Une nouvelle interview à vous proposer aujourd'hui. Si j'ai présenté samedi un film de Stéphane Elmadjian, c'est aussi parce que j'ai découvert ce cinéaste dans le casting technique d'un long-métrage évoqué il y a peu: Le grand soir. Stéphane Elmadjian a monté le film du duo Kervern / Delépine. C'était déjà sa quatrième collaboration avec les deux trublions. Je le remercie très vivement de s'être prêté au jeu des questions-réponses et de m'avoir fourni la photo-portrait ci-dessus. Je suis ravi d'avoir eu avec lui l'occasion de découvrir l'expérience d'un pro qui n'est pas - uniquement - un réalisateur.Quand on lit votre biographie, on voit que vous connaissiez déjà Gustave Kervern et Benoît Delépine, ces drôles de zozos. Je le dis avec affection...
Et c'est effectivement souvent ainsi qu'on parle d'eux.
Est-ce que d'avoir travaillé avec eux avant Le grand soir simplifie désormais votre travail commun ?Oui, un peu. Cela dit, avant
Avida, le premier film que j'ai monté avec eux, je ne les connaissais pas.
Comment les avez-vous rencontrés ?Hugues Poulain, le chef-opérateur, est un ami de très longue date. J'ai fondé Lardux Films avec lui, entre autres. Le premier film du duo Kervern / Delépine,
Aaltra, a été fait avec une production belge. Pour des raisons qui les concernent, Gustave et Benoît n'ont plus eu envie de travailler avec la monteuse de cette époque. Hugues leur a parlé de moi. Après une discussion dans un bar, ils ont voulu essayer.
Dans un bar, vous avez dit ?Oui, à une terrasse, mais sans que ce soit spécialement alcoolisé.
La légende n'est pas respectée !Sur ce coup-là, non, mais ils ne font pas que boire tout le temps. Pas forcément à la première rencontre. Ça dépend des gens.
Est-ce que c'est toutefois ce premier bon contact qui a permis d'enchaîner avec d'autres films ensemble ?En fait, deux choses leur avaient plu dans ce que j'avais dit. D'abord que j'avais beaucoup aimé
Aaltra, ce cinéma qui prend son temps, cette manière de filmer qui me plaît vraiment beaucoup. Connaissant un peu la production belge de leur premier film, je savais qu'ils avaient peur que le monteur ne suive pas exactement et ne comprenne pas ce qu'ils voulaient. J'ai dit que j'avais un seul principe: ne pas avoir de principe. Que s'ils avaient besoin d'être suivis, je les suivrais. Qu'après, ce serait à eux de voir si les choses fonctionnaient ou pas. Que j'interviendrais juste s'ils se perdaient. Que je les laisserais faire, sinon. C'est d'ailleurs bien ce que je fais, en règle générale. Quand un réalisateur sait ce qu'il veut, je suis. Des réalisateurs font parfois des choses qui ne fonctionnent pas et ça m'arrive de prendre la main. C'est plutôt rare. Je suis d'abord là pour les satisfaire. Prendre le pouvoir sur eux, ça ne m'intéresse pas.
Vous êtes donc plutôt dans une démarche de conseil...Je découvre ce que les réalisateurs ont proposé. C'est d'ailleurs bien ce qui m'intéresse avant tout. Gustave et Benoît avaient un univers tellement fort, tellement singulier, que je n'avais pas d'autre choix que de les laisser faire.
Quand votre travail commence-t-il ?En fait, ça dépend un peu des réalisateurs. C'est à moi de jauger selon que le réalisateur soit perdu ou non. Sauf si on me demande l'inverse, j'ai en revanche la même méthode pour tous: je ne lis pas les scénarios. Classiquement, je dérushe dans l'ordre et c'est ensuite au réalisateur de me raconter l'histoire. C'est là que je vois si le film tient sur ses pattes ou si certaines choses vont être problématiques. C'est révélateur: comme je ne connais rien de l'histoire, je suis vraiment un premier spectateur.
