jeudi 25 novembre 2010

La nuit au poste

Écoutons Michel Audiard: "Les médiocres se résignent à la réussite des êtres d'exception. Ils applaudissent les surdoués, les champions, mais la réussite de l'un des leurs, ça les exaspère. Elle les frappe comme une injustice". Bien que très sensible au verbe, je n'utilise que rarement une citation pour ouvrir ou alimenter mes chroniques cinéma. Je fais une exception ici car, dans la voix de Michel Serrault, ces trois phrases peuvent bien résumer le propos de Garde à vue. Tournée au tout début des années 80, dans une France giscardienne qui connaissait encore la peine de mort, cette oeuvre remarquable s'appuie d'abord sur un dialogue: celui, la nuit de la Saint-Sylvestre dans un commissariat de province, d'un flic ordinaire et d'un notaire. L'un entend l'autre, venu signaler le meurtre d'une jeune fille.

D'un côté, il y a donc Michel Serrault, alias Maitre Jérôme Martineau, dont le cynisme ferait presque le coupable idéal de ce crime sordide. De l'autre s'assoit Lino Ventura, l'inspecteur Antoine Gallien, qui en a vu d'autres et des pires. Dans un premier temps, le monde extérieur n'intervient guère: il le fera plus tard. Garde à vue porte merveilleusement son titre quelconque: c'est avant tout un huis clos, un jeu du chat et de la souris entre un matou policier et un notable qui comprend vite (mais pas pourquoi) qu'il passe pour la créature nuisible à enfermer de toute urgence "en tôle ou chez les dingues". Cet échange qui n'en est pas vraiment un tient du théâtre: répliques aux petits oignons et interprétations ciselées sont les deux pièces maîtresses du long-métrage. Ses deux arguments principaux.

Pour apprécier, il faut ne pas attendre d'un film policier qu'il soit spectaculaire. Ici, les effets sont réduits au strict nécessaire. Je dois dire que ça n'empêche pas le film d'être haletant, grâce évidemment à l'alchimie de ses deux premiers protagonistes - et on notera d'ailleurs à ce sujet que Michel Serrault et Lino Ventura tournaient là leur premier et dernier film ensemble. Leur talent suffirait, je crois, à faire de Garde à vue un grand film, riche aussi d'un vrai suspense. Les amoureux du cinéma ne sauraient occulter les participations décisives d'un autre duo: celle de Marcel Belmont/Guy Marchand, collègue de Gallien, mais surtout celle de la femme de Martineau, divinement jouée par Romy Schneider. Par leur présence, le ton change, deux fois, donc, offrant au spectateur de nouveaux points de vue sur la suite des événements. Au regard de ces évolutions, d'aucuns jugeront la fin bâclée. Ce n'est pas mon cas: je la trouve formidable d'ambiguïté, au contraire. Maintenant, à vous de juger !

Garde à vue
Film français de Claude Miller (1981)
Quelques souvenirs épars, une admiration pour les acteurs... il suffit parfois de peu de choses pour revoir un film avec un a priori positif. Vous aurez compris que mon préjugé s'est nettement confirmé. Preuve aussi que le septième art n'a pas attendu M. Night Shyamalan pour inventer le twist, ce rebondissement des derniers instants renversant toute la perspective. Info plus personnelle: j'ai pu apprécier le hasard qui m'a replacé devant ces images après avoir lu un livre-reportage de Florence Aubenas sur Outreau, autre affaire médiatico-judiciaire mettant des enfants sous les feux de l'actualité. Pour rester dans le domaine cinématographique, je conseille à ceux qui ont aimé ce film de (re)découvrir Hunger, pour une autre forme de confrontation. Moins bon à mes yeux, Les fantômes du chapelier vaut aussi la comparaison, pour Michel Serrault en psychopathe criminel. À Chabrol, on peut préférer Hitchcock et Fenêtre sur cour, autre film à suspense en temps quasi-réel. J'en reparlerai un jour.

1 commentaire:

Remi L. a dit…

Garde à vue est un excellent film. Ca a beau être un film de commande, le face à face Ventura / Serraut est quelque chose que l'on n'oublie pas.