Une chronique de Martin
Ce matin-là, Angélique s'apprête à passer un entretien d'embauche. La jeune femme est terrifiée. Jeune chocolatière au chômage forcé après la mort d'un ancien patron, elle est tellement flippée de devoir se présenter qu'elle renoncerait presque d'être arrivée... en avance. Et puis, complication ultime, on la prévient que le chef est un peu distant et que ça ne s'arrange guère quand on arrive à le connaître mieux. Le truc, c'est que, sous sa froideur, Jean-René cache lui aussi une timidité extrême. Angélique et Jean-René: Les émotifs anonymes, c'est eux. Ils vont évidemment travailler ensemble. Rapidement, la question surviendra: et plus puisqu'affinités ?
Allez, un plaidoyer ! Je n'ai jamais vraiment compris que le cinéma français soit parfois critiqué sur sa seule nationalité. L'expression même de "cinéma français" me semble porter en elle une absurdité fondamentale. Il me paraît difficile d'établir des correspondances entre toutes les oeuvres d'un tel sous-ensemble, bien trop vaste. Mais s'il faut tout de même généraliser à ce point, alors disons qu'avec Les émotifs anonymes, nous tenons une petite perle tendre du septième art national. Et je souligne d'abord la grande efficacité du travail du réalisateur et co-scénariste, Jean-Pierre Améris. L'intéressé parle de ce qu'il connaît: lui-même confronté au trouble qu'il évoque, il s'en tire admirablement, et avec une pudeur remarquable, par ce film bien écrit, sensible et drôle. Une perle, oui.
Et puis, bien sûr, il y a les acteurs. La photo ci-dessus vous montre l'essentiel des seconds rôles, le quatuor d'employés qui travaillent dans la chocolaterie de Jean-René... où sera finalement embauchée Angélique. Plus haut, vous aviez préalablement aperçu les deux héros de cette belle petite histoire. La jolie Isabelle Carré est mignonne comme tout dans ce rôle de jeune femme effacée et qui se débat pour s'en sortir à grand renfort de sourires gênés de grande timide. Benoît Poelvoorde, lui, est peut-être encore meilleur: lui-même mal dans sa peau en tant qu'homme, le comédien belge admet volontiers qu'il n'a pas eu à chercher bien loin les tics de son personnage. Il est tour à tour irrésistible, explicite et touchant. Les émotifs anonymes sont un morceau de chocolat: un peu d'amertume qui, doucement mais sûrement, en fait inévitablement, se transforme en douceur.
Les émotifs anonymes
Film franco-belge de Jean-Pierre Améris (2010)
J'avais une telle envie de voir ce film qu'un temps, comme Angélique devant la porte de la boutique, j'ai eu peur de m'être fait des idées et de ne pas trouver au cinéma ce que j'étais venu y chercher. Heureusement, je n'ai pas du tout renoncé à mon désir de découvrir cette histoire, à laquelle je ne vois rien de sérieux à reprocher. Franchement, tout y est parfaitement juste et bien dosé, un peu comme dans une recette de bon chocolat. La meilleure comédie francophone que je vois depuis L'arnacoeur. Un critère définitif semble pouvoir se dégager: qu'au-delà du rire, il y ait l'émotion.
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