vendredi 2 février 2024

Vers la lumière

Il avait obtenu le Prix du scénario au Festival de Cannes le 27 mai. L'innocence, le nouveau film du cinéaste japonais Hirokazu-Koreda, est sorti sept mois plus tard, soit pile... le jour de mon anniversaire ! Un vrai beau cadeau pour moi: je suis allé le voir en toute confiance. Jusqu'à présent, jamais les oeuvres de ce réalisateur ne m'ont déçu...

Cet opus a deux spécificités: 1) il est le premier que Kore-eda tourne au Japon depuis 2018, après des escapades - en France et en Corée - et 2) il est aussi le fruit d'une collaboration inédite avec un scénariste et auteur plutôt habitué aux productions télévisées, Yuji Sakamoto. L'action du film se situe dans la préfecture de Nagano, hôte des Jeux olympiques d'hiver en 1998, au centre du pays. C'est avec une mère célibataire, Saori Mugino, que nous faisons d'abord connaissance. Rapidement, nous découvrons que Minato, son fils, a des problèmes importants dans son école. Est-il harcelé par l'un de ses camarades ? Violenté par un enseignant ? C'est ce qui apparaîtra le plus plausible...
 
Mais la caméra aborde rapidement les choses sous un autre angle ! Après un passage où la vieille directrice d'un établissement scolaire demande pardon à une maman sans écouter ses doléances, la lumière revient pour nous montrer ce qu'est le quotidien d'un prof ordinaire lors de sa toute première rentrée. Et L'innocence se complexifie. Concrètement, ce que nous avons vu (ou cru comprendre) des scènes inaugurales est remis en question: les apparences sont trompeuses. Ne pas conclure trop vite: c'est bien ce à quoi le film nous encourage. Pour cela, il peut s'appuyer sur d'excellents acteurs. Toute une troupe dont deux enfants émergent progressivement comme les personnages principaux: ils ne seront certes pas les derniers à nous émouvoir. Selon le réalisateur, leurs interprètes se sont "entendus à merveille" !

Ce que j'aime dans cette histoire, c'est qu'elle n'a rien de manichéen. Pas de pur héros, non, et pas véritablement de "méchant" non plus. Bien entendu, certains des protagonistes s'avèrent plus vulnérables que d'autres et pourraient être les victimes d'un système social marqué par les tabous et rigidités d'un certain archaïsme. L'empathie dont Kore-eda fait preuve à leur encontre vaut bien sa mesure lorsqu'il s'agit pour lui de pointer du doigt les réelles dérives d'organisations (supposément) irréprochables. Le plus remarquable dans cette façon de faire de cinéma ? Elle n'impose aucun discours lénifiant et laisse le spectateur tirer ses propres conclusions à partir des images. Les dialogues n'en sont dès lors que plus crédibles. Inutile, en somme, de redire avec les mots ce qui est déjà explicite...

Il arrive qu'un tel récit nous emmène doucement vers une conclusion dramatique. Sans vouloir vous gâcher la surprise, j'oserai vous dire que ce n'est pas le cas de celui-là. Ses nombreuses ruptures de ton impressionneront les âmes sensibles pour mieux les réconforter. J'ajoute que la formidable partition du regretté Ryuichi Sakamoto écrite pour le film compte pour beaucoup dans sa réussite formelle. L'ultime plan est digne de l'humanisme d'un certain Akira Kurosawa. L'innocence porte bien son titre, même si celui qui avait été retenu pour Cannes (Monster) conservait également une part d'ambiguïté intéressante - laquelle est, je crois, la marque des grands auteurs. Aïe ! Le box-office reste faible (182.557 entrées en trois semaines). Mais quelle idée de ne proposer le film qu'en toute fin d'année, aussi !

L'innocence
Film japonais de Hirokazu Kore-eda (2023)

Et de dix ! J'ai désormais vu (et chroniqué) dix des longs-métrages d'un cinéaste bien placé dans mon Panthéon personnel. Son retour dans son pays promet d'autres surprises... que j'ai hâte de découvrir. D'ici là, mon index des réalisateurs, à droite, vous aidera à retrouver ceux de ses films dont j'ai déjà parlé. Et d'autres bons plans japonais, à l'image de Still the water, Takara ou bien encore The long excuse.

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Et pour aller plus loin...

Vous profiterez de bons repères chez Pascale, Princécranoir et Strum.

6 commentaires:

Pascale a dit…

Tu en parles super bien.
Mais je suis surprise. J'ai trouvé la fin dramatique moi et bouleversante même si lumineuse...
Quand je termine la vision d'un film de Kore Eda je me dis : il va falloir atendre combien de temps pour voir le suivant ? Je me demande s'il va devenir culte pour la prochaine génération comme Ozu et ses histoires de famille pour nous.

Pou4 plonger dans un autre labyrinthe complexe, je te recommande A man. Grand film, grands acteurs.
Le cinéma japonais ♡♡♡♡♡

Pascale a dit…

Le box office pour ce film me fait beaucoup de peine. Les gens ne se doutent pas de ce qu'ils ratent.
Quand je vois que le trés TRÈS mauvais La tresse est encore à l'affiche...

Martin a dit…

@Pascale et le gentil compliment:

Merci beaucoup ! Venant de ta part, cela me fait très plaisir !
Nous faisons visiblement une interprétation différente de la fin: je dirais que c'est tant mieux.

Quand je termine la vision d'un Kore-eda, je me demande: qu'attends-je pour voir les autres ?
Je ne sais pas s'il deviendra culte et suis étonné de son succès. J'en parle à tout le monde !
"L'innocence" dépasse à peine les 200.000 entrées. Dans les mêmes eaux que "Les bonnes étoiles"...

Et merci pour ta recommandation ! Je ne sais pas si je vais avoir le temps...

Martin a dit…

@Pascale et sa peine:

Il nous faut donc continuer à militer pour le grand cinéma de ce genre !
Je constate que, depuis le Covid, je vois moins de films asiatiques qu'auparavant.

Pascale a dit…

Ne pas avoir tout vu de Kore Eda est effectivement une bonne question. Surtout si "on" n'a pas vu Nobody knows...

Martin a dit…

"Nobody knows" est le deuxième que j'ai vu. C'était en 2012, grâce à Arte.
Le tout premier des premiers ? "Still walking", en 2008. J'avais emprunté le DVD.

Le premier que j'ai vu au cinéma, je vérifie... "Tel père, tel fils", en 2014 !