantesque. Ils y vivent comme dans un township, en liberté surveillée, jusqu'à ce que l'administration terrienne décide finalement de les en expulser pour des questions de sécurité. Compris ? Le parallèle avec la situation des Noirs en Afrique du Sud est évident. Un réalisme renforcé par le style, quasi-documentaire.

Moi qui ne suis pourtant pas un grand amateur de SF, je concède donc volontiers que les premières minutes de District 9 sont intéressantes. Je crois que Neill Blomkamp, le réalisateur, l'a voulu ainsi: on a vite beaucoup de sympathie pour les pseudo-monstres enfermés dans leur ghetto. C'est d'autant plus naturel que l'être humain qui vient les déloger a une bonne tête à claques. Fonctionnaire idiot et zélé d'un gouvernement en totale contradiction avec son discours sur les valeurs morales de l'humanité, le dénommé Wikus van der Merve n'est rien d'autre qu'une petite frappe cravatée. Devant sa bêtise crasse, on ne le plaint pas quand sa sale besogne dérape et qu'il semble s'être exposé à un poison d'origine inconnue. Au fond, on se dit qu'il ne l'a pas volé. Toc ! Bien fait pour sa gueule !

Je vous laisse découvrir par vous-mêmes ce qu'il advient finalement de ce pauvre type. C'est tout l'argument du film, dévoilé au bout d'une vingtaine de minutes, si je compte bien. Lancé sur des rails somme toute assez nouveaux, District 9 tient finalement assez mal la distance. Non que le film soit mauvais: simplement, je pense franchement qu'il aurait pu être meilleur, notamment en conservant son allure "journalistique" jusqu'au bout. Dès que cette touche d'originalité est abandonnée, l'ensemble s'enlise dans une histoire nettement plus classique. Pas de quoi décrocher, certes, mais largement assez pour être déçu. Le plan final - un extraterrestre ramassant une fleur de métal - peut laisser imaginer une suite. Mouais. Si elle ne vient pas, je m'en passerais sans réelle difficulté.

dimanche 11 avril 2010

Le ministre et les fantômes

Mon amie Séverine s'y est ennuyée. Moi, au contraire, j'ai pris vraiment beaucoup de plaisir devant The ghost writer, dernier film de Roman Polanski. Vous me permettrez, j'espère, de ne parler ici que de cinéma: je n'ai aucune intention de rebondir sur l'actualité judiciaire du réalisateur franco-polonais. Je constate qu'il est vraiment très fort pour planter une ambiance de suspense avec peu de choses: une alarme qui se met en route, une brume naissant lentement sur le littoral ou des personnages aux facettes parfois imperceptibles. Il sait aussi s'entourer de bons acteurs et leur offrir des rôles inattendus. Ici, Ewan McGregor est une parfaite tête d'affiche et trouve du beau monde pour lui donner la réplique, et notamment un Pierce Brosnan bien meilleur que dans James Bond. L'ex-007 joue Adam Lang, un Premier ministre anglais charismatique soucieux de faire écrire ses mémoires et dont le nègre a été retrouvé noyé sur la plage d'une île de la Nouvelle-Angleterre. En fait, c'est d'ailleurs toujours là-bas, et donc sur le sol américain, que se trouve le chef de gouvernement au moment où éclate un scandale médiatique selon lequel il serait complice de crimes de guerre récents. Situation d'autant plus délicate à gérer qu'un second auteur a été appelé à la rescousse pour reprendre le manuscrit inachevé. Cette angoissante situation cache-t-elle quelque chose d'encore plus insupportable pour le public ? C'est cette interrogation fondamentale qui sert de point de départ au long métrage. Toute ressemblance...

