lundi 8 novembre 2021

Vache de vie

Je cite: "L'oiseau a son nid, l'araignée sa toile, et l'homme l'amitié". C'est sur cette pensée du poète britannique William Blake (1757-1827) et en termes philosophiques que débute First cow, mon film du jour. Il nous ramène au tout début du 19ème siècle et au coeur de l'Oregon sauvage, quand les États-Unis demeuraient très largement inexplorés.

Cuisinier d'un modeste groupe de trappeurs, Otis "Cookie" Figowitz s'efforce de survivre dans ce très rude environnement des pionniers. Une nuit, le hasard lui permet de rencontrer King Lu, un autre homme qui espère trouver bonne fortune dans cette contrée d'allure sauvage. Ce dernier lui explique d'emblée qu'il n'est pas indien, mais chinois ! Très vite, les deux hommes sympathisent et tombent donc d'accord pour mener une opération clandestine: la traite de la seule vache présente dans les environs, qu'un notable a fait venir depuis l'Europe. Son lait pourrait bel et bien leur sauver la mise et cet argument suffire à la crédibilité du scénario, tout à fait insolite au demeurant. De fait, si First cow est un western, ainsi que certains critiques pro l'ont présenté, c'en est un qui ne ressemble pas à beaucoup d'autres...

Certes, Kelly Reichardt, la réalisatrice, autrice de son septième long depuis les débuts de sa carrière en 1994, n'a jamais donné une vision ordinaire de son pays. C'est bien ce qui fait l'intérêt de son cinéma ! Son regard sur l'Amérique de 1820 nous offre une étonnante escapade sur un territoire que nous croyions connaître et pouvons (re)découvrir par la même occasion. Pour en profiter, le mieux est alors d'adopter une posture contemplative: le Grand Ouest qui se révèle à nos yeux n'est pas agité, car l'homme n'y a pas encore pris le pas sur la nature. Au coeur de nos vies parfois tourmentées, First cow peut apparaître comme une respiration très apaisante, d'un peu plus de deux heures. Cela dit, attention: ce n'est pas franchement un film des plus joyeux. Vous n'aurez même pas l'opportunité de vous attarder sur des visages familiers, le casting étant surtout constitué d'acteurs peu connus. Cela ne m'empêchera pas de conseiller le film, en toute connaissance de cause. Allez savoir ! Il est possible que vous en sortiez "modifié"...

First cow
Film américain de Kelly Reichardt (2020)

Une oeuvre d'esthète, exigeante et sensible, comme une définition très personnelle de la beauté. Un constat d'évidence: il y a bien assez de talent(s) dans le cinéma américain pour nous permettre de porter un autre regard sur notre monde - encore récemment, ce beau film qu'est Leave no trace l'avait déjà démontré, à sa fort juste manière. Otis et King Lu m'évoquent aussi les amis du superbe Dersou Ouzala !

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Pour en savoir plus...
Je vous suggère d'aller lire aussi la chronique (positive) de Pascale. Celle de Strum est un peu plus analytique, mais pas moins élogieuse.

Et pour être complet...
Je dédie cette chronique à Rodolphe, le plus ancien de mes potes. D'ailleurs, elle tombe à point nommé: ce lundi, c'est son anniversaire !

4 commentaires:

Pascale a dit…

Tu as offert un beignet à Rod ?
Ce film m'a beaucoup plu. Découvrir la vie des États-Uniens de ces années là et l'amitié des 2 garçons c'est vraiment intéressant.

de vous attarder des visages familiers

Martin a dit…

Coquille corrigée, je te remercie. Le film nous met d'accord, c'est chouette !
Mais pas de beignet pour Rod pour le moment: nous sommes trop éloignés géographiquement...

Strum a dit…

Pas très joyeux en effet et contemplatif si l'on veut en raison du rythme assez lent avec lequel Reichardt raconte son histoire. Mais elle nous fait aussi voir par ses belles images la promesse de l'Amérique avant les Etats-Unis. Un fort beau film placé sous l'égide de Thoreau et Emerson qui fait écho aux films contemporains de Reichardt. Une cinéaste rare qui construit sa carrière en marge des studios en filmant les laissés-pour-compte du rêve américain. Merci pour le lien Martin.

Martin a dit…

Oui, par l'adjectif contemplatif, je voulais dire que le film prend son temps.
Je suis bien content de l'avoir vu sur grand écran... et j'aime vraiment le cinéma de Reichardt !