J'aborde enfin le cinéma de Lou Ye. À deux reprises, j'avais manqué un rendez-vous avec le cinéaste chinois. Pourquoi m'intéressait-il ? Parce que je savais qu'il avait été interdit de tournage dans son pays pendant cinq ans. C'était, je crois, après avoir abordé la question taboue de l'homosexualité dans son Nuits d'ivresse printanière. J'avais aussi été attiré par Love and bruises, son oeuvre dans Paris, avec Tahar Rahim dans le premier rôle masculin. C'est finalement avec Mystery, son septième film, que j'ai découvert le réalisateur. Maintenant, de là à dire que je le connais... n'exagérons rien.
Mystery tourne autour d'une jeune femme trompée par son mari. C'est en écoutant les confidences d'une de ses amies que Lu Jie découvre cet adultère. Dévastée et honteuse, elle ne réagit pas aussitôt et continue de vivre comme si rien ne s'était passé. Mais petit à petit, le scénario la pousse dans ses retranchements intimes et, au drame de l'amour qui s'en va, attache d'autres fils narratifs liés au sentiment de culpabilité et à la valeur d'une vie. J'aime autant vous dire qu'alors que je l'ai abordé comme un thriller, ce qu'il est d'ailleurs aussi, le long-métrage va beaucoup plus loin. Il pose ainsi nombre de questions essentielles et très délicates, montrant qu'au gré des circonstances, les victimes peuvent aussi se muer en bourreaux. Le mystère du titre se décline en plusieurs sous-intrigues, à l'image d'une Chine moins uniforme que le monde occidental veut le croire. Difficile de ne pas être ébranlé par ce qui est montré ou suggéré...
Sur la forme également, le film met très souvent mal à l'aise. Extrêmement mobile, la caméra de Lou Ye ne se fixe jamais longtemps. Au contraire, elle bouge presque en permanence, générant des images filées parfois mal déchiffrables et des effets de flou réguliers. Si c'est une façon d'approcher les personnages, c'est réussi. Je me suis senti nauséeux, comme pris de ce même malaise que celui qu'ils ressentent probablement. Mystery est un long-métrage inconfortable. Lou Ye ose même un décalage assez radical en plaquant sur ses images une version chinoise de l'Hymne à la joie: belle idée de mise en scène pour rendre la noirceur de l'histoire plus profonde encore. De par la violence même des situations, d'aucuns ont suggéré que tout cela était révélateur de la Chine elle-même,un pays si riche de potentiels et pourtant freiné par un comportement social archaïque. C'est possible et, censure ou pas, ce n'est pas rassurant.
Film chinois de Lou Ye (2012)
Le long-métrage est arrivé en France par Cannes, retenu en sélection Un certain regard. Lou Ye affirme que le Festival apporte une aide cruciale pour le cinéma indépendant chinois et l'encourage notamment, lui, à se concentrer sur les films. L'artiste dit avoir attendu cinq mois l'autorisation de tourner, avant d'oser s'en passer et de l'obtenir enfin. C'est une chance que ses films parviennent jusqu'à nous. D'autres Chinois parlent aussi très bien de la condition de leur pays par le biais du septième art, à l'exemple de Chen Kaige notamment. Vous en retrouverez sur ma page Cinéma du monde.
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Et pour être complet...
C'est Pascale qui m'a permis de gagner ma place pour voir ce film. Son avis (positif) est aussi sur son blog: "Sur la route du cinéma".
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