Si ce n'est par sa maîtrise, The ghost writer n'est pas un film spectaculaire. L'intrigue tourne essentiellement autour de la maison isolée dans laquelle se sont retranchés Lang et son nouveau nègre. Assez symboliquement, on notera que ce dernier n'est jamais appelé par son nom - d'ailleurs ignoré du spectateur. Bientôt, le voilà d'ailleurs livré à lui-même et à la femme de son très curieux patron. Bien sûr, il faut que le texte avance, mais il faut surtout que l'homme politique diffamé établisse et poursuive une stratégie de défense. Or, comment écrire un livre sur quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment si on n'a pas l'occasion de s'entretenir avec lui ? C'est toute la difficulté à laquelle va devoir faire face le héros du film. Évidemment, elle va le conduire à prendre des risques et à mener rapidement sa propre enquête... pour le meilleur et pour le pire. Sitôt le décor planté, l'ambiance devient hitchcockienne: je m'en suis résolument délecté. Encore une fois, Roman Polanski n'a pas utilisé d'effets faciles pour nous plonger dans une histoire pleine de zones d'ombre: il lui a suffi de composer sa partition avec les non-dits multiples de ses acteurs, appuyés par une musique très efficace, et avec le soutien d'un environnement naturel d'une luminosité toute relative. Le théâtre des opérations - cette étrange maison cubique au coeur d'une zone maritime cernée par les intempéries - met d'emblée mal à l'aise. Dès le début, on comprend que Ewan McGregor a mis le pied là où il n'a aucun repère. Et on sent monter une tension qui n'augure vraiment rien de bon, ni pour lui, ni pour personne...

C'est pour moi la grande qualité de ce film: éveiller notre intérêt grâce aux rouages étonnants d'une mécanique bien huilée, mais aussi susciter en nous des questions par l'image elle-même. L'endroit reculé où évoluent les personnages ne ressemble à rien de bien connu et rassurant: c'est un lieu calme, certes, mais, pour autant, pas véritablement le havre de paix propice à l'écriture que l'on attendait au départ. The ghost writer est un excellent titre: la langue anglaise illustre parfaitement l'aspect fantomatique du nègre, mais c'est là une caractéristique qui "contamine" l'ensemble de la distribution. Pour le plaisir, je citerai une scène, courte mais mémorable, offerte au grand Eli Wallach et qui sert pour ainsi dire de charnière: l'allure spectrale du vieil acteur américain, 93 ans au moment du tournage, lui donne un ton magistralement inquiétant au moment de lâcher quelques secrets bien gardés et à vrai dire des plus compromettants sur ce qui a pu se passer sur l'île. Ce n'est qu'à la fin de la projection que vous saurez (un peu) mieux regrouper les éléments flous et épars de cette solide histoire politico-criminelle. Ne ratez pas pour autant les toutes dernières images: d'un remarquable hors-champ, Polanski parachève et signe son oeuvre d'un plan somptueux et glaçant. Personnellement, surpris jusqu'à l'ultime seconde, je suis resté bouche bée devant le déroulé du générique. J'aurais sans doute aimé que le plaisir, intellectuel et graphique, se prolonge quelques minutes encore, mais, formellement, cette fin m'a semblé une pure merveille.

jeudi 8 avril 2010

Antipatriotique ?

Steven Spielberg est décidément un étonnant personnage. Je viens de découvrir l'une de ses facettes les plus surprenantes: son film 1941. Cette année-là, le 7 décembre, et sous couvert d'un ultimatum jamais parvenu à destination, l'aviation japonaise attaque et décime le port militaire de Pearl Harbor. Cet événement reste probablement l'un des plus gros chocs de l'histoire américaine d'avant les attentats du 11 septembre. Or, juste après Les dents de la mer et Rencontres du troisième type et avant le premier épisode d'Indiana Jones, Spielberg en tire... une comédie ! Elle lui vaudra un semi-échec public et l'antipathie profonde de Charlton Heston et John Wayne, que le cinéaste avait approchés pour un rôle de général. Pas question pour l'un ou l'autre d'accepter. Trop subversif. Antipatriotique, même.

C'est mon ami Philippe, amateur de l'humour au tout premier degré de certains films des années 1950-1960, qui m'a recommandé 1941 et l'a revu avec moi. Je ne regrette pas d'avoir suivi son conseil d'achat: je me suis moi aussi ré-ga-lé ! Un conseil si vous n'avez jamais entendu parler de ce long métrage: oubliez provisoirement tout ce que vous connaissez de Spielberg ! Ou plutôt, non: gardez tout de même quelques références en tête. Vous les retrouverez vite. Le plus surprenant - et le plus drôle - dans ce scénario, c'est encore que ce brave Steven s'autoparodie ! Tout commence avec le bain maritime d'une jolie blonde, au moment où... un sous-marin japonais fait surface. L'armée nipponne espère bien profiter de son avantage pour démoraliser encore la population US et détruire Hollywood !

De ce point de départ découle alors l'un des films les plus loufoques qu'il m'ait été donné de voir. Si 1941 est un film de guerre, il donne du conflit une image rigolarde, potache pour ainsi dire, à l'opposé total de ce que peut notamment faire une oeuvre telle Il faut sauver le soldat Ryan, du même réalisateur. L'idée date de 1979. Il est probable que 38 ans après les faits, la blessure américaine était encore trop vive pour que le grand public accepte de s'en amuser aussi ouvertement. Le grand public, justement: bon an mal an, Spielberg me semblait l'avoir toujours brossé dans le sens du poil. Là, il le prend en quelque sorte à revers: d'une situation objectivement tragique, il fait le prétexte à une pantalonnade. L'aspect le plus sympa de l'entreprise est que tout le monde en prend pour son grade, quel que soit son camp. Outre l'aviateur improbable qu'interprète John Belushi, on remarquera notamment les prestations de Toshiro Mifune et de Christopher Lee, amiral japonais et général nazi tout à fait jubilatoires. Oui, tout ça est vraiment une surprise. Et, avec le recul des années, c'en est même vraiment une très bonne !

mardi 6 avril 2010

Frousse à handicap

Audrey Hepburn a 39 ans quand, courant 1968, elle annonce mettre un terme à sa carrière. L'année précédente, la comédienne a tourné ce qui aurait pu être son dernier film, Seule dans la nuit, produit par son mari d'alors, Mel Ferrer. Quelque temps plus tard, le couple divorce et la jeune femme met le septième art entre parenthèses. Une pause remarquée, d'autant qu'avant de se retirer des plateaux, elle est - une nouvelle fois - nominée à l'Oscar pour sa prestation dans la peau d'une aveugle. Las ! La statuette dorée tombe finalement dans l'escarcelle de son homonyme, Katharine Hepburn. Audrey, elle, s'absente près de dix ans: elle ne fera son come-back qu'en 1976 et, jusqu'en 1989, ne tournera plus que quatre films seulement, le dernier pour Steven Spielberg - j'y reviendrai un jour. Juste avant, elle avait donc prêté ses traits à un personnage étonnant et non-voyant. Un peu moins illustre que d'autres oeuvres de la filmographie "hepburnienne", ce thriller à l'ancienne n'est pas sans qualités, loin de là. Il y a quelque chose d'un certain Hitchcock dans la mise en scène de Terence Young et, d'abord, une bonne idée de départ. Tiré d'une pièce de théâtre, le film repose essentiellement sur un huis-clos tendu où l'infirmité de l'héroïne favorise les desseins crapuleux d'une bande de malfrats dépourvus de scrupule. Glaçant !

Pour dire deux mots de plus, sachez que les dangereux individus s'introduisent chez Susy Hendrix/Audrey Hepburn. Leur objectif: récupérer une poupée dans laquelle a été introduite de la drogue ! Mais plutôt que d'employer la manière forte, les mauvais garçons jouent au contraire la carte de la douceur. Leur victime est aveugle ? Tant mieux ! Il sera moins difficile de la duper, pensent-ils évidemment. Et de fait, si le scénario marche aussi fort, c'est bien parce qu'il repose avant tout sur la manière dont un esprit pervers peut tirer partie de la faiblesse irréversible d'un être amoindri. Seule dans la nuit a ceci de particulier que ses personnages nuisibles cachent leur jeu et se présentent à l'héroïne comme des amis possibles. Une scène introductive nous montre que la menace est bel et bien là, sous les masques. L'intelligence de cette histoire est bien de concerner une pauvre femme qui n'a - et ne peut même avoir - aucune conscience du danger qu'elle encourt. Sauf que c'est oublier un peu vite qu'une aveugle compense sa cécité en développant d'autres sens, ce qui lui sera bien utile dans sa compréhension progressive des choses et, au final, pour sa protection. Bon, je crois que j'en ai assez dit, sur le plan de l'enjeu dramatique, en tout cas...

