vendredi 15 juin 2018

Le retour des motards

La mi-juin est déjà là: il est temps pour moi de céder la place à Joss. Cette fois, d'après ses explications, elle a choisi de vous présenter une curiosité (ou "un film-témoignage qui nous emporte vite loin"). Aujourd'hui, si le coeur vous en dit, nous prenons la route de l'Italie avec Les fiancés de la mort de Romolo Marcellini - sorti début 1957 !

Lorsque le film sort en Italie, son metteur en scène Romolo Marcellini est déjà un gage de qualité. À l'âge de 24 ans, il a écrit son premier scénario (Stadio de Campogalliani), est devenu assistant-réalisateur en Afrique trois ans plus tard pour le film Scipion de Carmine Gallone, et tourne lui-même Sentinelle di bronzo comme réalisateur.

Totalement aguerri avant l’âge de trente ans aux films documentaires produits par la Luce (qui n'est autre que la société de production du cinéma de propagande fasciste à la gloire des volontaires fascistes italiens venus soutenir leurs homologues en Espagne), cet ancien journaliste formé aux sciences économiques a déjà en main tout le potentiel pour tirer le meilleur d’un contexte très ciblé.

Et c'est bien le cas de I fidanzati della morte, dédié au monde de la course motocycliste. Avant même La grande olympiade (tourné lors des Jeux Olympiques de Rome en 1960) qui lui vaudra le Prix d'Or au Festival du film de Moscou en 1961 et sa nomination pour l'Oscar du meilleur film documentaire un an plus tard, Romolo Marcellini va sacrément se distinguer, cumulant les plus grands champions et les plus belles bécanes des années 50, comme les Guzzi V8 et Gilera-4 (carrément sublimes) qui dominent alors largement le monde des Grands Prix par leurs performances et leur créativité.

Alors me direz-vous, juste un beau film pour amateurs de moto vintage ? Bien loin de là, puisque la partie documentaire (exceptionnelle) est portée par une vraie romance. Kitsch au possible, mais d'un grand intérêt autour d’une histoire d'amour et de rivalité, et autour de laquelle encore satellisent bien d'autres histoires d'amour potentielles, d'autres dualités, d'autres liens filiaux ou amicaux… tout est en place pour tour à tour tenir en haleine et faire fondre les foules, toutes les foules, celle des circuits et celle des néophytes. Et aujourd'hui peut-être, même celle des historiens, des sociologues....

Il faut dire que les Italiens sont des champions moto dans l'âme ! La reprise de ce film soixante ans plus tard ne dément pas le mythe. Aujourd'hui, les fans de Valentino Rossi, Marc Marquez, Jorge Lorenzo, Daniel Pedrosa ou Andrea Dovizioso seraient prêts à tout pour voir leurs idoles figurer dans une fiction. Bien entendu, je doute que le scénario soit le même pour envoûter la jeunesse, mais dans ces années-là, le titre a séduit sportifs et romantiques d'un seul élan.

Tourné pendant des compétitions réelles comme le Grand Prix de Monza ou encore la légendaire course sur route Milan-Tarente, ce document exceptionnel comporte également quelques rares prises de vue du tunnel de soufflerie de l'usine Moto-Guzzi, du Mur de la mort des années cinquante, et des courses de side-car un peu folles sur pistes de terre. Sans parler (mais si, évidemment !) des carénages enveloppants, qui seront interdits à partir de 1958 car emprisonnant le pilote. Joignez à ce témoignage de premier ordre deux comédiens particulièrement en vogue en 1957 et vous comprendrez la raison pour laquelle ce film se devait de refaire parler de lui. Et c'est Rodaggio Film qui en a fait sa mission. Bravo !

Rodaggio est une société de distribution de films italiens, indépendants et rares, de livres et de documents d'art relatifs à la culture moto. Dirigée par un jeune couple rempli d'énergie qui sillonne infatigablement l’Europe, Rodaggio a déjà distribué des films comme The best bar in America et The greasy hands preachers, tout en travailant en partenariat étroit avec des enseignes de moto et des événements moto prestigieux: Deus Ex Machina, Metzeler-Pirelli

Après sa réalisation, le film disparut littéralement de la scène, ne laissant plus que quelques notes et articles le décrivant comme le premier véritable long-métrage sur la moto. Il aura fallu deux ans à l'équipe de Rodaggio pour trouver une copie originale dans les archives italiennes et ensuite pister les droits du film. Elle y parviendra grâce à la campagne soutenue par vingt-deux pays, et l'aide précieuse de personnalités comme Giacomo Agostini (quinze fois champion du Monde), Paul d'Orléans ou encore l'artiste français Lorenzo Eroticolor, graphiste qui lança un nouvel art du poster et de la couverture de DVD…

