Avez-vous lu Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, paru en 2006 ? Dans ce très long roman écrit en français, l'écrivain franco-américain fait le portrait de Maximilien Aue, un officier (imaginaire) de la SS. "Ce qui m’intéressait, c’était la question des bourreaux. Du meurtre d'État", précisait-il à l'époque. Un sujet qui reste des plus sensibles...
L'an passé, le cinéaste britannique Jonathan Glazer s'en est emparé. Et comment ? En travaillant sur La zone d'intérêt, un autre livre consacré à la Shoah vue par les Nazis - ouvrage d'un compatriote d'origine galloise: Martin Amis. L'auteur est décédé le 19 mai dernier et donc moins de dix jours avant que le film ne décroche le Grand Prix au Festival de Cannes, lui qui avait été pressenti pour la Palme d'or. Quoi qu'il en soit, il était sans aucun doute un long-métrage attendu. Son ouverture donne le ton: le titre apparaît en blanc sur fond noir, devient lentement de plus en plus gris et finit par disparaître. Surprise: la première "vraie" image montre une dizaine de personnes installées au bord d'une rivière, devant les restes d'un pique-nique. L'aspect bucolique de la scène contraste avec ce qui arrive ensuite. Deux belles voitures se mettent en route et s'enfoncent dans la nuit vers Auschwitz, le principal camp d'extermination du Troisième Reich.
L'an passé, le cinéaste britannique Jonathan Glazer s'en est emparé. Et comment ? En travaillant sur La zone d'intérêt, un autre livre consacré à la Shoah vue par les Nazis - ouvrage d'un compatriote d'origine galloise: Martin Amis. L'auteur est décédé le 19 mai dernier et donc moins de dix jours avant que le film ne décroche le Grand Prix au Festival de Cannes, lui qui avait été pressenti pour la Palme d'or. Quoi qu'il en soit, il était sans aucun doute un long-métrage attendu. Son ouverture donne le ton: le titre apparaît en blanc sur fond noir, devient lentement de plus en plus gris et finit par disparaître. Surprise: la première "vraie" image montre une dizaine de personnes installées au bord d'une rivière, devant les restes d'un pique-nique. L'aspect bucolique de la scène contraste avec ce qui arrive ensuite. Deux belles voitures se mettent en route et s'enfoncent dans la nuit vers Auschwitz, le principal camp d'extermination du Troisième Reich.
J'ai du mal à imaginer que vous soyez coupés de l'actualité du cinéma au point de n'avoir JAMAIS entendu parler du film. Son originalité tient à ce qu'il ne montre aucune victime de la barbarie hitlérienne. Enfin, si ! Quelques prisonniers convertis (de force) en domestiques et jardiniers pour le compte de Rudolf Höss, le directeur du camp. Présents dans presque chaque plan, oui, mais quasi-fantomatiques compte tenu de ce que Jonathan Glazer a voulu raconter: le quotidien ordinaire d'une famille installée dans une villa mitoyenne d'Auschwitz. Un homme, une femme, leurs cinq enfants et, parfois, leurs proches. Toutes et tous bénéficient d'un immense confort, à quelques mètres des lieux où plus d'un million d'êtres humains vont être massacrés. Seul un mur sépare les monstres de leurs victimes. La zone d'intérêt du titre est elle-même plus large, qui englobe les terres adjacentes sur plusieurs hectares. Elles aussi confiées à l'Obersturmbannführer...
Ces faits ont été réels, mais le cinéma induit toujours de la fiction. Je m'attendais dès lors à être très mal à l'aise du fait de ce décalage. Pourtant, non: j'ai vu pire, à l'écran comme dans les livres d'histoire. Rien n'est pris à la légère: le film est, sauf erreur, le fruit de cinq ans de travail. Il est pour ainsi dire irréprochable, visuellement parlant. L'ensemble de ce que j'ai vu m'a paru crédible: c'est plus qu'important. Dans le même temps, j'ai trouvé que les techniques du hors-champ étaient utilisées à très bon escient - pas besoin d'une couche d'horreur supplémentaire, en lien avec des images que nous connaissons tous. Ce qui me paraît à la fois intéressant et redoutable, c'est que le film stimule presque constamment un autre de nos cinq sens: l'ouïe. Résultat: une musique qui m'a semblé sortie d'un cauchemar sans fin et - surtout - des bruitages tout à fait évocateurs des abominations perpétrées à l'abri des regards. Tout cela au cinéma, c'est (très) fort !
