lundi 16 octobre 2023

Images marquantes

J'ai le très vague souvenir d'images Super 8 de mes années d'enfance. Bien avant que je m'intéresse aux écrans, mon père faisait le bonheur de mes copains en projetant parfois un vieil épisode de La Panthère rose ou un (très) court extrait de Blanche Neige et les sept nains. Des années plus tard, j'ouvrais un modeste blog: Mille et une bobines.

André Bonzel, lui, n'a pas eu ces petits bonheurs qui furent les miens. Le coréalisateur du cultissime C'est arrivé près de chez vous raconte que son père à lui avait fait construire un mur dans l'appartement familial, afin de se couper physiquement de sa femme et de son fils. D'une histoire complexe et tourmentée, il a tiré un documentaire étonnant au titre emprunté à Baudelaire: Et j'aime à la fureur. L'occasion d'un long portrait des siens, depuis un arrière-grand-père cinéphile et coureur, avec la Côte d'Opale en point de ralliement estival. Bien sûr, l'homme nous parle aussi de lui-même, démarche d'autant plus touchante qu'il n'a de fait que peu d'images personnelles pour illustrer son propos. Mais, d'une contrainte, il parvient à faire quelque chose de beau ! C'est le propre, je dirais, des vrais artistes...
 
Le subterfuge est épatant: collectionneur de vieilles bobines oubliées dans les placards d'anonymes, le cinéaste en récupère plein d'autres lors d'un vague héritage. Tous ces vieux films sur pellicule de celluloïd deviennent sa matière première: André Bonzel entame alors un travail de montage titanesque - et j'oserai même dire, à nul autre pareil. D'innombrables plans qu'il retient ainsi pour Et j'aime à la fureur montrent des gens qu'il ne connaît pas et dont il réinvente l'existence. Introspectif par essence, le film acquiert soudain une dimension universelle et nourrit une réflexion sur la force du médium cinéma. Rien de très intellectuel, je vous rassure: tout est affaire de ressenti. Et, très sincèrement, à plusieurs reprises, tout cela m'a bouleversé. Non pas tant parce que j'ai pu (ou cru) y apercevoir quelques bribes éparses de mon propre parcours que parce que j'ai trouvé admirable cette façon qu'a le réalisateur de détailler le sien, avec ses proches. Parler d'une forme de poésie ne me paraît pas du tout inconcevable. Avec une part laissée à l'imaginaire, par conséquent. C'est bien ainsi !

Et j'aime à la fureur
Film français d'André Bonzel (2022)

Seules douze copies de cette belle oeuvre ont circulé dans les salles françaises, n'attirant finalement qu'un peu plus de 7.000 spectateurs. J'insiste pour vous dire que ce chiffre me semble bien trop faible ! Peut-être le film a-t-il pâti d'être présenté comme un documentaire. J'ai repensé à L'image manquante - d'où le titre de cette chronique. Et parfois aussi à tous les oubliés d'À la recherche de Vivian Maier...

2 commentaires:

cc rider a dit…

Une fois de plus l'ami Bonzel fait de la résistance et cela fait du bien....

Pour ma part j'ai vu le film deux fois....et chaque visionnage est un pur bonheur.

Martin a dit…

Ce très joli film m'a beaucoup ému !
Si c'est cela faire de la résistance, alors je dis merci, monsieur Bonzel !