lundi 6 juillet 2015

Les émotions de Riley

Beaucoup ont dit que, racheté par Disney, Pixar commençait à perdre son âme en produisant des films d'animation plutôt moins inspirés que les "anciens". À y regarder de plus près, j'ai moi-même constaté qu'assez fidèle au studio par le passé, je n'étais allé voir qu'une seule de ses quatre dernières créations. Et c'est clair et net: j'ai découvert Vice-versa, la toute dernière en date, avec un grand plaisir retrouvé !

Comme bien souvent chez Pixar, l'idée de départ de Vice-versa s'avère aussi simple que géniale: pour nous expliquer ce qu'est la vie d'une gamine de 11 ans, il nous est proposé de nous intéresser prioritairement à ses émotions. Si le long-métrage illustre largement les événements du quotidien de Riley, il nous plonge aussi et surtout au coeur de ses neurones, en compagnie de cinq personnages colorés répondant aux noms de Joie, Tristesse, Peur, Dégoût et Colère. Installés aux commandes de la petite fille, ces drôles de créatures vont lui en faire voir de toutes les couleurs - et c'est peu dire ! Successivement drôle, touchant et absolument délirant, le film manie allégrement les concepts les plus complexes, des pensées abstraites aux méandres du subconscient, via les rêves ou d'autres affects primaires. C'est vraiment très bien senti et remarquablement ficelé. Seul - petit - défaut: les plus jeunes risquent de se perdre en chemin.

Je crois en fait que le long-métrage s'adresse plutôt aux grands, ados ou adultes. Moi, je l'ai vu avec mes parents (qui l'ont bien aimé). Objectivement, ce n'est pas la première fois qu'un studio d'animation travaille sur un double niveau de lecture, mais, pour le coup, j'ai eu l'impression constante que cet opus était particulièrement... cérébral. Du point de vue technique, évidemment, c'est quasi-parfait: une fois encore, Pixar fait la preuve éclatante de son incroyable talent scénaristique ET graphique, même si on a peut-être déjà vu mieux. Franchement, c'est du point de vue de l'inventivité que je ressors émerveillé: aussitôt qu'on a compris et admis le principe, le récit invente quelque chose de nouveau pour le porter plus loin, plus haut. La morale de l'histoire, c'est sûrement que notre beauté tient d'abord à notre complexité. Jamais gnangnan, Vice-versa est un spectacle d'une rare intelligence et une ode à l'enfance d'une tendresse absolue.

Vice-versa
Film américain de Pete Docter et Ronaldo del Carmen (2015)

Les amateurs de petites voix seront ravis de retrouver ici celles d'illustres doubleurs: Charlotte Le Bon, Marilou Berry, Pierre Niney, Mélanie Laurent et Gilles Lellouche - entre autres. Moi, ça m'a plu aussi d'apprécier ce Pixar comme le meilleur depuis Là-haut. Je pense qu'il fera un carton et ce serait mérité: il en était à 787 437 tickets vendus en France après une semaine d'exploitation. Une bonne base.

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D'autres en ont parlé avant moi...

Pascale regrette que le film soit un peu trop orienté pour les adultes. L'ami 2flics, lui, est tout à fait emballé. Je suis pile entre les deux. Dasola aussi. Princécranoir, lui, parle carrément de "Pixar grand cru".

22 commentaires:

Anonyme a dit…

Dans l'ensemble j'ai bien aimé ce nouveau Pixar, intelligent, ludique, original, plutôt divertissant (même s'il y a un petit coup de mou vers la fin), à la fois drôle et touchant mais je ne partage pas non plus cet enthousiasme général. En sortant de la salle, j'ai trouvé ce film très, voire trop adulte, et en même temps avec le recul je trouve certains points en ce qui concerne le fonctionnement cérébral parfois trop simpliste : je ne m'attendais pas à voir une thèse attention, j'ai conscience qu'il s'agit d'un film d'animation mais certains points, certaines visions m'ont quand même titillée même si je ne suis pas psy. Surtout, sans vouloir chipoter, je m'attendais à quelque chose de plus bouleversant, je ne trouve pas que ce film ait la puissance émotionnelle d'un Là-Haut ou d'un Toy Story 3.

princécranoir a dit…

La réception de ce film varie selon la sensibilité de chacun mais il est incontestable que ce film marque une nouvelle étape dans l'exploration (la conquête ?) de cet "affect artificiel" dont parle Hervé Aubron dans son livre "le génie de Pixar".