Seule dans la nuit est, j'ai trouvé, d'une redoutable efficacité narrative. Même si la forme a un peu vieilli, le fond est tout à fait moderne et emballant. Premier atout: tous les acteurs sont bons. Constat d'évidence pour la belle Audrey, qui casse là son image habituelle de fragilité. Les comédiens qui l'entourent jouent certes une toute autre partition, mais le font en parfaite harmonie: citons Alan Arkin, qui interprète un tueur psychopathe et s'avère particulièrement crédible. En bonus DVD, l'intéressé raconte même avoir eu du mal, inquiet à l'idée de donner quelques émotions fortes à sa partenaire. Près de quarante ans ont passé: on peut se dire désormais que la fin justifiait les moyens. J'ai pour ma part pris beaucoup de plaisir à découvrir ce long métrage... à l'aveuglette, simplement sur la foi d'un article lu de manière inopinée. J'envie ceux qui ont eu l'opportunité de le voir au cinéma: pour renforcer l'ambiance d'une des scènes finales, le réalisateur a volontairement plongé l'action dans l'obscurité la plus complète. J'imagine volontiers que l'effet était encore plus saisissant en salles ! En l'état, l'ensemble reste d'une assez belle tenue et n'a en tout cas rien à envier d'essentiel à d'autres productions modernes. Au contraire: voilà encore une belle illustration du fait que le septième art d'hier peut aisément soutenir la comparaison avec celui d'aujourd'hui.

samedi 3 avril 2010

Le singe précédent

D'aucuns l'ont sans doute oublié, mais Peter Jackson n'est pas le seul à avoir réalisé un remake de King Kong, film-culte sorti en 1933 dans sa toute première version. Entre l'original et la vision proposée par le réalisateur néo-zélandais, le grand singe a notamment fait parler de lui en 1976, grâce au cinéaste britannique John Guillermin. Le long métrage de ce dernier offre son premier rôle à Jessica Lange et permet aux nostalgiques et aux étourdis de se souvenir que, couronné d'un Oscar cette année, Jeff Bridges a une longue carrière derrière lui. L'intrigue ? Ceux qui l'ignoreraient encore apprendront que l'essentiel du propos tient à l'enlèvement d'une jeune damoiselle par un primate format XXL, suivi de la poursuite et de la capture dudit primate visant à le transformer en simple bête de foire.

Le reste est assez anecdotique. Les plus cinéphiles d'entre vous noteront simplement que Jackson, lui, est resté fidèle aux origines en faisant d'un tournage de film l'occasion d'une première rencontre avec la bête. Guillermin, pour sa part, respecte l'histoire du cinéma en faisant du grand singe l'idole d'un peuple primitif, mais c'est désormais au cours d'une prospection pétrolière que les hommes s'aventurent pour la première fois sur son territoire. King Kong 1976 est-il plus fascinant que son aîné de 1933 ? Qu'il me soit ici permis d'avoir un doute et de réserver ma réponse, ayant pu voir (et revoir) le premier sans avoir encore jamais fait la connaissance du second. Aux vues de ce qu'il est devenu ensuite en 2005, toute comparaison me paraît franchement hasardeuse. Et pas nécessairement utile.

Pour ne parler donc que de cette version 1976, il faut admettre qu'elle a pris un coup de vieux. Ces images qui avaient à l'époque obtenu une nomination à l'Oscar de la meilleure photographie apparaissent franchement kitsch désormais. Ce à quoi les dialogues offerts à Jessica Lange n'arrangent rien: l'actrice, qui mérite mieux, a l'air d'une blondinette sans cervelle et, à la place de Jeff Bridges, pas sûr qu'on se démène autant pour la sauver. Cela étant dit, et même si ce King Kong ne fera pas frissonner grand monde aujourd'hui, je n'ai pas envie de jeter le gorille avec l'eau du bain. Certes, on pourra m'affirmer que personne ne tourne plus de films semblables de nos jours: c'est justement ce qui me plaît et sauve l'ensemble à mes yeux. En un mot, passer à côté de cette oeuvre n'a rien de grave et ne vous privera aucunement d'une page importante de l'histoire du cinéma. Oui, à tout prendre, mieux vaut sans doute encore revenir aux origines et privilégier la version de 1933. Reste que je ne démordrai pas: sous la patine du temps, il y a toujours quelques belles choses à découvrir pour celles et ceux qui voudront bien regarder d'un oeil pas trop blasé. Notez aussi que cette version est, de toute l'histoire des remakes, celui qui a le mieux marché auprès des exploitants français, avec un peu plus de 4 millions d'entrées. La version 2005, elle, n'en totalise qu'environ 3,6 millions.