Ces faits ont été réels, mais le cinéma induit toujours de la fiction. Je m'attendais dès lors à être très mal à l'aise du fait de ce décalage. Pourtant, non: j'ai vu pire, à l'écran comme dans les livres d'histoire. Rien n'est pris à la légère: le film est, sauf erreur, le fruit de cinq ans de travail. Il est pour ainsi dire irréprochable, visuellement parlant. L'ensemble de ce que j'ai vu m'a paru crédible: c'est plus qu'important. Dans le même temps, j'ai trouvé que les techniques du hors-champ étaient utilisées à très bon escient - pas besoin d'une couche d'horreur supplémentaire, en lien avec des images que nous connaissons tous. Ce qui me paraît à la fois intéressant et redoutable, c'est que le film stimule presque constamment un autre de nos cinq sens: l'ouïe. Résultat: une musique qui m'a semblé sortie d'un cauchemar sans fin et - surtout - des bruitages tout à fait évocateurs des abominations perpétrées à l'abri des regards. Tout cela au cinéma, c'est (très) fort !
Comment reprendre son souffle après coup ? C'est difficile, bien sûr. Surtout quand La zone d'intérêt sort du camp et rejoint les salons mondains fréquentés par les Nazis, en marge desquels ils débattent des méthodes les plus efficaces pour accomplir leur oeuvre de mort. Quitte d'ailleurs à féliciter, au passage, les plus zélés d'entre eux. Aujourd'hui, peu ou prou huit décennies plus tard, j'estime primordial que la mémoire de ces sombres heures de l'histoire européenne perdure. Et je note que Jonathan Glazer nous parle aussi au présent ! Il a pu s'appuyer sur un groupe d'acteurs particulièrement investis dans leurs rôles, d'où émerge le duo Sandra Hüller - Christian Friedel. Résultat: l'une des oeuvres marquantes de ce premier trimestre 2024. J'éviterai de citer trop de noms afin d'être sûr de n'oublier personne. J'y reviendrai peut-être, sans être étonné que certain(e)s d'entre vous puissent s'en détourner. J'ai longuement hésité avant de m'y frotter...
La zone d'intérêt
Film britannique de Jonathan Glazer (2023)
Précision: cet opus a aussi des producteurs américains et polonais. Et, bien évidemment, il a été tourné en version originale allemande. À présent, pour comparer l'incomparable, il faudrait que je me décide à revoir La liste de Schindler, de Steven Spielberg (sorti en 1993). Autre option: affronter Le fils de Saul, qui date quant à lui de 2015. D'ici là, je vous suggère La vie est belle, Le pianiste et/ou Phoenix !
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Par ailleurs, vous avez une belle opportunité...
Celle de lire aussi les avis de Pascale, Dasola, Princécranoir et Strum. Ou encore celui de Benjamin, mis en ligne quatre jours avant le mien.
La zone d'intérêt
Film britannique de Jonathan Glazer (2023)
Précision: cet opus a aussi des producteurs américains et polonais. Et, bien évidemment, il a été tourné en version originale allemande. À présent, pour comparer l'incomparable, il faudrait que je me décide à revoir La liste de Schindler, de Steven Spielberg (sorti en 1993). Autre option: affronter Le fils de Saul, qui date quant à lui de 2015. D'ici là, je vous suggère La vie est belle, Le pianiste et/ou Phoenix !
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Par ailleurs, vous avez une belle opportunité...
Celle de lire aussi les avis de Pascale, Dasola, Princécranoir et Strum. Ou encore celui de Benjamin, mis en ligne quatre jours avant le mien.
4 commentaires:
Irréprochable mais inutile.
Supposons que quelqu'un n'ait JAMAIS entendu parler de ce qui se passe hors les murs... il n'aurait jamais assez d'imagination pour approcher l'horreur.
La meilleure scène est pour moi celle de la réunion de nazis. Ils sont tellments innocents à parler de ces unités à détruire pour le bienfait de l'humanité... ou du Reich. Pour eux c'est pareil.
Si ce film t'a mis mal à l'aise avec ses bruit et sa musique au marteau piqueur, tu t'évanouirais devant Le fils de Saul.
Inutile ? Par les temps qui courent, je n'en suis pas si sûr...
L'imagination n'est pas en cause ici. Il y a des choses qu'il vaut mieux rappeler qu'oublier.
La meilleure scène ? Celle de la visite de la mère, je trouve, qui finit par détourner le regard.
Le film ne m'a pas mis mal à l'aise. Et j'espère pouvoir un jour voir "Le fils de Saul".
Merci pour le lien et pour cet article élogieux et mérité pour ce film impressionnant.
Suprême ironie du casting, Christian Friedel qui joue le très zélé Höss était il y a quelques années dans la peau de Georg Elser, auteur d'un attentat manqué contre Hitler.
Je crois qu'on peut saluer la double performance de cet acteur allemand.
Ta remarque me donne envie de chercher des infos sur son ressenti à l'égard des deux films.
J'avais beaucoup aimé "Elser, un héros ordinaire" et il a bien sûr eu droit à sa chronique.
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