Martin a dit…

@Tina:

Je ne sais pas si tu comptes écrire une chronique, mais, le cas échéant, je la lirais avec intérêt. Je dois dire que je me suis plutôt laissé aller, pour ma part. Je suis d'accord avec toi pour dire que le film est parfoistrès adulte, mais je n'ai rien vu de trop simpliste par ailleurs. Peut-être que ça serait plus flagrant si je le revois un jour...

Pour ce qui est de la perspective d'être bouleversé, tu as sans doute raison. Le fait est que ce n'est pas ce que j'attendais de ce film. Je n'ai donc pas été déçu sur ce point. Je ne veux pas spoiler et il me faut être prudent: je vais quand même dire que j'ai trouvé assez touchante la fin du passage avec Big Bong.

Martin a dit…

@Princécranoir:

Effectivement, la réception de ce film peut être très variable selon la sensibilité - et je crois les attentes spécifiques - de chacun. Est-ce une nouvelle étape pour Pixar ? Je ne sais. Mais ce dont je suis sûr, en revanche, c'est que j'attends le prochain avec une relative impatience...

Laurent a dit…

J'ai hâte d'aller découvrir ce Pixar...et repasserai par ici dire mon ressenti.
A bientôt, Martin.

2flicsamiami a dit…

Encore merci pour la petite dédicace adressé à tes compères dans tes crédits :)

Concernant Vice-Versa, tu sais déjà à quel point je suis tombé amoureux de ce film sautillant et émouvant.

Pour ma part, je pense que les petiots peuvent prendre du plaisir parce que le rythme me semble vraiment adapté pour retenir leur attention.
Après, se pose la question de la définition à donner aux dessins-animés. Est-ce qu'une production animée dont la richesse ne peut être perceptible que par les adultes est vraiment une imperfection ? Perso, depuis que je me suis ouvert aux productions japonaises, je ne pense pas que cela soit un défaut, ni même une qualité d'ailleurs. Tout dépend des intentions et de la manière dont les idées sont exploitées.

dasola a dit…

Bonjour Martin, merci pour le lien. Je pense avoir été un peu moins enthousiaste que toi. Les personnages humains m'ont paru sacrifié. J'ai eu du mal à faire la connexion entre Riley et ce qui se passe dans son cerveau. Bonne journée.

Martin a dit…

@Laurent:

C'est noté et merci d'avance. Comme j'imagine que "Vice-versa" n'aura pas sa place sur ton propre blog, je me réjouis de pouvoir lire ton avis ici prochainement.

Martin a dit…

@2flics:

Avec plaisir pour la dédicace, l'ami ! Sautillant et émouvant, oui, c'est bien résumé. Merci de nous faire part de ton avis sur la possibilité pour les plus petits de bien recevoir le film... c'est vrai qu'il y a du rythme et que ça peut leur plaire. Pas sûr qu'ils comprennent tout à tout, mais dans le fond, tu as raison: ce n'est peut-être pas si grave.

J'aime beaucoup ta réflexion sur les dessins animés ! Il est clair que je ne considère pas comme une imperfection le fait qu'une production de ce genre ne soit réellement perceptible qu'aux GRANDS enfants. Pour moi, Pixar, ici, a réalisé un très bon film, avant tout. Si bémol il peut y avoir, c'est qu'effectivement, je m'attendais à ce que ce soit un peu plus enfantin, mais, encore une fois, je n'ai pas de regret. J'ai passé un agréable moment, et en famille qui plus est !

Martin a dit…

@Dasola:

Il n'y a pas de quoi: je trouve même très intéressant de pouvoir, par ton intermédiaire, donner accès à un avis un peu plus nuancé sur ce nouveau Pixar. Et je dois dire que, sans la partager, je peux aussi comprendre ta (légère) déception.