Et sur Le grand soir, précisément, vous aviez beaucoup de rushs ?C'est justement une particularité de ce film-là. Gustave et Benoît n'avaient pas beaucoup de rushs sur les films précédents. Ils avaient une prise ou deux, exceptionnellement trois, ce qui rend le montage plus rapide, avec alors une réflexion sur la structure même du film. Cette fois, à l'inverse, ils avaient beaucoup tourné. Il y a beaucoup de scènes qui n'ont pas été montées et sont passées à la trappe.
À quoi l'attribuez-vous ?Au fait qu'ils avaient écrit pas mal d'histoires et les ont laissées tomber après coup, parce qu'elles ne marchaient pas. Le paradoxe étant que c'est aussi un film où les coupes sont moins nombreuses que dans
Mammuth,
Avida ou même
Louise-Michel. Les plans séquences sont en fait beaucoup plus longs. Il y a eu aussi beaucoup d'improvisation. Des choses écrites, mais développées en impro. Poelvoorde et Dupontel ont joué le jeu comme ça.
Comment ça se passe, quand on a deux réalisateurs ?Ils viennent me voir deux à trois fois par semaine, regardent le film et me donnent du travail. Il y a toujours des petites choses à faire comme corriger un son, modifier une voix ou une parole... pas mal de trucs comme ça. Je peux faire des propositions de modifications quand ça me paraît évident, mais ils sont là tous les deux, oui.
L'un ne dit pas noir quand l'autre dit blanc ?Pas sur ce film-là, non. Sur
Louise-Michel et
Mammuth, il y a effectivement eu quelques moments où l'un venait me voir pour me dire quelque chose et où l'autre n'était pas forcément d'accord. Gustave et Benoît communiquent beaucoup. Les conflits entre eux sont rares: même sur un tournage, ils se mettent d'accord avant.
Sans parler de conflit, on aurait pu penser qu'entre noir et blanc, il faille parfois trouver une nuance de gris...Franchement, plus Gustave et Benoît avancent, mieux ils se coordonnent. Et ils le font même mieux qu'avant.
Existe-t-il d'autres contraintes en postproduction ? Venant notamment de la production ? Ou avec des acteurs du genre d'Albert Dupontel et Benoît Poelvoorde ? Peut-être qu'eux ont aussi envie de voir quelque chose de particulier...Gustave et Benoît ont déjà un désir de simplicité, ce qui fait que leurs équipes sont assez légères. Ils ne veulent pas qu'on prenne le pouvoir sur eux. Les acteurs eux-mêmes ne peuvent pas demander trop cher: ils ne payeraient pas. D'autres accords existent, mais certainement pas celui d'un budget mirobolant. C'est toujours à eux que reviendra le dernier mot. Parfois, il y a des problèmes de production, oui. Sur
Le grand soir, notamment, il y avait beaucoup de panneaux de marques et de logos, sans que nous ayons toutes les autorisations. À vrai dire, ça nous a posé peu de problèmes. Quelques trucs ont été effacés ou modifiés, rien d'énorme de ce point de vue. Il y a finalement peu d'entraves, d'autant que Gustave et Benoît sont plutôt pointilleux. On est plutôt libres, au final.
Sans dévoiler le film, on peut tout de même dire que ces marques sont quelque peu malmenées. Certaines ont-elles à l'inverse demandé à apparaître clairement ?C'est un peu difficile pour moi de répondre: c'est plutôt la production qui s'occupe de ces tractations avec les marques. Je sais qu'une banque a refusé d'apparaître, parce qu'il était prévu que quelqu'un pisse contre le mur. Je me souviens aussi que, pour une autre marque, en donner une mauvaise image, c'était rédhibitoire et donc simplement pas possible. En général, ça ne pose pas de problème. C'est une visibilité comme une autre, finalement.
Question technique: j'ai l'impression qu'en écriture, plus on écrit court, plus c'est compliqué. Est-ce que c'est la même chose pour le montage cinéma, de votre point de vue ?Pas forcément, non. En fait, le montage en soi, c'est quelque chose d'assez compliqué. En long-métrage, on peut simplement, à la limite, aller un peu plus vite. Pour qu'un film fonctionne en court-métrage, je crois effectivement qu'il faut être beaucoup plus précis.
Le court-métrage est souvent considéré comme une école pour les réalisateurs. Vous avez vous-même réalisé des courts-métrages avant de passer au long...Oui, c'est peut-être une école, mais c'est également un genre en soi. Je prends d'ailleurs encore du plaisir à faire du court-métrage. La seule chose, c'est que, pour des réalisateurs qui ne font que ça, le court ne paye pas. Il vaut mieux faire du long-métrage pour gagner sa vie. Il y a tout de même des choses en long-métrage qu'il faut expérimenter et que le court n'apprend pas forcément.
Vous, d'ailleurs, sauf erreur, vous n'avez pas fait de formation particulière...Non, en effet. J'ai été formé sur le tas dès mes débuts. Je viens d'une famille de cinéma. Ma mère était monteuse, mon beau-père réalisateur et tous les amis de ma famille travaillent dans le cinéma. J'ai voulu faire ça très vite. À peine sorti du lycée, j'ai travaillé tout de suite. À l'époque, dans les années 80, on considérait que le montage ne s'apprenait pas à l'école. Je trouve toujours que c'est vrai: on peut apprendre certaines techniques, mais on apprend vraiment en étant assistant. C'est un métier assez complexe: il faut compter une bonne dizaine d'années avant de commencer à maîtriser.
Parce que vous êtes réalisateur et monteur, avez-vous le sentiment que les deux fonctions se nourrissent l'une l'autre ?Bien sûr ! En tant que réalisateur, et parce que je suis monteur, j'ai la possibilité de pouvoir penser montage dès l'écriture. Ce n'est pas donné à tous les réalisateurs et c'est un atout. Pour moi, d'ailleurs, les meilleurs réalisateurs sont ceux qui réfléchissent au montage dès le début. C'est là que les films sont les mieux construits. De l'autre côté, le fait d'être réalisateur me permet de mieux les comprendre. Je sais ce qu'ils traversent. Ça me permet de leur parler d'une manière particulière. Parfois, c'est dommage que les monteurs ne comprennent pas vraiment les angoisses d'un réalisateur. La fonction est difficile, tout de même, et on peut être un soutien.
Justement, parlons un peu du long-métrage que vous avez réalisé. Comme un chat noir au fond d'un sac, c'est différent de l'univers Groland, pour le coup...Ah, ça, oui !
Comment le film est-il né ? D'où vous est venue cette idée d'évoquer les traumatismes laissés par la guerre ?C'est d'abord une histoire personnelle, liée à mes origines. Étant assez proche de mes grands-parents arméniens, j'ai baigné dans ces problèmes de traumatismes. Même si c'était avec des fonds de tiroir, ce film, il fallait que je le fasse, coûte que coûte. C'est une forme d'exutoire. Ayant eu quelque succès avec deux courts-métrages auparavant, c'était pour moi le temps d'y aller. J'ai été assez touché par ces gens, anéantis par l'histoire avec sa grande hache, comme disait Pérec. J'avais cette nécessité d'en parler le plus souvent possible. Maintenant, à vrai dire, ça m'est un peu passé. Ce film m'a permis de passer à autre chose. Il me rapproche d'ailleurs de Gustave et Benoît qui, à leur manière, parlent également des petites gens.
Comme un chat noir au fond d'un sac est disponible sur votre site Internet. Il n'est pas sorti en salles...Non. Il a toutefois fait quelques festivals. J'avais un distributeur alternatif, qui a finalement déposé le bilan au moment de la sortie prévue. Je n'ai pas réussi à en trouver un autre. C'est un problème récurent: les distributeurs ne comprennent pas toujours à quel public les films peuvent s'adresser.
Il faut leur garantir une forme de retour, en fait...Ouais.
Ce qui veut dire que vous avez renoncé à ce qu'il soit un jour distribué ?Oui, au bout d'un moment, je n'ai pas voulu insister. J'ai préféré aller de l'avant et continuer sur mes autres projets.
Quels sont-ils ?Il y a d'abord un long-métrage que je co-écris avec Élodie Desprès. C'est un conte philosophique dans un monde qui s'est écroulé. On peut imaginer que ça se passe en 2050. Il reste une espèce d’État pour maintenir un semblant de paix, mais tout le monde se retrouve dans la nécessité. Il n'y a plus de circulation, plus de communication, plus d'argent. Au travers de cette histoire, on parle de la perte de la métaphore, c'est-à-dire de la perte du sens des lois et des conventions. On dénonce aussi une certaine perversité qui mène le monde. Voilà notre sujet. C'est aussi un film tourné autour de la musique et du rock n' roll en particulier.
