samedi 30 avril 2016

Le sosie du monstre

Il y a sans doute bien des raisons pour qualifier Le dictateur de chef d'oeuvre légendaire de l'histoire du cinéma. Même si je me méfie résolument de la grandiloquence critique, il me semble bien difficile d'émettre des réserves sur la qualité et l'importance de ce grand film. Le souvenir de Charles Chaplin a bien mérité de traverser les années !

Ah, qu'il m'est difficile de savoir par où commencer ! Je vais tâcher d'être simple: le mieux est d'évoquer le scénario en quelques mots, selon la méthode classique. Le dictateur a en fait deux personnages principaux, qui se trouvent également être des sosies - un barbier juif et un despote. Le premier est revenu de la guerre amnésique. Hospitalisé de longues années, il ne se rend pas compte que son pays a beaucoup changé. Le second et seul nommé, Adenoïd Hynkel, s'inspire évidemment d'Adolf Hitler. Chaplin prend résolument le parti d'en rire et, sans retenue, singe l'autoritarisme et toute la démesure du chef nazi. Après la guerre, il dira qu'il n'aurait jamais osé agir ainsi s'il avait connu les horreurs dont son triste modèle allait ensuite se rendre coupable. Pour évaluer le film en toute objectivité, il faut donc ne surtout pas oublier en quelle année il est sorti sur les écrans. C'est ainsi que le grotesque de la caricature prend tout son sens. L'humanisme du long-métrage gagne la partie, en parfaite légitimité. N'hésitez pas: amusez-vous de ces pitreries ! C'est leur raison d'être !

Vous ne serez pas les seuls: si le film a été placé en bonne position dans les manuels d'histoire du cinéma, c'est très probablement aussi parce qu'il restera à jamais le plus grand succès public de Chaplin. Autre caractéristique et non des moindres: il s'agit du premier opus parlant de son auteur, qui avait bien compris que son génie comique aurait plus d'impact s'il se doublait d'un véritable discours politique. Sans vous la dévoiler, je peux vous dire que la toute dernière scène est à ce titre particulièrement significative: son incroyable puissance émotionnelle m'a presque fait verser une petite larme, je l'admets ! Cela paraît d'autant plus remarquable d'audace quand on se souvient également qu'après son salutaire exil américain, notre ami Charlot choisit un jour de rentrer en Europe et que son passeport étasunien lui fut alors retiré. Même s'il parodie le nazisme, même si, emporté dans son élan, il égratigne joliment le fascisme, je crois qu'on peut considérer Le dictateur comme une oeuvre intemporelle et de portée universelle. De quoi méditer, sans limite, sur les leçons de l'histoire...

Le dictateur
Film américain de Charlie Chaplin (1940)

Qu'on ne s'y trompe pas: plutôt drôle, le film a aussi des côtés sombres. Le talent de Chaplin est d'éviter toute référence ostensible au nazisme, croix gammée ou autre symbole, mais la dénonciation reste claire. Le ton n'est même pas édulcoré: la tension grimpe ainsi, doucement mais sûrement, autour du barbier juif et de ses amis. Inimitable, ce style faisait déjà merveille dans Les temps modernes.

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Une canne, un chapeau et d'autres admirateurs...

Vous vérifierez chez Pascale, Dasola, Chonchon, Lui et Princécranoir !

jeudi 28 avril 2016

Bulle de savon

Le cinéma sert-il à se réconforter ? Je n'en suis pas sûr, mais je crois qu'il n'y a pas de mal à se sentir mieux après un bon film. Peu avare de concepts, une certaine presse spécialisée - que j'imite d'ailleurs aussi, parfois - parle de feel-good movies pour qualifier des films d'ambition modeste et qui montrent le monde sous un jour idéalisé...

Rosalie Blum est, je crois, un feel-good movie. Il se consacre d'abord à Vincent, un jeune homme, coiffeur dans la Nièvre, petite vie rangée et célibat géographique subi (copine à Paris et jamais de retour !). Pour tromper l'ennui, le gentil garçon s'occupe de sa vieille maman. C'est compliqué et vraiment sympa, car cette mère est une dame farfelue, certes, mais aussi et surtout une bique des plus ingrates. Soudain, un beau jour, la vie de Vincent bascule: dans une épicerie qu'il n'avait jamais fréquentée, il croit reconnaître la tenancière. Beaucoup trop timide pour engager une discussion, il se contente alors... de la suivre pour découvrir qui elle est. Vous irez voir ailleurs si j'y suis pour découvrir la suite - dans un cinéma, par exemple. Honnêtement, le film étonne un peu plus que la moyenne du genre...

Sa (relative) fraîcheur tient au fait qu'il reste d'une modestie touchante. Visiblement, l'esbroufe n'est pas la caractéristique essentielle de Julien Rappeneau - le fils de Jean-Paul, je le confirme. En revanche, pour ce premier film, le réalisateur débutant, connu jusqu'alors comme scénariste, démontre un bon sens du casting. Chaque acteur est à l'unisson du propos, qu'il s'agisse d'une dame d'expérience comme Anémone ou des p'tits jeunes qui semblent sortis de l'oeuf, Kyan Khojandi ou Alice Isaaz. Dans le rôle-titre, qui laisse longtemps planer un certain mystère, Noémie Lvovsky assure aussi. Reste que mon coup de coeur ira à Philippe Rebbot, parfait copain dans un rôle secondaire, ou à Sara Giraudeau, rigolote comme tout. Rosalie Blum est un film d'acteurs... qui nous ressemblent, des gens ordinaires à qui la vie sourit, un peu avant qu'ils s'y soient préparés. La bulle de savon éclate vite après le générique, mais... elle m'a plu !

Rosalie Blum
Film français de Julien Rappeneau (2016)

Pleine de réactions de spectateurs, la bande-annonce joue clairement la même carte que le film: la proximité affective. On se croit revenu devant Le fabuleux destin d'Amélie Poulain ! Moins inventif formellement, le spectacle est un peu moins emballant, c'est vrai. Autre film-comparaison possible: Le battement d'ailes du papillon. Personnellement, c'est toujours Lulu femme nue que j'aime le plus...

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Avant de tourner la page, deux précisions...
Kyan Khojandi, pour les enfants de la télé, c'est l'auteur de Bref. Quant au film, il est adapté d'un roman graphique - du même nom. L'oeuvre de Camille Jourdy est parue chez Actes Sud, en trois tomes.

Et pour comparer un peu les avis...

Vous pouvez également aller lire la chronique rédigée par Pascale. Celle de Dasola montre qu'elle a, elle aussi, plutôt apprécié le film. 

mardi 26 avril 2016

Un, deux... trois ?

J'aurais pu reprocher à Family business de n'être qu'un film de mecs. Le truc, c'est que ça aurait très malhonnête sur le plan intellectuel. Parfaitement, messieurs... dames ! Je m'explique: ce qui a su attirer mon regard vers ce film, c'est précisément les mecs. J'ai craqué devant le trio Sean Connery, Dustin Hoffman et Matthew Broderick...

Adam McCullen est un jeune homme bien sous tous rapports. Maman s'inquiète un peu pour lui, c'est tout: il vient d'arrêter ses études. Conséquence: son père Vito et lui ont bien du mal à communiquer sereinement. Le vrai mentor d'Adam est plutôt son grand-père, Jesse. L'ennui, c'est que ce dernier est un escroc, qui préfère gagner sa vie en volant qu'en travaillant dur. Bien au courant, le supposé petit-fils modèle propose à son aîné un dernier coup jugé facile. Vous verrez dans le film comment tourne cette affaire: il faut que je me taise désormais, avant de tout vous raconter. Je préciserai simplement qu'au départ, Family business prend l'allure d'une (bonne) comédie...

En gros, Sean Connery cabotine à qui mieux-mieux et c'est une part de ce que j'espérais. La bonne nouvelle, c'est que notre ami écossais laisse aussi une très bonne place à ses partenaires pour s'exprimer. Dustin Hoffman et Matthew Broderick, plus sobres, assurent le coup. Les plus cinéphiles d'entre vous auront noté le nom du réalisateur derrière la caméra: Sidney Lumet, ce n'est pas n'importe qui ! Subtilement, quand le scénario avance, on glisse alors vers un film moins drôle, mais plus réfléchi sur les relations familiales, leur force éventuelle et leurs possibles limites. Family business: un bon titre. Fort heureusement, même si le sujet s'approfondit, le ton général demeure d'une légèreté appréciable. On ne s'ennuie guère, de fait. Tout au plus vous manquera-t-il donc un grand personnage féminin...

Family business
Film américain de Sidney Lumet (1989)

C'est avec ce genre de films qu'on comprend que Sean Connery préférait s'écarter du personnage de James Bond. Vous noterez d'ailleurs qu'il est sorti la même année que le fameux Indiana Jones et la dernière croisade. J'ai aimé revoir aussi Matthew Broderick. C'est que j'aime toujours autant La folle journée de Ferris Bueller. Son personnage m'a rappelé celui de Le lauréat - et... merci, Dustin !

dimanche 24 avril 2016

Un trop léger mystère

Un adage assez connu des cinéphiles souligne avec grande justesse que les meilleures intentions ne font pas toujours les meilleurs films. Je vais l'illustrer aujourd'hui avec Dernière séance. Pas de confusion possible avec l'émission de Monsieur Eddy: ce modeste thriller français joue dans une toute autre cour. Pas de quoi défaillir, mais...

Sylvain bosse dans un vieux cinéma, voué à une fermeture prochaine. Niant l'évidence, le jeune caissier-projectionniste, cinéphile compulsif et limite fétichiste, repasse sans arrêt le French Cancan de Renoir. Puis, quand le dernier curieux est parti, il éteint les lumières, enfile son manteau à capuche et s'enfonce dans la nuit vers une activité obsessionnelle autre, que la seule décence me défend de nommer ici. Gare au gorille, en quelque sorte ! Pascal Cervo a, de fait, l'indolence du grand singe et pas du tout son pelage. Reste qu'il est convaincant. Mutique, énigmatique, il se tire d'un personnage difficile à défendre. L'émotion passera par les expressions (ou non-expressions) du corps.

Farce burlesque ? Expérimentation chorégraphique ? Je ne crois pas. Ma relative déception à l'égard de Dernière séance est surtout à lier au fait que j'y ai vu un hommage à d'autres cinéastes et pas un film porté par une véritable inspiration personnelle. Sévère appréciation. Je pourrais aussi bien louer l'humilité du projet, tourné visiblement avec trois bouts de ficelle et sans le soutien d'une tête d'affiche. Finalement, mon avis est certainement entre ces deux postulats. Aucune prétention n'est à déplorer dans ce petit film - bon point. Disons donc que je ne suis pas arrivé à totalement m'y embarquer. Mais vous connaissez aussi mon respect pour les anti-blockbusters...

Dernière séance
Film français de Laurent Achard (2011)

Je ne voudrais pas spoiler, mais ce long-métrage récent a des points communs avec L'étrangleur, film plus vieux de Paul Vecchiali. D'ailleurs, Pascal Cervo tourne aussi pour le cinéaste varois et Achard a un personnage surnommé Monsieur Paul: pas de hasard, en fait. Maintenant, je vais me taire pour ne pas dévoiler toute l'énigme. Peut-être aussi que tout aurait été meilleur en ajoutant du mystère...

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Un truc encore, que j'ai appris après coup...
Le film est né d'une rencontre du réalisateur avec la productrice française Sylvie Pialat (l'ex-compagne de Maurice). Leur accord consistait précisément à ce que le cinéaste rejoigne le programme French Frayeur, initié par Canal+ et consistant à fabriquer des films d'horreur à petit budget. Et je me tais avant de spoiler davantage...

vendredi 22 avril 2016

La Bourse ou la vie

Les années 80 furent celles de mon enfance et de mon début d'adolescence. C'est étrange: j'ai l'impression de les connaître mal. Conséquence: j'aime (re)voir les films populaires de cette époque. Dernièrement, j'ai choisi Un fauteuil pour deux. Le temps heureux où Eddie Murphy était une star - et Jamie Lee Curtis un sex symbol...

L'idée du scénario est absurde, mais bonne: deux papys propriétaires d'une banque décident de virer leur meilleur trader pour le remplacer par le premier ahuri venu, pseudo-SDF et noir, de surcroît ! Moralisation soudaine du capitalisme ? Que nenni ! Il s'agit surtout pour les frères Duke de vérifier que le talent est strictement social. Élevé dans la soie, un homme est-il forcément bon ? Soumis aux lois de la débrouille, un cador dégénère-t-il aussitôt ? L'ami Eddie Murphy prête donc son bagou à l'expérience, tandis que Dan Aykroyd incarne son prétendu rival, le bon p'tit blanc déchu sans raison objective. Entre les deux, le coeur de Jamie Lee balance... sans daigner choisir.

Est-ce que c'est drôle, plus de trente ans plus tard ? Oui, assez. Replacé dans son contexte, le film amuse dans sa critique gentillette d'un certain système économique, dont les gentils finissent par tirer profit également. Contrairement à ce que ce titre peut laisser penser d'abord, Un fauteuil pour deux joue la carte collective. Il donne envie d'être copain avec ces loulous de personnages, bien plus malins finalement que les prétendus requins de la finance. En ces temps difficiles de crise prolongée, il n'est surtout pas interdit d'en rire. Maintenant, on peut aussi préférer les critiques plus constructives. Très fidèle à sa ligne, le long-métrage tient du pur divertissement. Typiquement le genre de films auxquels il ne faut pas trop demander. Pour moi, c'est aussi un marqueur d'époque pour plaisir rétrospectif !

Un fauteuil pour deux
Film américain de John Landis (1983)

La manière dont le cinéma américain veut nous faire rire a changé. Sans être nostalgique des temps révolus, j'aime les retrouver parfois par l'intermédiaire d'un long-métrage de ce genre, sans prétention. John Landis a fait encore bien mieux avec The Blues brothers ! J'imagine qu'il est difficile d'amuser les autres. Je n'ai de fait plus ri aux éclats au cinéma depuis longtemps - et j'espère Le grand soir...

mercredi 20 avril 2016

Vous avez dit festival ?

L'heure est venue... de revenir en arrière ! Les cinq derniers textes publiés sur ce blog évoquent des oeuvres vues avec mon association cinéma lors de son festival annuel. Après coup, je me suis dit d'ailleurs que "festival" était un grand mot pour cet événement. Honnêtement, nous restons bien peu nombreux. Un bilan s'impose...

La salle mise à notre disposition contient une centaine de fauteuils confortables. Pour l'instant, cette saison, celui de "nos" films qui a connu le plus de succès est Corps à coeur, de Paul Vecchiali, diffusé en sa présence (88 entrées un dimanche après-midi). Aucune séance du festival n'a dépassé la quarantaine de spectateurs. Frustrant ! Notez que je n'ai rien à y redire: je n'étais là que cinq des huit fois...

Constat agréable: aucun des films que j'ai vus ne m'a vraiment déplu. Animer la deuxième soirée et le débat autour d'Alessandra Pescetta était même un très chouette moment (peu suivi, malheureusement). Après, objectivement, pour tout voir, il faut être un cinéphile endurant. Mine de rien, huit séances cinéma en huit jours, ça fait beaucoup ! Et le public n'est pas, bien entendu, extensible à l'infini...

Il faut dire aussi que choisir les exils comme thématique générale d'une programmation culturelle en 2016, c'est assez casse-gueule. Cela étant dit, je dois ajouter que j'ai aimé (et voté pour) ce choix. Je suis donc content d'avoir eu l'occasion de découvrir des oeuvres exigeantes, un peu plus pointues que celles que je visionne habituellement. Ma joie trouve toujours ses sources dans la diversité.

Au moins avons-nous proposé des films de nombreuses nationalités différentes ! C'est l'une des motivations premières de l'association. Sans mentir, je crois que, de ce point de vue, le deal est respecté. Avoir ajouté le drapeau cambodgien à ma petite collection de cinéma est une joie personnelle que je revendique volontiers. Les entraves que continuent d'affronter certains artistes étrangers me dépassent...

Ce qu'un festival a de bon, c'est aussi, même dans une configuration riquiqui, d'offrir la possibilité de revoir de vieux films sur un écran géant. Damned ! J'ai manqué Andrei Roublev de ce cher Tarkovski ! Bon, j'étais à l'anniversaire d'une gentille dame... c'était bien aussi. Globalement, je n'ai pas de regret quant à mes trois renoncements. Un petit aveu: L'homme sans passé n'était pas pour moi un inédit...

Finalement, le seul programme que j'aurai peut-être des difficultés réelles à "rattraper", c'est une série de quatre courts-métrages diffusés lors de l'avant-dernière soirée (un jeudi soir, donc). Honnêtement, ça ne me désole pas: on ne peut toujours tout voir. Maintenant, c'est très clair: je vous encourage à saisir les occasions de suivre tel ou tel festival de cinéma. Ça peut démultiplier le plaisir !

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Une précision graphique...
Pour illustrer cette chronique, j'ai travaillé à partir du photogramme choisi pour l'affiche de notre festival. Il était lui-même issu du film projeté le quatrième soir (c'était un lundi): Nostalgie de la lumière.

Je vais être fidèle à la pratique de mon association...
Je vous laisse donc désormais la parole: j'accueille très volontiers l'ensemble de vos remarques et éventuelles questions. Je suis curieux aussi de partager vos propres ressentis sur l'expérience festivalière...

lundi 18 avril 2016

Combler le vide

Nous n'avons pas tout à fait eu le choix: pour clôturer le festival annuel de mon association, notre engagement à participer également à des soirées prévues par Amnesty International a imposé L'image manquante comme film de clôture de notre semaine liée aux exils. Aucun regret: ce rude documentaire mérite bien qu'on s'y intéresse...

Si le nom des Khmers rouges ne vous dit rien, je vous recommande vivement de chercher sur Internet ou, mieux, dans un livre d'histoire qui étaient ces hommes et leur leader, Pol Pot, pour mesurer aussitôt les horreurs qu'ils ont commises au Cambodge, en adeptes forcenés d'un communisme radical. Entre 1975 et 1979, on estime aujourd'hui le bilan de ces sombres années à 1,7 millions d'hommes et de femmes tués - soit l'équivalent de 20% de la population du pays, à l'époque. Rithy Panh, le réalisateur de L'image manquante, a lui-même perdu ses parents et une partie de sa famille. Il a été déporté à 11 ans ! Finalement, il a été accueilli en France quand il était adolescent. D'abord, il a refusé de témoigner sur ce qu'il avait traversé, au point même de renoncer à l'usage de sa langue maternelle. C'est en 1988 qu'il a changé d'avis et a décidé, à travers le cinéma, d'entretenir aussi la mémoire de son peuple. Et dans ce film, à défaut d'archives audiovisuelles, il a conçu des figurines pour "incarner" les disparus...

J'aime autant vous dire que c'est poignant ! Outre qu'il renforce l'aspect graphique du film, le procédé a un autre avantage: il produit une sorte de distance entre les spectateurs et le sujet abordé. Franchement, ce n'est pas une mauvaise chose: on peut s'intéresser ouvertement à cette histoire, mais ne pas affronter de documents trop horrifiques permet de s'y plonger sans éprouver de dégoût. L'image manquante est plein d'empathie, mais jamais voyeuriste. Didactique, parfois à la limite de l'ironie, une voix off discrète alterne données explicatives et considérations plus intimes de l'auteur. Pudique, ce dernier dit ne plus pouvoir voir certaines des choses héritées de cette partie de sa vie. Au-delà des faits, quelques-unes des illustrations qu'il a retenues pour appuyer son propos font froid dans le dos, à l'exemple de ces enfants condamnés aux travaux forcés ou de ces immenses foules faussement enthousiasmées par l'ordre nouveau. Cela paraît aussi démentiel qu'Auschwitz ou Nuremberg. C'était pourtant - ne l'oublions pas - il y a tout au plus quarante ans...

L'image manquante
Documentaire franco-cambodgien de Rithy Panh (2015)

Est-ce du cinéma ? Oui, je dirais qu'il s'agit d'un cinéma du réel. Aucun autre témoin rescapé n'illustre le propos - le vrai Rithy Panh restant très largement absent du cadre de sa caméra. J'ai appris beaucoup de choses et j'ai vu une belle oeuvre, digne et forte. Difficile d'enchaîner après ça, mais je l'ai fait deux jours plus tard. Ici, tout de même, j'ai prévu un "sas de décompression" mercredi...

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Si vous voulez un autre avis (et d'autres infos)...

Je vous recommande de lire aussi la chronique publiée chez Eeguab. J'ajoute (euh... tardivement !) un lien vers celle de Princécranoir. D'autres parmi vous ont-ils vu le film... ou en ont-ils entendu parler ?

samedi 16 avril 2016

Drôle de guerre

Un réalisateur dont le deuxième film d'une longue carrière s'intitule Les nains aussi ont commencé petits ne peut qu'attirer ma curiosité. Bon... je n'ai pas attendu trop longtemps avant d'être très intéressé par le cinéma de Werner Herzog. J'étais heureux que mon association choisisse de diffuser son tout premier opus, l'étrange Signes de vie...

Stroszek, Meinhard et Becker sont trois soldats allemands, en 1942. Ensemble, ils sont chargés de surveiller un dépôt de munitions abandonné par l'armée grecque, sur une île que la Wehrmacht a prise sans avoir à livrer bataille. Sous un soleil de plomb, le trio s'ennuie profondément. Quand il en a terminé avec ses maigres obligations militaires, il réclame le droit de partir patrouiller dans la nature environnante. Signes de vie, c'est le récit assez curieux de la manière dont trois caractères bien différents les uns des autres s'accordent dans une inaction commune. La guerre reste tout à fait hors-champ. L'évoquer ainsi n'est pas anodin dans l'Allemagne (divisée) de 1968...

Werner Herzog est si jeune l'année où ce film sort - 26 ans - qu'il n'y a strictement aucune ambigüité possible quant à son comportement pendant la période nazie. Même si les symboles de l'armée hitlérienne restent absents à l'image, il n'est toutefois pas incongru d'imaginer que le cinéaste s'interroge sur le passé encore récent de son pays. Stroszek, Meinhard et Becker composent finalement trois visages différents de ce que pouvait être le soldat allemand quand la barbarie imposait sa loi partout en Europe (et même au-delà): le premier sombre lentement dans la folie, le deuxième - un peu crétin - s'ingénie à construire des pièges à blattes et le troisième profite d'être loin de chez lui pour s'intéresser à l'histoire des civilisations anciennes. Quelques futurs grands personnages du même réalisateur sont ici en germe. Cela dit, Signes de vie est plus qu'un brouillon. Dans un noir et blanc soigné, c'est un premier film réussi et étonnant.

Signes de vie
Film allemand de Werner Herzog (1968)

Premier essai, premier succès pour le réalisateur bavarois: cet opus lui vaut immédiatement de recevoir l'Ours d'argent de la Berlinale. Curiosité à noter: le scénario s'inspire d'un récit de la littérature allemande publié en 1818, Der tolle Invalide auf dem Fort Ratonneau. Lesté d'une voix off un peu lourde parfois, il n'a pas encore l'ampleur des grands Herzog comme Aguirre ou Fitzcarraldo. Rien de grave...

