Au moment où cette chronique sera publiée, plus de trois semaines auront passé depuis ma découverte d'À perdre la raison. J'ai choisi d'écrire à chaud, à peine un peu plus de trois heures après être sorti du cinéma. Juste le temps de reprendre un peu de mon souffle. Aussitôt, et même d'ailleurs au cours de la projection, mes pensées se sont tournées vers les protagonistes de cette histoire. Je crois que la précision s'impose: oeuvre de fiction revendiquée comme telle par son auteur, le film ne s'en inspire pas moins de faits réels. L'explication, peut-être, de ma première sensation de malaise.
Faut-il ici que je revienne sur cette histoire originelle ? Pas sûr. Notez toutefois qu'être au fait de ce qui s'est vraiment passé peut éventuellement aider à encaisser le choc que le long-métrage provoque. Ceux d'entre vous qui veulent être fixés pourront toujours faire une recherche Internet sur le nom de Geneviève Lhermitte. Quant aux autres, ceux qui préfèrent partir sans a priori, ils noteront simplement que le film nous plonge au coeur de l'intimité d'un couple amoureux. Muriel et Mounir se marient rapidement, se voient offrir un beau voyage de noces, ont un premier enfant... ils sont heureux. Seulement voilà, les tourtereaux, aveuglés par la passion, négligent ce qui semble n'être qu'un détail dans leur histoire parfaite: ils vivent presque aux crochets du docteur Pinget, le père adoptif de Mounir. Muriel accepte même de cohabiter avec lui, heureuse que son mari puisse travailler avec le médecin et, au moins quelque temps, à l'aise sous le même toit. À perdre la raison: le simple titre du film suffit probablement à comprendre que tout ne peut pas être aussi simple.
Et, de fait, petit à petit, la situation bascule. Se sentant à l'étroit dans leur prison dorée, les amoureux voient leur idylle s'étioler progressivement. De parent idéal, leur bienfaiteur devient le symbole de leur échec, l'intrus dans une maison qui est pourtant la sienne. Pour épicentre de ce triangle dévastateur, Joachim Lafosse a choisi Muriel. S'il continue de filmer Mounir et le docteur Pinget, il le fait assurément de plus en plus dans leur relation avec la jeune femme. D'un point de vue purement "esthétique", j'ai d'ailleurs cru remarquer qu’Émilie Dequenne était seule à porter les stigmates de la manière dont son personnage évolue. Niels Arestrup change peu et n'a besoin de presque rien pour incarner toute l'ambiguïté du bon samaritain. Quant à Tahar Rahim, ses regards perdus dans la vague et sa mise impeccable imposent ce grand garçon, devenu père mais pas homme. Avec presque toujours une partie du cadre obstruée et des plans régulièrement incomplets, À perdre la raison est un film étouffant. Même connue à l'avance, sa conclusion, elle, achève de glacer le sang.
À perdre la raison
Film belge de Joachim Lafosse (2012)
J'ai mis deux étoiles et demie parce que j'ai du mal à me décider. J'éprouve encore une drôle d'impression en me disant que tout part d'une vraie histoire. Je ne crois pas qu'on puisse aimer pareil film. Deux quasi-certitudes, toutefois. 1) Émilie Dequenne est prodigieuse d'intensité et n'a sûrement pas volé le Prix d'interprétation qu'elle a obtenu à Cannes, en section Un certain regard. 2) Plutôt discutable sur le fond, le film reste bien meilleur qu'un autre long-métrage récent sorti des pages faits divers, le Possessions d’Éric Guirado.
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Parce qu'un tel film peut difficilement laisser indifférent...
Je ne saurais trop vous recommander de lire également l'avis ambivalent de Pascale ("Sur la route du cinéma"). Preuve qu'on peut admirer le travail de trois comédiens sans aimer pour autant le film dans lequel ils s'expriment. C'est, je crois, un constat important.
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