Une chronique de Martin
Je n'étais pas encore sur la Côte d'Azur quand l'affaire Omar Raddad a éclaté. Condamné à Nice à 18 ans de réclusion criminelle en 1994, à l'heure où j'étais étudiant en première année de droit, le jardinier marocain clame depuis son innocence et demande du coup à être rejugé, ce que la cour de cassation lui a pourtant refusé en 2002.
Reconnu coupable d'avoir tué sa patronne Ghislaine Marchal, il fait aujourd'hui l'objet d'un film: Omar m'a tuer, titre-réplique, faute d'orthographe comprise, des derniers mots attribués à la victime, retrouvés écrits en lettres de sang sur la porte de la cave où elle fut retrouvée morte. La première question que pose le métrage, c'est celle de sa pertinence: cette affaire devait-elle être ainsi transposée au cinéma ? Une réponse positive peut venir de la dramaturgie même du réel: il peut certes sembler regrettable que le film ait été distribué pour une sortie lors du 20ème anniversaire des faits, mais il s'avère impossible d'occulter que, si longtemps après, la question de ce qui s'est vraiment passé ce jour de juin 1991 fait toujours débat. Même s'il y a donc bien, depuis plus de 17 ans, un coupable désigné dans cette affaire, coupable à la demande duquel le parquet de Grasse a très récemment examiné d'ultimes échantillons ADN, avant de les déclarer inexploitables. Coupable sorti de prison prématurément, dès septembre 1998, au bénéfice d'une grâce présidentielle. Point qui me paraît des plus importants: il est ici présenté dans toute son ambivalence, c'est-à-dire défauts compris.
Si ce n'est au cours d'un bref flash-back, le film ne s'attarde que peu de temps sur la victime. Son scénario s'inspire de deux sources pareillement orientées: un livre écrit par Omar Raddad lui-même, ainsi qu'un autre ouvrage, signé de l'académicien Jean-Marie Rouart, convaincu de son innocence. Logiquement, il s'articule dès le début autour de deux axes: la vie du jardinier, en liberté, au procès évidemment, et en prison, et la contre-enquête menée tambour battant par l'écrivain, à grand renfort d'investigations sur le terrain. Le résultat de ces chassés-croisés laisse, sinon l'impression persistante d'une erreur judiciaire, celle d'une procédure bâclée, biaisée, au préjudice évident des droits de la défense. Les questions reviennent donc: l'homme qui a été condamné méritait-il de passer des années derrière les barreaux ? N'aurait-il pas dû être acquitté, simplement au bénéfice du doute ? Intelligemment, Roschdy Zem, réalisateur, ne répond pas vraiment: il (r)ouvre quelques pistes, partielles et parfois partiales, qui peuvent simplement donner matière à réflexion. Bien qu'il se garde de tout manichéisme exacerbé, on imagine facilement le trouble qu'Omar m'a tuer a pu causer à la famille et aux proches de feue Ghislaine Marchal.
Cinématographiquement, sans qu'on y prête forcément attention, deux techniques ont été adoptées. Pour suivre les pérégrinations éditoriales de Jean-Marie Rouart, alias Pierre-Emmanuel Vaugrenard joué par Denis Podalydès, la caméra tourne à distance, parfois posée sur un rail. Inversement, s'il s'agit de s'intéresser à Omar Raddad himself, incarné par un Sami Bouajila impressionnant d'expressivité, elle s'approche, renforçant encore la possible empathie ressentie pour le sujet. Omar m'a tuer, sans être un plaidoyer, évite délibérément les réquisitoires. C'est aussi, d'après moi, l'histoire d'une métamorphose, celle d'un comédien qui n'a pas hésité à perdre 18 kilos pour devenir son personnage. Le fond du propos ne peut sans doute pas emporter une totale adhésion, mais il reste toujours cette transformation dont le modèle lui-même reconnaît l'efficacité. "Ces mots sont les miens. Ce film, c'est ma vie", a pu dire en substance Omar Raddad, le vrai. Un aspect me dérange quelque peu: parce qu'on peut rester sur une impression trompeuse, et, objectivement, sur une petite phrase devenue inexacte, il est dommage que les derniers développements judiciaires de l'affaire, qui auraient pu être cruciaux pour l'avenir, ne soient pas mentionnés.
Omar m'a tuer
Film français de Roschdy Zem (2011)
Je reviens sur la date de sortie: j'ai d'autant plus de mal à concevoir un hasard que le titre, lui, ne laisse aucune place au doute, écrit d'ailleurs sur l'affiche du film tels que les mots l'étaient sur la porte de sinistre mémoire. En dépit de ces indélicatesses, le long-métrage reste intéressant à suivre et, ainsi que je l'ai également souligné, permet à Sami Bouajila de démontrer toute l'étendue de son talent. Maintenant, je n'ai pas souvenir d'autre film sur une possible erreur judiciaire pour une comparaison de style. Le grand Douze hommes en colère, je l'ai vu au théâtre, avec un Michel Leeb très convaincant dans le rôle tenu jadis par Henry Fonda. Dans ma pile de DVDs, j'ai aussi L'affaire Dominici avec Jean Gabin. Et j'ai noté que la justice pénale française semble de nouveau inspirer les réalisateurs cinéma. On annonce prochainement des productions sur la tragédie d'Outreau ou le meurtre de la famille Flactif au Grand Bornand. À suivre...