Anonyme a dit…

Je ne veux pas trop spoiler ici non plus (donc SPOILERS par prudence), c'est pour ça que ma chronique devrait apparaître durant le cours de ce mois, mais, je ne sais pas ce que vous en pensez tous, mais on a quand même l'impression que Riley est une sorte de pantin uniquement régie par ses émotions et qu'il n'y a jamais de raison que chez elle (ou sinon que cette raison en question serait Joie, ce qui est finalement gênant, surtout qu'on en voit la fin, assez réussie, montrant la cohabitation même des émotions et qu'il n'y aurait donc pas de hiérarchie - or, le film fait une hiérarchie en délaissant un peu de côté certaines émotions). J'ai également trouvé ça bizarre cette histoire de boules-souvenirs, quand on sait que notre cerveau humain fonctionne par connexions(là pas besoin d'avoir un doctorat en psycho). Pour la fin avec Big Bong, c'est surtout réussi d'un point de vue symbolique (la fin de l'enfance) mais c'est un peu bizarre de voir la mise en scène de la mort du souvenir. Le dernier truc qui m'a un peu fait titiller, quelque part c'est aussi sa qualité, c'est que le film présente donc l'adolescence (même s'il s'agit plutôt ici de pré-adolescence) comme une période difficile durant laquelle nos émotions se répondent, cohabitent etc... mais du coup l'enfance de Riley m'a paru très lisse, or on sait que l'enfance est une période finalement autant traumatisante que l'adolescence...

Martin a dit…

ATTENTION SPOILERS POSSIBLES !

Tu sais, Tina, si le film n'avait pas créé une hiérarchie entre les émotions de Riley, je crois qu'on aurait fini par s'y perdre un peu... et il faut noter que les parents, eux, ne sont pas configurés de la même façon, c'est-à-dire dominés par la même émotion.

Pour ce qui est de l'histoire des boules-souvenirs, j'ai trouvé que c'était une belle façon de représenter la complexité de la mémoire et je ne me suis pas préoccupé de savoir si le cerveau fonctionnait effectivement ainsi ou non. Et puis, je ne me suis pas interrogé sur la petite enfance de Riley et sur la cohérence par rapport à ce qu'on nous montre de sa pré-adolescence.

En fait, j'ai l'impression que tu t'es posée bien plus de questions que moi. Est-ce que ça t'a privé d'une partie du plaisir que, moi, j'ai ressenti ? Possible. Mais chacun son truc, après tout: comme le soulignait Princécranoir lundi, la réception du film (et du cinéma en général) varie évidemment selon la sensibilité de chacun.

Avec tout ça, j'ai hâte de lire ta chronique !

Anonyme a dit…

T'en fais pas, je ne suis pas arrivée dans la salle avec mon Psychologies Magazine ! Disons qu'en fait ma déception vient du fait que j'avais quand même pas mal lu que l'équipe s'était pas mal penchée sur des documents concernant la psychologie. Certes, il faut penser que ça reste avant tout une fiction, et j'ai quand même aimé le film, beaucoup de choses fonctionnent et sont ludiques, et sont certainement valables d'un point de vue psychologique. En revanche, certains choix m'ont paru un peu survolés, simplifiés ou faisant des raccourcis étranges par rapport au réel fonctionnement du cerveau, je ne sais pas exactement le mot qui conviendrait pour exprimer ma déception, je le cherche encore. Je vais essayer d'être claire (n'hésite pas à le dire si tu ne comprends mon raisonnement). J'avais l'impression que la presse et l'équipe Pixar vantaient un peu le côté "c'est révolutionnaire et c'est supeeer intelligent, regardez comme Pixar connait bien le cerveau humain" alors que bon, quand on regarde bien (enfin, perso ce sont des choses que j'ai vite remarquées, je ne me suis pas amusée à éplucher des choses juste pour faire chier) c'est pas aussi approfondi que ça en a l'air. Du coup, ça m'a un peu gâchée l'émotion au fond. Et puis, comme j'en discutais avec quelqu'un cet aprem, et là je rejoins Dasola, personnellement je ne me suis pas totalement attachée à Riley, je trouve qu'elle a un peu de mal à exister, elle se fait bouffer par les personnages "émotions". Ce n'est pas par exemple Bouh de Monstres & Cie, cette dernière arrivait pour moi à exister, à être attachante alors qu'elle n'est qu'un personnage secondaire. Disons que c'est une succession de petits détails qui a fait que je n'ai pas pris un plaisir total devant ce film. J'ai aimé ce film, je mets juste quelques bémols.