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J'ai déniché un autre avis sur un blog-ami...

Pour ce type de raretés, on peut toujours compter sur Princécranoir

jeudi 14 avril 2016

Des étoiles et des hommes

Je vous ai proposé d'arpenter un désert lundi. Je vous accompagne aujourd'hui vers un autre: l'Atacama. Au Chili, ce site de 105.000 km² accueille quelques-uns des plus grands télescopes du monde. Nostalgie de la lumière, le documentaire dont je veux vous parler, part donc d'abord à la rencontre des astronomes présents sur place...

Patricio Guzmàn, son auteur, les fait logiquement parler des étoiles. L'un d'eux explique ainsi, en préambule à une réflexion plus profonde sur les paradoxes de l'humanité, que son travail d'observation s'intéresse à ce qui s'est déjà passé: la luminosité de la Lune a besoin d'un peu plus d'une seconde pour parvenir jusqu'à nous, celle du Soleil d'environ huit minutes. Très vite, Nostalgie de la lumière va plus loin et donne la parole à d'autres chercheurs: les anthropologues, lancés notamment dans l'étude des roches gravées de l'Atacama, sculptées par des bergers précolombiens. Doucement mais sûrement, le film approche de son "vrai" sujet: la mémoire des victimes de la dictature instaurée par le général Pinochet, de décembre 1973 à mai 1990. Apparemment sans lien avec les thématiques précédentes, le propos est remarquablement amené. J'ai ainsi appris beaucoup de choses ! Quelques rescapés témoignent. C'est, bien sûr, tout à fait émouvant.

En fait, je trouve que Nostalgie de la lumière adopte le ton juste. Les faits historiques dont il se fait l'écho et leurs répercussions aujourd'hui font froid dans le dos: le documentaire se tourne ainsi vers des groupes de femmes qui, depuis près de 30 ans, poursuivent méthodiquement une exploration du désert pour retrouver les traces de leurs maris, pères ou fils, jamais revenus de leur déportation. Parfois, la caméra filme aussi des hommes: un ancien prisonnier capable de dessiner - de mémoire ! - les contours de son ancien camp d'internement livre sans aucun doute le témoignage le plus étonnant. Projeté lors du festival annuel de mon association, le long-métrage pourra sûrement, à la lecture de ma modeste chronique, vous paraître trop dur (ou trop sombre) pour que vous y prêtiez davantage d'attention. Je crois que ce serait dommage: vous passeriez à côté d'un beau film, qui laisse aussi une place à de petites notes d'espoir.

Nostalgie de la lumière
Documentaire chilien de Patricio Guzmàn (2010)

Vous le savez si vous êtes fidèle à ce blog: je n'ai pas l'habitude d'aller voir des documentaires au cinéma. Celui-là m'a plu parce qu'il mêle très astucieusement la leçon d'histoire à l'enseignement scientifique. Pour moi, il sort aussi du lot en faisant montre d'une grande humanité à l'égard des protagonistes, sans jamais céder à la facilité du pathos. Compte tenu du sujet traité, le fait vaut bien, je crois, d'être relevé.

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Une autre lecture du film ?

Je vous propose de lire également la (courte) chronique de Dasola

mercredi 13 avril 2016

Alessandra et Ahlem

Je vous l'ai dit en chroniquant Andalucia: au cours du festival annuel qu'organise mon association, j'ai eu à présenter ce film. L'ambiance était particulière pour deux raisons: 1) nous n'étions qu'une vingtaine et 2) nous avions invité la réalisatrice italienne Alessandra Pescetta. C'est surtout son travail qui a nourri nos échanges après la projection.

Alessandra était arrivée le matin même, après cinq heures de train. Dans ses bagages: Ahlem, l'un de ses courts-métrages. Une oeuvre évidemment inscrite dans la thématique Exils de notre festival. L'histoire tourne autour d'une adolescente sicilienne, d'ascendance tunisienne. Quand elle n'est pas en cours au lycée, la demoiselle raconte ses rêves à sa meilleure amie, qui, elle, est d'origine polonaise. Parfois, il lui arrive aussi de revêtir l'uniforme orange vif d'un groupe de bénévoles, qui tentent d'organiser un accueil digne pour des réfugiés venus d'ailleurs en Méditerranée. Cette réalité quotidienne est illustrée avec une sorte d'emphase lyrique, étonnante.

Soyez assurés que ce n'est pas un reproche: si par hasard vous avez une occasion de découvrir Ahlem, je vous le recommande vivement. Bien sûr, en un peu moins de dix-neuf minutes, il n'est pas possible que ce petit film fasse le tour de la question - je doute d'ailleurs qu'une oeuvre plus longue y arrive. Au fond, l'important n'est pas là. L'important, je crois, c'est que, non contente d'évoquer un sujet d'actualité brûlante, Alessandra nous offre une vraie proposition artistique. Au final, lorsque la musique de Johann Sebastian Bach vient dominer l'ultime séquence, bien des choses ont été exprimées. Quid de mon avis ? C'est un bref instant auparavant que j'ai ressenti l'émotion la plus forte. Une nappe repliée ressemble alors à un linceul et, au-delà des mots, l'image suffit bien pour évoquer une tragédie...

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Bon, un petit mot encore...

Je crois qu'il est très probable de vous reparler bientôt d'Alessandra. Pourquoi ? Comment ? Vous verrez bien ! Encore un peu de patience...

lundi 11 avril 2016

Se perdre, se trouver

Vous avez compté ? J'ai vu cinq films américains consécutivement. L'ouverture du festival de mon association est arrivée à point nommé pour m'emmener vers d'autres horizons, cette fois ceux de l'Algérie. Après avoir accueilli Tariq Teguia l'an dernier, nous avons découvert un autre de ses films: Inland. Petite affluence, mais grand moment !