Reconnu coupable d'avoir tué sa patronne Ghislaine Marchal, il fait aujourd'hui l'objet d'un film: Omar m'a tuer, titre-réplique, faute d'orthographe comprise, des derniers mots attribués à la victime, retrouvés écrits en lettres de sang sur la porte de la cave où elle fut retrouvée morte. La première question que pose le métrage, c'est celle de sa pertinence: cette affaire devait-elle être ainsi transposée au cinéma ? Une réponse positive peut venir de la dramaturgie même du réel: il peut certes sembler regrettable que le film ait été distribué pour une sortie lors du 20ème anniversaire des faits, mais il s'avère impossible d'occulter que, si longtemps après, la question de ce qui s'est vraiment passé ce jour de juin 1991 fait toujours débat. Même s'il y a donc bien, depuis plus de 17 ans, un coupable désigné dans cette affaire, coupable à la demande duquel le parquet de Grasse a très récemment examiné d'ultimes échantillons ADN, avant de les déclarer inexploitables. Coupable sorti de prison prématurément, dès septembre 1998, au bénéfice d'une grâce présidentielle. Point qui me paraît des plus importants: il est ici présenté dans toute son ambivalence, c'est-à-dire défauts compris.
Si ce n'est au cours d'un bref flash-back, le film ne s'attarde que peu de temps sur la victime. Son scénario s'inspire de deux sources pareillement orientées: un livre écrit par Omar Raddad lui-même, ainsi qu'un autre ouvrage, signé de l'académicien Jean-Marie Rouart, convaincu de son innocence. Logiquement, il s'articule dès le début autour de deux axes: la vie du jardinier, en liberté, au procès évidemment, et en prison, et la contre-enquête menée tambour battant par l'écrivain, à grand renfort d'investigations sur le terrain. Le résultat de ces chassés-croisés laisse, sinon l'impression persistante d'une erreur judiciaire, celle d'une procédure bâclée, biaisée, au préjudice évident des droits de la défense. Les questions reviennent donc: l'homme qui a été condamné méritait-il de passer des années derrière les barreaux ? N'aurait-il pas dû être acquitté, simplement au bénéfice du doute ? Intelligemment, Roschdy Zem, réalisateur, ne répond pas vraiment: il (r)ouvre quelques pistes, partielles et parfois partiales, qui peuvent simplement donner matière à réflexion. Bien qu'il se garde de tout manichéisme exacerbé, on imagine facilement le trouble qu'Omar m'a tuer a pu causer à la famille et aux proches de feue Ghislaine Marchal.
Cinématographiquement, sans qu'on y prête forcément attention, deux techniques ont été adoptées. Pour suivre les pérégrinations éditoriales de Jean-Marie Rouart, alias Pierre-Emmanuel Vaugrenard joué par Denis Podalydès, la caméra tourne à distance, parfois posée sur un rail. Inversement, s'il s'agit de s'intéresser à Omar Raddad himself, incarné par un Sami Bouajila impressionnant d'expressivité, elle s'approche, renforçant encore la possible empathie ressentie pour le sujet. Omar m'a tuer, sans être un plaidoyer, évite délibérément les réquisitoires. C'est aussi, d'après moi, l'histoire d'une métamorphose, celle d'un comédien qui n'a pas hésité à perdre 18 kilos pour devenir son personnage. Le fond du propos ne peut sans doute pas emporter une totale adhésion, mais il reste toujours cette transformation dont le modèle lui-même reconnaît l'efficacité. "Ces mots sont les miens. Ce film, c'est ma vie", a pu dire en substance Omar Raddad, le vrai. Un aspect me dérange quelque peu: parce qu'on peut rester sur une impression trompeuse, et, objectivement, sur une petite phrase devenue inexacte, il est dommage que les derniers développements judiciaires de l'affaire, qui auraient pu être cruciaux pour l'avenir, ne soient pas mentionnés.
Omar m'a tuer
Film français de Roschdy Zem (2011)
Je reviens sur la date de sortie: j'ai d'autant plus de mal à concevoir un hasard que le titre, lui, ne laisse aucune place au doute, écrit d'ailleurs sur l'affiche du film tels que les mots l'étaient sur la porte de sinistre mémoire. En dépit de ces indélicatesses, le long-métrage reste intéressant à suivre et, ainsi que je l'ai également souligné, permet à Sami Bouajila de démontrer toute l'étendue de son talent. Maintenant, je n'ai pas souvenir d'autre film sur une possible erreur judiciaire pour une comparaison de style. Le grand Douze hommes en colère, je l'ai vu au théâtre, avec un Michel Leeb très convaincant dans le rôle tenu jadis par Henry Fonda. Dans ma pile de DVDs, j'ai aussi L'affaire Dominici avec Jean Gabin. Et j'ai noté que la justice pénale française semble de nouveau inspirer les réalisateurs cinéma. On annonce prochainement des productions sur la tragédie d'Outreau ou le meurtre de la famille Flactif au Grand Bornand. À suivre...
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