Martin a dit…

Tu as raison, Tina: j'ai effectivement lu des critiques qui disaient du bien du film en louant son intelligence de compréhension du fonctionnement du cerveau humain. C'est bien évident pourtant que les choses ont été à tout le moins simplifiées, si ce n'est altérées, pour les rendre ludiques... et tout de même en partie compréhensibles par le jeune public. C'est vrai aussi que Riley dans "Vice-versa" n'a pas la même importance que Bouh dans "Monstres et compagnie".

D'une manière générale, et à l'exception de quelques scènes, je ne dirais pas que "Vice-versa" est le Pixar le plus émouvant que je connaisse. J'ai été bien plus touché par certaines scènes de "Là-haut" ou de "Wall-E".

2flicsamiami a dit…

"Riley, je trouve qu'elle a un peu de mal à exister, elle se fait bouffer par les personnages émotions" : n'est-ce pas justement là le message du film ? Que ce sont davantage les émotions qui gouvernent les personnages et non l'inverse ?

Martin a dit…

Hum... je ne sais pas ce que Tina et les autres pourront en dire, mais d'après moi, le message du film serait plutôt que nos grands moments et meilleurs souvenirs naissent d'abord d'émotions mélangées.

Anonyme a dit…

Pour moi, le problème, c'est que les gens ne sont pas uniquement guidés par des émotions dans la vie, sinon ça serait l'anarchie. Là, j'ai tendance à rejoindre l'avis de Martin sur ce coup. Et c'est cohabitation des émotions qui font que l'individu est ce qu'il est.

2flicsamiami a dit…

En réfléchissant, c'est vrai que ce n'est pas vraiment un message, davantage une idée de fond sur laquelle reposent les mécanismes de l'univers créé par le réalisateur.

Evidemment, nous ne sommes pas tous conduits pas nos émotions (tout du moins pas la majorité du temps), mais ça, c'est la vision que l'on a de notre fonctionnement cérébral.
En revanche, le concept du film en lui-même est autre puisque, là, les émotions dictent constamment les gestes et attitudes de Riley. A aucun moment dans le film elle a un tant soit peu de contrôle sur ses cinq émotions (à moins qu'une autorité supérieur aux émotions les commande eux-aussi, mais là, cela deviendrait très compliqué à mettre en image), elle demeure passive.

Ceci explique donc en partie le fait que Riley ait du mal à exister aux yeux de Tina.

Martin a dit…

@Tina:

On finit par tomber d'accord sur le fait que les émotions cohabitent et qu'elles ne sont pas les seules à nous faire avancer (ou reculer). Je pense que Pixar a largement simplifié tout ça pour le rendre un peu plus accessible à un public élargi. S'agissant de cinéma d'animation, ça me paraît finalement logique.

Martin a dit…

@2flics:

Je vois ce que tu veux dire avec ta théorie de Riley "passive". Je trouve d'ailleurs que ton argumentaire se tient bien. Il faut croire que je suis resté au tout premier degré...

Bon, au final, malgré les bémols des uns et des autres, il semble qu'on a tous plutôt aimé le film. C'est bien là l'essentiel, finalement.

Anonyme a dit…

Oui après j'ai quand même aimé le film, attention, je dis juste que je n'ai pas adoré et que certains points m'ont gênée, c'est tout ;) Je dis juste que c'est peut-être paradoxalement trop "simplifié" pour un public qui s'intéresse à ce sujet et en même temps "trop adulte" pour un enfant, c'est cette soi-disant double-lecture qui me gêne car pour moi elle ne fonctionne pas totalement. Mais ça reste quand même pour moi un bon film.

Martin a dit…

Tardivement... là aussi, je suis plutôt d'accord. C'est sans doute trop compliqué pour les uns et un peu trop simpliste pour les autres. Et ça n'empêche pas de trouver le film sympa, donc.