Inland fait partie de ces films qui ne se livrent qu'au compte-gouttes. Aussi ténu puisse-t-il paraître, un fil narratif existe pourtant, brodé autour du personnage de Malek, un topographe envoyé dans un coin reculé du pays, aux confins du désert. Son job: vérifier qu'il serait possible d'électrifier la zone et d'apporter la lumière aux populations. Cette trame est aussi politique: le fait est que deux autres hommes étaient partis assumer cette mission, mais qu'ils ont été assassinés. Tariq Teguia ne fait pas mystère de vouloir ainsi insérer son propos dans l'histoire contemporaine de son pays. Subjective, sa démarche suppose évidemment de s'intéresser à ce type de cinéma, mais aussi de savoir suivre un récit dont on ne comprend pas toute la teneur. Pas question de vous mentir: j'ai parfois eu du mal à m'y accrocher...

Qu'est-ce qui m'a permis de tenir la distance (2h18 de film 35mm) ? L'image, tout d'abord. D'une saisissante beauté, le film m'est apparu comme un livre ouvert sur une terre étrangère, luxuriante parfois, mais inhospitalière souvent. Plantés au beau milieu, les hommes semblent franchement vulnérables. Le fait qu'ils se battent entre eux n'arrange rien et dit, en creux, la nécessité qu'ils soient solidaires. Inland montre, sans vulgarité ou pathos, que les grands discours s'inclinent vite devant les froides réalités du terrain et qu'il y a toujours un autre pour être plus démuni que soi. En y réfléchissant ainsi, je me dis que j'ai peu de chances de vous convaincre de donner sa chance à ce long-métrage - sans doute bien peu diffusé, d'ailleurs. Reste qu'avec sa complexité formelle, il sait aussi nous émerveiller. Une réplique du film en rend bien compte, qui, dite par une femme exilée, suggère que marcher en Algérie est terrible et beau à la fois...

Inland
Film algérien de Tariq Teguia (2008)

Un aveu: j'ai mieux mordu à ce film qu'à Révolution Zendj, le Teguia que nous avions vu l'année dernière - en présence de Tariq lui-même. Après quatre courts et trois longs, le cinéaste n'a pas d'autre projet sur le feu et dit ne pas vouloir en faire un métier. J'admire la façon dont il filme le désert, loin de la superbe de Lawrence d'Arabie. Confusément, sans l'avoir vu, j'ai pensé au Gerry de Gus van Sant...

samedi 9 avril 2016

Juste une illusion

Je ne vous apprendrai rien à ce stade: le show-business est présenté fréquemment comme un univers impitoyable, où seuls les plus retors gardent une (petite) chance de se frayer un chemin. Martin Scorsese se serait quelque peu fait prier pour évoquer le monde de la télévision dans le bien nommé La valse des pantins. Mais quel brillant résultat !

Cette comédie grinçante a pour personnage un certain Rupert Pupkin. L'homme vit seul avec maman, dans un appartement, quelque part dans New York. Parce qu'il se croit drôle, il pense percer rapidement dans l'émission télévisée de Jerry Langford, vedette du petit écran. L'ennui, c'est que ce n'est pas envisageable, alors qu'une rencontre fortuite entre les deux hommes - dont je vous laisserai découvrir seuls les circonstances - avait donné un espoir à l'opiniâtre Rupert. Las ! Tout le monde continue de déformer son nom: il reste un loser ! Et ce qui aurait pu être la matière d'un drame en d'autres mains devient tout autre chose: The king of comedy (en VO) s'accroche durablement aux basques de Pupkin et montre aussi... ce qu'il serait si ses rêves de gloire se concrétisaient. Par la grâce d'un montage savamment orchestré, le film fait ainsi des aller-retours constants entre le fantasme de cet absolu anti-héros et sa réalité. Le contraste est saisissant, drôle parfois, c'est vrai, mais fondamentalement cruel.

Scorsese trouve un très juste équilibre et ne se moque pas de Rupert. Pour porter toutes ses contradictions, il a cette chance de pouvoir disposer d'un acteur Stradivarius: Robert de Niro, ici à son meilleur. Réduire cependant la réussite du film à cette incroyable prestation serait commettre une erreur: notre ami Bob est bien accompagné. Sans vous détailler l'ensemble de cette belle distribution, il me faut évidemment citer celui qui interprète Langford: Jerry Lewis himself. Ce choix d'interprète est plus que judicieux: dans un contre-emploi parfait, l'ex-trublion comique développe ici un jeu sobre et convainc durablement dans la peau d'un homme dépassé par les événements. La valse des pantins est aussi une charge appuyée sur les pratiques et le pouvoir de nuisance d'une certaine télé. Je crois important d'insister sur le fait que Scorsese laisse une part à notre imagination. Sa conclusion est, vue sous un certain angle, un modèle d'ambiguïté. Sur l'instant, je l'ai trouvée logique, mais c'est (peut-être)... un rêve.

La valse des pantins
Film américain de Martin Scorsese (1983)

Il me semble y avoir un lien entre ce Rupert Pupkin et le Travis Bickle de Taxi driver - je préfère le second, cela dit, plus "cassé" encore. Martin Scorsese est clairement du côté des marginaux, en tout cas. J'aime beaucoup la manière dont il décrit les travers de notre monde contemporain, sans renoncer à son talent de mise en scène. Je peux confirmer aussi mon goût pour ses vieux films, depuis Mean streets.

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D'autres blogs-amis évoquent le film aussi...

C'est à lire sur "L'oeil sur l'écran", chez 2flics et (en bref) chez Dasola.

jeudi 7 avril 2016

Premières énigmes

Ma mère pourrait vous le confirmer: Le secret de la pyramide m'avait laissé un seul vrai souvenir - celui de l'affreuse hallucination d'un poulet qui reprenait vie dans l'assiette d'un gourmand. Ce film autour de la jeunesse du personnage de Sherlock Holmes, je l'avais vu quand j'étais ado. Sa rediffusion sur Arte, c'était inattendu et sympa !