Le processus de restauration a pu s'échafauder à partir d'une copie en positif du film retrouvée dans les archives de la Cinémathèque italienne, et après quelque temps, grâce à un précieux négatif original retrouvé dans un laboratoire de Rome (que l'on pensait perdu dans un incendie !). Presque en totalité préservé, il a finalement été utilisé comme la référence principale. Le film a tout d'abord été physiquement réparé, puis digitalisé image par image et enfin corrigé au niveau de la couleur. Tout comme le son, digitalisé et amélioré lui aussi. L'ensemble de la restauration a été réalisé par Immagine Ritrovata Laboratory, à Bologne.

----------
Synopsis
Carlo est pilote de moto pour le compte d'une grande firme italienne qui le contraint à se plier aux nécessités commerciales lors des compétitions. Excellent pilote, mais rebelle, Carlo n'entend pas se laisser chapitrer par Pietro, à la fois ingénieur et directeur du service d'essais de la firme. Congédié, Carlo rejoint alors le garage familial de son épouse Giovanna, où son propre beau-père met au point une machine à injection directe capable de battre les meilleures motos d'usine. Mais la compétition ne se cantonne pas au niveau des moteurs: s'est nouée une idylle entre Carlo et Lucia, la fille de son ancien patron, dont Pietro est également amoureux.

Distribution
Rick Battaglia (Carlo)
Sylva Koscina (Lucia)
Margit Nunke (Giovanna)
Gustavo Rojo (Pietro)
Hans Albers (Lorenzo)
Carlo Ninchi (Parisi)
Saro Urzi (Tulio)

----------
En 1956, le comédien italien Caterino "Rik"Battaglia est alors âgé de 29 ans. Lorsqu"il accepte le rôle de Carlo, il n"a tourné qu’un seul autre film (La fille du fleuve). En beau brun ténébreux et rebelle, il fait fureur. Rik Battaglia mènera une jolie carrière, très régulière, et nous quittera en 2015 à l'âge de 88 ans. Quant à la Gréco-polonaise Sylva Koscina, 23 ans, elle illumine la prise de vue. Belle et spirituelle à la ville, I fidanzati della morte la met très en valeur, et cette ancienne étudiante en sciences, arrivée très jeune de Yougoslavie en Italie, suscite un grand intérêt de la part des réalisateurs. Elle tournera onze films en 1958 et huit en 1962. Dans Les fiancés de la mort, elle accroche vite l'intérêt.

Curieusement, dans le rôle de Lucia, elle a beau être riche et vernie par la vie, son statut de "fille à papa" ne lui vaut pas d'agressivité. Parce qu'elle ne force pas le destin, parce qu'elle ne songe pas à mal… Pourtant, l'époque est à la morale, surtout en Italie. On plaint Giovanna, épouse de Carlo, gaie, aimante, courageuse, touchante, mais l'on ne parvient pas à blâmer Lucia. On déplore le sort, on voudrait rejeter la faute sur quelqu'un, mais le jeu des acteurs nous en détourne. Au mieux, Carlo apparaît trop instinctif, égoïste, animal, mais surtout irresponsable, et l'on n’en veut à personne. "C’est la vie !", oserait-on conclure.

Comme on l'a vu plus haut, Les fiancés de la mort constitue un témoignage unique de l'âge d'or des compétitions internationales, sur les machines, leur préparation, mais aussi la sécurité des pilotes comme du public (incroyable décalage), et presque autant sur la vie des grandes entreprises italiennes, des artisans concurrents sur les mêmes terrains...

Aujourd'hui, le film est disponible pour les projections publiques, c'est-à-dire les cinémas et les évènements sportifs. Avec sous-titres en allemand, anglais, français, portugais, le DVD est distribué avec un livret sur la moto des années cinquante, rédigé par plusieurs journalistes, et des bonus, comme quelques prises de vue et interviews rares: Giacomo Agostini, Livio Lodi (conservateur du musée Ducati) et tant d'autres passionnants acteurs de la réalité.

----------
Quelle chronique ! Il ne me reste donc plus qu'à remercier Joss. Connaissiez-vous le film ? Non ? Votre curiosité est peut-être titillée. N'hésitez pas à tout nous raconter dans la section des commentaires !

Aucun commentaire: