Cinq ans. Ses fans auront dû attendre cinq ans avant d'enfin revoir Clint Eastwood devant une caméra. Sachant que l'acteur-réalisateur est sans doute l'un des artistes (vivants) que j'admire le plus éperdument, il va sans dire que je ne pouvais manquer ce retour. Ainsi, de longue date, avais-je donc programmé de voir Gran Torino dans un cinéma. L'intrigue m'importait peu, dans le fond. Deux mots quand même: le film illustre la manière dont un vétéran foncièrement raciste de la guerre de Corée finit par se prendre d'affection pour un jeune homme d'origine asiatique de son quartier. Plus que cette histoire, c'est plutôt la perspective de ne découvrir qu'en DVD - ou pire, à la télé - le dernier rôle de mon acteur préféré qui m'a paru trop repoussante et qui m'a dès lors motivé à rejoindre la salle la plus proche dans un délai le plus court possible. Cinq ans après Million dollar baby, j'étais au rendez-vous. Je me suis même offert une séance en version originale pour garantir un plaisir authentique. Après coup, je dois dire qu'à chaud, j'ai été légèrement moins enthousiaste que je l'espérais. Puisque Clint Eastwood est aussi le réalisateur de ce film, je commencerai par dire que ce n'est pas son meilleur. Il me faut certainement expliquer pourquoi.
Je crois en fait que la raison principale de ce constat premier tient pour beaucoup aux yeux que j'ai portés sur cette nouvelle création eastwoodienne. En me sevrant de sa présence cinq longues années durant, Clint Eastwood a créé un manque. Du coup, et presque fatalement, j'ai d'abord vu Gran Torino dans un état d'esprit particulier, comme "le nouveau film de Clint". Rien d'autre. Conséquence: avant d'apprécier le personnage Walt Kowalsky, j'ai d'abord vu l'acteur lui-même. J'ai mis un temps certain avant d'entrer dans l'histoire, à m'imprégner suffisamment de l'intrigue pour faire davantage attention au scénario - et alors aux autres comédiens - qu'à celui dont j'avais tant attendu le retour. Logique, sans doute, et peut-être injuste, aussi, pour cette oeuvre qui n'est évidemment pas seulement l'ultime tour de piste d'un des derniers monstres sacrés. Pour ma défense, et pour la défense du film, je soulignerai toutefois qu'Eastwood s'oublie décidément difficilement derrière sa création, tant cette dernière reprend un nombre important de ses thèmes classiques: corruption et/ou inefficacité des élites, apport discutable de la religion, ambiguïté du héros, inanité de certains rapports familiaux, entre autres. Les fidèles sont ici en terrain connu.
J'ai parlé plus haut de Million dollar baby. En somme, Gran Torino sort du même moule. Les deux longs métrages sont bien construits d'une façon similaire, avec au départ l'arrivée d'un élément perturbateur dans la vie rangée d'un personnage solitaire, précédant un lent rapprochement de mondes a priori antagonistes, la rupture scénaristique sur la base d'un drame et le parcours final du héros vers une possible rédemption. Sur ce schéma que je considère définitivement très eastwoodien, on retrouve aussi un certain regard sur l'Amérique d'aujourd'hui, ce qui rend parfois la démarche un peu balourde, mais incontestablement sincère et donc touchante. Au vu de son travail et de ses évolutions, j'ai tendance à penser aujourd'hui que Clint Eastwood est sans doute un Républicain conservateur, mais à qui la vieillesse semble apporter un certain apaisement. Franchement antipathique au début, à la limite même du grotesque, son personnage devient ainsi de plus en plus humain, de plus en plus ouvert d'esprit, jusqu'à délivrer un message sous forme de sacrifice. On a le droit de trouver ça caricatural, voire outrancier. Reproches assez classiques, d'aucuns diront à coup sûr que, dans l'académisme comme dans le pathos, la star va trop loin et finit par s'autoparodier. Dans les deux cas, et surtout le second, ce n'est d'ailleurs pas entièrement faux. Pour ma part, je considère qu'il est permis d'y voir aussi l'aboutissement d'un cheminement personnel, le résumé d'oeuvres précédentes, la synthèse de multiples pensées intimes. Gran Torino n'est pas un film parfait, c'est sûr, mais je me suis décidé à le laisser mûrir dans mon esprit, pour le revoir, sans doute avec plaisir, d'ici quelques années. Juste le temps qu'il me faudra pour l'apprécier autrement que comme le dernier opus de ce qui est assurément pour moi l'une des plus belles filmographies d'Hollywood.
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