Ami(e)s littéraires, vous avez raison: Arthur Conan Doyle n'a écrit aucun roman sur la formation de son célèbre détective. Le film ose donc secouer le mythe, tout en soulignant d'emblée le caractère libre de cette vraie-fausse adaptation. Une bonne partie de l'imagerie "holmesienne" est présente, cela dit, avec notamment un Stradivarius furtif et un sens de l'observation déjà très affuté parmi les attributs admirables du personnage principal. Ah ! Avis aux amateurs: il y a également un certain John Watson, dans les parages. Je préfère taire l'enjeu du scénario: plus c'est surprenant, meilleur c'est, n'est-il pas ? Ma décision est claire: je ne trahirai pas Le secret de la pyramide...

Tout ce que je veux dévoiler, c'est que le film est assez bien ficelé. Même si elle s'adresse plutôt à un public jeune, on ne s'ennuie guère devant cette aventure quand on est plus "grand". L'esthétique générale et la belle reconstitution du Londres victorien nous aide même à nous embarquer sans nous poser de grandes questions existentielles. Le secret de la pyramide est en somme un film-étalon de ce que j'appelle parfois "un bon divertissement". Il est amusant d'ailleurs de relever des noms connus parmi les techniciens, dont ceux de Chris Columbus et de John Lasseter - les connaisseurs apprécieront et les autres... pourront jeter un oeil sur Wikipédia et/ou IMDb. Franchement, le Sherlock Holmes de papier n'est pas trahi ! Je dirais en fait qu'il est respectueusement réinventé. Du coup: quatre étoiles !

Le secret de la pyramide
Film américain de Barry Levinson (1985)

Un conseil: il vaut mieux se souvenir de l'âge du film pour le découvrir dans de bonnes conditions. Les quelques effets spéciaux paraissent un peu dépassés aujourd'hui, techniquement parlant. Dont acte. Malgré ce bémol, j'aime mieux ce petit film que le Sherlock Holmes de Guy Ritchie - pourtant un vrai Britannique, lui ! Comme version décalée, le must doit rester Élémentaire, mon cher... Lock Holmes.

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D'autres indices sur la qualité du film ?
Vous pouvez aussi en chercher chez Laurent et/ou chez Princécranoir.

mardi 5 avril 2016

Robocop junior

Bon... toi, derrière ton écran, si tu es un fidèle de ce blog, je suppose que tu as l'habitude des hauts et des bas de mon niveau d'exigence. Certains soirs, c'est clair: je n'ai pas envie de regarder un film "compliqué" et un bon blockbuster des familles suffit à mon bonheur. Au sujet de Chappie, pour tout dire, j'étais tout de même dubitatif...

Maintenant que je l'ai vu, je confirme: ce n'est pas un chef d'oeuvre. Je vais commencer par le positif: l'idée de départ. Dans une Afrique du Sud gangrénée par la violence, le scénario raconte que la police fait désormais appel à des renforts robotiques, avec une efficacité vérifiée sur le terrain. Problème: l'une de ces machines-flics tombe entre d'assez mauvaises mains, alors que l'ingénieur qui l'a fabriquée vient tout juste de l'équiper... d'une conscience (presque) humaine ! Question intéressante: que devient donc un processeur informatique quand il n'est pas programmé, mais "éduqué" ? Peut-il se montrer suffisamment intelligent pour distinguer le bien du mal ? Suspense...

À ce stade, je trouve encore que Chappie pose une problématique valable. L'ennui, c'est en fait qu'elle donne lieu à un développement d'intrigue plus bourrin que philosophique. Ouais... le film m'a donné l'impression d'être fabriqué de bric et de broc. Comme je l'ai lu ailleurs et après coup, le casting lui-même est des plus hétéroclites. Aux côtés de la grande Sigourney Weaver, on croise un Hugh Jackman très moyen et un Dev Patel sympathique, mais à peine mieux inspiré. Surprise: la présence de deux rappeurs sud-africains parmi les rôles principaux. Problème: Yolandi Vi$$er et Ninja - la fille et le gars - interprètent assez mal des personnages somme toute peu attachants. Allô maman robot: une junkie materne un pauvre tas de ferraille ! Bilan: le nanar n'est pas loin. Les amateurs de films à effets spéciaux pourront peut-être y trouver leur compte, mais moi, je dois admettre que j'espérais quand même un spectacle un peu plus consistant. Chose qui me surprend: dans l'ensemble, le film a l'air plutôt apprécié.

Chappie
Film américain de Neill Blomkamp (2015)

Les connaisseurs auront reconnu le réalisateur du fameux District 9. Mon ancienne chronique montre que je n'avais pas vraiment adhéré non plus à ce premier opus - toujours au rayon science-fiction. Damned ! Malgré Jodie Foster et Matt Damon, je ne suis pas motivé pour voir l'autre film de Blomkamp, Elysium, tourné entre les deux. De la SF récente que j'ai pu aimer ? Oui: Seul sur Mars ou Oblivion.

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Ailleurs sur le Net...
Pascale note qu'un beau gosse s'est transformé en robot: déception ! 2flics, qui s'en moque un peu, n'est finalement guère plus indulgent...

dimanche 3 avril 2016

L'enlèvement

Vous le connaissez, vous, Roger Deakins ? Cet Anglais a signé la photo de nombreux films des frères Coen - entre autres faits de gloire. J'avoue qu'avant de voir Prisoners, je n'y avais pas prêté attention. Quelle révélation devant ce travail accompli avec Denis Villeneuve ! Le Québécois - en visite aux States - a fort bien choisi son complice.

Prisoners est l'un des thrillers les plus noirs que j'ai vus à ce jour. Pas d'erreur: je parle bien ici d'une qualité. Blasé ou non, je constate que, dans le registre du polar, il y a peu de films qui parviennent réellement à me scotcher au fauteuil d'un bout à l'autre du métrage. Celui-là y est arrivé ! L'histoire commence alors que deux familles américaines sont réunies pour fêter Thanksgiving. Tout se déroule normalement, mais, en cette fin d'après-midi automnale, les adultes réalisent soudain que deux fillettes ont disparu. Première montée d'angoisse. Un type bizarre qui passait par là se retrouve suspecté d'enlèvement, mais la police le juge trop stupide pour enfreindre la loi et le libère donc rapidement. Ce n'est que le premier rebondissement d'une longue série. En presque deux heures et demie, le scénario prend tout son temps pour nous balader. J'ai a-do-ré ! Âmes sensibles s'abstenir: sur le plan psychologique, c'est tout de même très violent.

Je me répète: la photo de Roger Deakins est impeccable pour appuyer les effets d'un suspense poisseux. Reste que réduire le long-métrage à ce parfait usage de la (non-)lumière serait assurément regrettable. Prisoners brille aussi du talent de ses acteurs: Hugh Jackman envoie du lourd en père ravagé par la douleur, face à un Jake Gyllenhaal remarquable en flic de prime abord dépassé par les événements. Impossible d'oublier certains des rôles secondaires: celui de Paul Dano est spectaculaire et celui de Melissa Leo glaçant - à vous de vérifier. Ce que j'ai tout particulièrement aimé, c'est de ne pas avoir d'avance sur les différents personnages: le film pose en fait plusieurs énigmes et ne livre ses clés que petit à petit, beaucoup d'éléments importants restant dans l'ombre presque jusqu'au générique final. Un grand kif ! D'ailleurs, c'est bien simple: je n'ai même pas vu le temps passer. J'ajoute que je ne rejoins pas ceux qui jugent la conclusion simpliste.

Prisoners
Film américain de Denis Villeneuve (2013)

Tourné après Enemy, mais diffusé avant, cet autre opus du cinéaste québécois m'a donc pleinement convaincu. De quoi me faire un peu regretter d'avoir laissé passer le dernier, Sicario, l'année passée ! Avant de me rattraper, je signale qu'on a parfois comparé ce cinéma à celui de David Fincher, période Zodiac ou, pour ma part, Gone girl. D'aucuns ont fait le parallèle avec le Mystic river de Clint Eastwood...

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Pour être tout à fait complet...
Je crois bon de citer Denis Villeneuve: "En arrière-plan, Prisoners traite d’une certaine paranoïa propre aux États-Unis, d’une tension entre l’individualité et les institutions, d’une fragilité du tissu social, de la déresponsabilisation par rapport à la torture et la violence". Dans Télérama, le réalisateur a dit aussi: "Pour moi, c’est un film douloureusement américain, proche d’un western". C'est assez juste.

Y a-t-il d'autres amateurs, dans la salle ?

Oui ! J'en dénombre quatre: Pascale, Dasola, Chonchon et Sentinelle.

vendredi 1 avril 2016

Froide menace

Aujourd'hui, c'est promis: je vous écris une chronique sans poisson. C'est un film sérieux que je présente: La chevauchée des bannis. Revoir le grand Ouest sous la neige était ma première motivation pour découvrir ce vieux western. Est-ce que cette caractéristique aura suffi pour que j'y trouve le plaisir attendu ? Franchement... oui !

Le western aime les gueules. Celle de Burl Ives, grand acteur oublié aujourd'hui, est parfaite pour incarner un méchant plutôt ambivalent. Le début du film a lieu sans lui, toutefois. Un dénommé Blaise Starret est venu jusqu'au village de Bitters afin d'y régler un contentieux persistant avec un important fermier local, Hal Crane: l'éleveur juge que son contradicteur occupe des terres qui ne lui appartiennent pas. La polémique pourrait se régler en un duel, mais, soudain, une bande de desperados débarque en ville et rebat les cartes des priorités. Parce qu'il est alors question de vie ou de mort, les adversaires unissent temporairement leurs forces pour faire face aux bandits. Surprise du chef: La chevauchée des bannis reste alors statique. Dans un premier temps, le scénario se contente en effet de faire monter la pression, à mesure que les bad boys mettent la population en coupe réglée. Émois claustrophobes au coeur des grands espaces...

Tournée sous un soleil de plomb, cette histoire aurait sûrement perdu beaucoup de sa superbe: c'est bien de son cadre hivernal qu'elle tire l'essentiel de sa force. La blanche austérité de cet Oregon sauvage est un écrin pour des émotions brutes de décoffrage. Le noir et blanc ajoute encore à la puissance de ces images: le temps n'a pas altéré leur beauté et, personnellement, je me suis embarqué sans difficulté dans ce récit relativement classique par ailleurs. Je veux donc croire que les amateurs (ou -trices) de westerns parmi vous s'y plairont aussi. Un aveu: je n'ai pas identifié énormément de visages connus dans La chevauchée des bannis. Vous savez quoi ? Tant mieux ! Sincèrement, je crois que j'ai d'autant plus apprécié le spectacle proposé que je n'étais pas véritablement en terrain familier. Le fait est que j'adore me laisser surprendre par ce que je crois connaître. Toutes mes Dernières séances d'enfance m'en ont laissé à découvrir...

La chevauchée des bannis
Film américain d'André de Toth (1959)

Un constat amusant: si j'ai mis beaucoup de temps avant de voir enfin un western enneigé, j'en ai désormais plusieurs à mon palmarès cinéphile. Illustrations récentes: Les 8 salopards et The revenant. Vous préférez les classiques ? Jeremiah Johnson est incontournable ! Plus ancien et beaucoup plus floconneux, vous avez Track of the cat. Sans oublier, côté italien, le mutique (et mythique) Le grand silence.

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D'autres chroniques sur le film sont disponibles...

Vous en lirez du côté de "L'oeil sur l'écran" et/ou chez Princécranoir.