mercredi 28 septembre 2011

Le dernier jour d'un condamné

Une chronique de Martin

Victor Hugo aurait-il aimé Clint Eastwood ? La question m'est venue l'autre soir quand j'ai découvert (merci Arte !) Jugé coupable, film de et avec la star américaine. Ce n'est pas son meilleur, mais j'ai apprécié d'y retrouver quelques-uns des habituels grands thèmes eastwoodiens: froid conformisme des élites, ambiguïté du fait religieux et écrasement de l'individu par le groupe. Et ce au moins jusqu'à ce qu'un type, las d'être cabossé, redresse la tête et dise non.

Ses détracteurs pourraient juger qu'Eastwood se réserve le beau rôle. C'est un peu plus compliqué que ça: si, dans la peau d'un journaliste, il s'efforce ici d'innocenter un condamné à mort, c'est d'abord l'incroyable fumisterie de son personnage qui transparaît à l'écran. Steve Everett n'est pas franchement un mec bien. Mégalo et porté sur la boisson, il trompe son épouse avec une série d'autres femmes, y compris celle de son patron. Le flair de son tout début de carrière n'est qu'un lointain souvenir et, s'il finit par reprendre l'enquête lancée par une de ses jeunes consoeurs, c'est sans intention d'aller chercher bien loin et seulement parce que cette dernière a été tuée dans un accident de la route, quelques minutes après avoir... passé la soirée avec lui ! Devant le "héros" de Jugé coupable, on notera d'ailleurs que Clint la malice ne se gêne pas pour, non pas dénoncer, mais bel et bien égratigner un certain cynisme des médias. Et pan !

Son propos va plus loin. Jugé coupable ne peut manquer de faire réfléchir à la question de la peine de mort - a fortiori quand on sait que le criminel du titre est prétendument l'auteur d'un meurtre particulièrement sauvage. La peine capitale laisse-t-elle une place quelconque à la révision d'une erreur judiciaire ? Le film permet d'appréhender une nouvelle fois cette problématique fondamentale que j'ai pour ma part réglée depuis longtemps, en militant inconditionnel de l'abolition. Bref. Pour ne parler que de la vision propre à Clint Eastwood, il me semble difficile de passer complètement à côté du cheminement de l'acteur-metteur en scène. Jugé fascisant aux heures de ses premières réalisations, le cinéaste a ici considérablement adouci son propos. Signe de maturité ? Possible. Il porte avec lui la croix de la remise en question. Opinion certes moins radicale, mais potentiellement tout aussi intéressante.

Je ne veux pas la dévoiler, mais la fin m'a paru un modèle d'ambiguïté. Eastwood a-t-il voulu ainsi illustrer ses deux facettes ? Je n'en écarte pas l'hypothèse. Au premier regard, tout est clair, presque rassurant. Rien n'interdit toutefois de laisser se développer un second ressenti, pathétique et désabusé. Jugé coupable brille entre autres de cette conclusion aux contours imperceptibles, presque oniriques. Chacun y lira ce qu'il voudra et c'est très bien comme ça. Pour ma part, j'accroche petit à petit les wagons du train Clint et, au fur et à mesure, je me réjouis de trouver une constance dans cette incroyable filmographie. J'en termine avec ses films récents et je vois un homme vieillissant, mais à qui son art permet d'avancer petit à petit vers plus de lumière. Agréable sentiment. L'oeuvre d'aujourd'hui n'est sans doute pas la pièce la plus éclatante du puzzle, mais elle en fait toutefois partie. Le fait qu'elle ait été façonnée à l'aube du 21ème siècle apporte une charge symbolique forte à un long-métrage imparfait, mais d'une indéniable sincérité.

Jugé coupable
Film américain de Clint Eastwood (1999)
Le Clint qui prend ici, en solitaire, fait et cause pour un homme désespéré m'a rappelé, dans une autre dimension, le Walt Kowalski de Gran Torino - qu'il me faut définitivement revoir. L'empathie d'Eastwood pour ceux qui diffèrent de lui est certes plus manifeste dans un film comme Lettres d'Iwo Jima, mais, oui, on retrouve ici quelques-unes des thématiques classiques de l'oeuvre du maître américain. Et, personnellement, je ne m'en lasse toujours pas.

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