jeudi 30 décembre 2010

Rebelle, rebelle...

Une chronique de Silvia Salomé

Au début, la Warner n’avait pas parié un seul cent sur La fureur de vivre, qu’elle considérait un comme un film de série B. Jusqu’au moment où Jack Warner, le big boss, se rend compte du succès de À l’est d’Eden, mais surtout de l’effet que produit ce beau jeune homme à la fois sur les filles et les garçons. James Dean crève alors l’écran. Ni une, ni deux, la production décide de passer à la couleur et le jeune Jim Stark, le rôle de Dean, portera ce mythique blouson rouge !

Le film est réalisé par Nicholas Ray, un personnage à part dans le monde du cinéma. Ses relations avec Dean sont excellentes: les deux hommes échangent des idées sur leur passion, sur le script, sur le tournage. Mais surtout, Ray laisse Jimmy totalement libre d’improviser et d'exprimer son génie créatif. Au générique de La fureur de vivre, Natalie Wood répond présente: elle incarne là son tout premier rôle d’adulte avec son personnage de Judy, en conflit sévère avec son père. Dennis Hopper est aussi de la partie: il donne vie à Goon et il joue là son tout premier vrai rôle au cinéma - il avait fait une apparition dans Johnny Guitare, toujours de Nick Ray. Sal Mineo est le fragile Plato. Corey Allen devient Buzz, le chef de gang. Pour les Dean addict, on peut également noter la présence de Jack Simmons, qui deviendra un proche de l'acteur.

La légende s’est emparée de ce film, le rendant culte à jamais. Même 55 ans après sa sortie sur les écrans, les ados du monde entier se reconnaissent en Jim Stark. La famille Stark vient d’emménager dans une petite bourgade de Los Angeles, aseptisée comme les aime l’Amérique puritaine des fifties. Le jeune Jim est un adolescent à problèmes et il entend bien profiter de cette nouvelle vie pour rentrer dans le moule. Mais ses premiers pas à la high school vont en décider autrement, d’autant qu’il est en conflit avec son monde: une mère autoritaire, un père en forme de lavette, une société qu’il ne comprend pas, une identité qu’il n’arrive pas à trouver, une girlfriend à épater et des copains à défier !

Le film n’a pas pris une ride: James Dean y est si moderne tant dans ses attitudes que dans sa tenue vestimentaire. Son interprétation est épatante. Ses émotions transpercent l’écran: on ressent tout son désespoir, tout son mal de vivre, toute sa fureur. Un tel réalisme est dû à une impeccable préparation. Par exemple, il se murmure qu’avant de se rendre en haut de la falaise pour voir la carcasse de la voiture de Buzz, Dean a pris une pomme, y a versé du faux sang et l’a regardée un moment. L’acteur a avoué qu’il s’était figuré le visage de Buzz. Et ça marche ! Sur l’écran, on voit cette douleur et ce dégoût. Ou encore, cette colère envers ses parents n’est pas que feinte: la relation avec son père ou plutôt la non-relation avec son père fait que Jimmy/Jim en veut à tous les pères de la terre. La figure paternelle est aussi remise en cause avec le personnage de Judy: son père ne l’a pas vue grandir et on a l’impression qu’il lui en veut d’être devenue une femme. Quelle fille n’a pas vécu ça ? Comment ne pas comprendre la détresse de la jolie Judy ?

Je sais que vous êtes friands des petits secrets de tournage: la célèbre scène aux couteaux a été censurée dans plusieurs pays, jugée trop violente. Pour la petite histoire, c’est Franck Mazzola, un ancien membre d’un gang d’Hollywood, qui a enseigné à Dean l’art de la bagarre au couteau. Mais il faut noter aussi que le film pourrait être un film d’apprentissage (en littérature, il existe un genre particulier: les romans d’apprentissage comme Bel Ami de Maupassant, Le Rouge et le Noir de Stendhal ou encore L’Education Sentimentale de Flaubert). Très vite, Judy et Jim se prennent d’affection pour le jeune Plato, un gosse délaissé par ses riches parents. Au fil de l’histoire, les relations deviennent si fortes que le couple se substitue aux parents de Plato. Ils forment une famille: une famille qu’ils sont tous les trois choisie. Certainement une allégorie du passage de l’enfance, à l’adolescence et enfin à l’âge adulte.

La fureur de vivre
Film américain de Nicholas Ray (1955)

Au delà de la performance de Dean, La fureur de vivre est un hymne pour toute une jeunesse révoltée qui ne comprend plus le monde dans lequel elle évolue. Avec son personnage de Jim Stark, James Dean a donné un statut à tous ces jeunes en perdition. Sal Mineo racontera des années plus tard: «Avant James Dean, on était un enfant et on devenait un adulte. Grâce à lui, on pouvait revendiquer être un teenager». Martin Sheen dira aussi: «Marlon Brandon a changé la façon de jouer, James Dean a changé la façon de vivre». Normal qu’on ait la sensation qu’il nous comprenne. Normal qu’on ait la sensation de le comprendre. Normal qu’on s’identifie à lui. Normal qu’il reste une référence. Pour moi, dans La fureur de vivre, Dean incarne tour à tour le grand frère que l’on aimerait avoir, l’amant que l’on voudrait dans notre lit, l’ami à qui l’on a envie de se confier, le mari que l’on rêve d’avoir. Sacré palmarès pour un seul rôle ! Bien sûr, la sortie posthume du film lui a assuré un succès non négligeable: presque un mois après la tragique disparition de James Dean, qui entre telle une étoile filante dans la légende. À tel point que des jeunes femmes se jetaient des toits des immeubles en hurlant: «Jimmy, je te rejoins !» Pour moi, c’est un des meilleurs films de Dean. Pas assez rediffusé, ni sur le silver screen, ni même dans la petite lucarne...

1 commentaire:

see see rider a dit…

1975, les trois films de James Dean ressortent sur grand écran pour le 20eme anniversaire de sa mort. Heureux temps ou les cinémas étaient permanents et ou du balcon au parterre des bandes de nostalgiques restaient les 3 séances en matinée. Sanglés dans nos blousons de cuirs nous pensions etre les nouveaux rebelles. 39 ans plus tard le film n'a rien perdu de sa force, mais quand est-il de nos illusions ?