samedi 8 mai 2010

L'amour violé

Permettez-moi d'ouvrir cette chronique par des remerciements suivis d'une anecdote. Les remerciements sont pour mes parents, qui m'ont offert l'intégrale d'Eric Rohmer. L'anecdote, elle, explique pourquoi j'ai choisi d'inaugurer cette prestigieuse série avec La marquise d'O... (1976). C'est que j'avais déjà entendu parler de la nouvelle d'Heinrich von Kleist dont est issu le film. La personne qui m'a permis de la découvrir est lui-même artiste et entamera à la mi-novembre sa quatrième année aux commandes du bel Opéra de Monte-Carlo. Jean-Louis Grinda trouve que cette histoire ferait un très bon livret. La différence entre lui et moi, qui suis toutefois d'accord sur le fond, c'est que notre homme a la possibilité de commander une oeuvre lyrique inspirée de. Oeuvre que je pourrai apprécier l'an prochain.

Femme du 18ème siècle, La marquise d'O... est une noble italienne et la victime collatérale d'un des nombreux conflits de cette époque difficile. Veuve, elle vit chez ses parents et élève courageusement ses deux enfants. Son père est le chef de la garnison locale, contraint d'agiter le drapeau blanc devant l'avancée de troupes russes. C'est là que se joue le destin de la fille. Menacée par une petite bande d'obscurs soudards, elle est sauvée par un officier qui, lui-même troublé par sa beauté, profite de sa faiblesse soudaine pour la violer. Enceinte, cette femme respectable prend pour un homme de valeur celui qui est le responsable de son malheur et de sa déchéance. Baste ! Pas question pour moi d'en dire plus: je vous laisse découvrir le reste en vous indiquant juste que le scénario du film n'est pas aussi convenu qu'il peut le laisser croire en son commencement. Et comme il est assez remarquablement interprété, il y a là de quoi passer un bon moment pour les amateurs d'oeuvres en costumes.

Ce qui pourrait toutefois en dérouter certains, c'est le fait que le film a été tourné en allemand. C'est en effet outre-Rhin qu'Eric Rohmer a trouvé ses producteurs et notamment la complicité d'un certain Barbet Schroeder. J'imagine qu'on peut attribuer cette circonstance au fait que l'auteur de la nouvelle originelle était lui-même un citoyen de l'actuel Brandenbourg, Land mitoyen de la Pologne. Les cinéphiles noteront toutefois qu'une version française existe et qu'elle fut d'ailleurs supervisée par le réalisateur lui-même, qui confia notamment une voix à Suzanne Flon. Un autre détail, pour s'amuser cette fois: si La marquise d'O... a connu un certain succès, c'est peut-être parce qu'il décrocha le Grand Prix spécial du jury à Cannes, mais aussi du fait que certains spectateurs assez mal avisés l'ont pris pour la suite d'un célèbre film érotique ! Pour parler image, je salue l'excellent travail de photographie accompli par Nestor Almendros. Certains plans s'inspirent directement du travail de peintres contemporains des scènes présentées, Greuze, Füssli ou bien Ingres. Le résultat est là: c'est très franchement et simplement magnifique.

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