C'est ambitieux...Quant au sens, oui, à l'écriture, en tout cas. On est toujours à ce stade, pour je pense encore quelques mois. Nous sommes tous les deux occupés à nos propres métiers en parallèle: on avance quand on peut. Au niveau du tournage, on s'est aussi débrouillé pour écrire quelque chose qui ne soit pas excessif.
C'est vous qui le réaliseriez ?Oui. Avec Élodie, éventuellement.
Des idées de courts-métrages, aussi ?Notre intention commune est de réaliser un court-métrage qui serait les prémices de ce long. On parlerait des parents des personnages principaux.
Pour revenir sur ces réalisateurs dont vous dites qu'ils anticipent sur le montage, avez-vous des références ?Certains sont d'abord passés par le montage, comme Alain Resnais ou Martin Scorsese. Ce sont des gens qui maîtrisent l'écriture cinématographique. On a alors une matière beaucoup plus riche. De toute manière, à mon avis, un beau montage, c'est d'abord le fruit d'un bon réalisateur. Si un réalisateur ne tient pas son film, on ne pourra rien faire de bien. J'ai vraiment cette pratique de travailler avec le réalisateur: prendre en mains le film tout seul, ce n'est pas possible pour moi. Il y a une âme: je ne suis pas là pour l'inventer.
Il y a pourtant des prix spécifiques pour les monteurs...Oui. Il y a quand même des techniques et surtout cette approche de premier spectateur. Le nez collé sur la matière, il faut être capable de prendre du recul. Avoir aussi une distance sur ce que l'on ressent, être capable de l'analyser, de laisser venir les choses et de détecter les sensations. C'est une question de pratique. Après, sur le plan technique, il y a cette question du rythme du film, de la narration. Esthétiquement, il faut trouver des solutions, émettre des idées. C'est différent selon les films. Certains seront très
cut, d'autres non, avec des raccords enlevés ou plus précis. C'est d'ailleurs très souvent le monteur qui le perçoit, plus que le réalisateur. C'est assez rare qu'un réalisateur sente tout de suite ces choses-là.
Une mode récente consiste aussi, pour le public, à surveiller les faux raccords, de manière assez ludique, du reste. Vous prenez ça avec humour, vous aussi ?Oui, ça me fait rire, mais pour moi, un faux raccord n'est pas forcément un défaut. J'avais lu un type qui demandait: pourquoi regarder des détails que personne ne voit ? À défaut de pouvoir monter la scène, on est parfois obligé de tricher ! Quand c'est trop gros, je peux parfois dire au réalisateur que ce ne va pas, que ça fait décrocher du film. Mais franchement, parfois, ça passe inaperçu...
Même pour vous ! Magie du cinéma, alors ?Absolument ! Il peut également m'arriver de ne pas voir les choses tout de suite et de réaliser plus tard. Tiens, il y a un truc qui entre dans le champ ou un personnage qui n'est pas à sa place !
A priori, en amont, ce n'est pas la faute du monteur...Non, mais la plupart du temps, le monteur le voit. C'est une illusion que de penser que le monteur ne voit rien. On est tellement le nez dessus qu'au bout d'un moment, on voit tout. Le moindre détail.
Je suppose aussi qu'on s'améliore avec la pratique du métier. Vous avez le sentiment d'avoir progressé, avec toutes ces années à faire du cinéma ?Quand je vois d'autres films, oui. La preuve, c'est qu'on m'appelle un peu plus souvent qu'avant. On va plus vite. C'est une bonne chose pour les productions que d'avoir des techniciens plus rapides, avec une meilleure sensibilité, une plus grande acuité. À force de rencontrer les mêmes problématiques, on finit par trouver des solutions. C'est presque un syllogisme: quand deux solutions ne fonctionnent pas, on sait très bien qu'on va devoir en trouver une autre. Quand quelque chose ne marche jamais, on sait qu'il faut aller chercher ailleurs. C'est aussi comme ça qu'un réalisateur est plus performant: il va comprendre très vite ces choses-là. Il m'arrive donc de dire au réalisateur que, si on s'oriente dans telle ou telle direction, on va forcément perdre du temps.
Dans les films du duo Kervern / Delépine, on retrouve aussi souvent les mêmes techniciens. Ça aide, ce côté tribu ?Je pense. Pour eux, c'est presque comme une famille. Tout le monde s'est déjà pratiqué et on va donc plus vite. On anticipe les choses avec eux, on peut mieux savoir ce qu'ils veulent. Gustave et Benoît ont moins besoin de s'expliquer. C'est donc beaucoup plus simple.
Nous avons parlé des prix remis aux monteurs, tout à l'heure. Faisiez-vous partie de ceux qui sont venus présenter Le grand soir au Festival de Cannes, cette année ?Oui, je suis bien allé à Cannes pour accompagner le film et aussi pour défendre un court-métrage que j'ai monté, en sélection officielle,
Ce chemin devant moi - un film de Hamé. Pour moi, Cannes fut l'occasion de voir et revoir des amis du métier, un réseau entre Paris et Bruxelles qui s'est forgé avec le temps. La projection du film a été très émouvante. Nous étions plusieurs à penser que, de tous les films de Gustave et Benoît, celui-ci est le plus abouti. Toute l'équipe est fière d'eux. Ils évoluent dans leur travail et nous avec. J'ai ensuite beaucoup ri des frasques de Gustave, un peu d'air pur dans cet univers collet monté. La promotion était punk à souhait !
Vous, c'est le cinéma. Je ne crois pas que vous soyez intervenu dans Groland, l'émission télé...Non, jamais.
Qu'est-ce que ça change du point de vue montage ?Beaucoup de choses et surtout pour Gustave et Benoît, je dirais. Leur cinéma, ils ne le considèrent pas du tout dans la ligne grolandaise.
Et vous qui êtes si souvent un premier spectateur, parvenez-vous à être encore le second ou le troisième ? À faire en réalité partie d'un public, tout simplement ?C'est une excellente question. Mon travail me rend très exigeant. Quand je regarde un film, mon oeil critique est tel que je vois les lumières, le jeu, le montage, les coupes. Mon exigence ne porte pas sur les genres - je les aime tous. J'aime simplement les films bien faits, bien tenus et en l'occurrence intelligents. C'est sûr que ça n'aide pas à ce que je puisse en voir beaucoup parmi ceux qui sortent. À une période de ma vie, j'ai ressenti un trop-plein. J'ai pu m'y remettre en prenant un peu plus de recul. Là où je prends vraiment du plaisir, c'est en allant voir des films à la Cinémathèque. De découvrir de vieux films de derrière les fagots ou de réalisateurs connus que je n'avais pas vus, ça m'a redonné le goût du cinéma. C'est aussi le plaisir de l'historien: voir comment les films ont été faits et fonctionnent, appréhender la tonalité des acteurs et le jeu des cadrages, constater à quel point les réalisateurs des années 30 pouvaient également être de grands inventeurs et comprendre l'influence qu'ils ont pu avoir sur le cinéma et qui perdure encore aujourd'hui.
Qu'est-ce que vous pensez d'un film muet comme The artist, vous qui parlez de cinéma ancien ?Je ne suis pas allé le voir. Je n'ai pas vraiment d'opinion là-dessus si ce n'est pour dire un peu toujours la même chose: le cinéma nous réserve toujours des surprises quant à son succès. Il a toujours été évident pour moi que le cinéma muet ou le cinéma en noir et blanc pouvait encore plaire. Je ne suis pas du tout étonné, en fait. Cela montre - et c'est une chance - qu'il y aura toujours des surprises au cinéma. Les producteurs, mais aussi et surtout les exploitants, ont tendance à vouloir cadrer les films dans un certain registre de réussite économique. Finalement, il y a des films qui viennent prouver que le contraire est possible à chaque fois. Tant mieux !
Ce serait une belle conclusion, mais j'aimerais aussi vous poser une question sur la 3D. Ça vous parle, à vous ?Oui, bien sûr ! Je suis plutôt intéressé par toute technique, quelle qu'elle soit. Après, la question vient quand on en fait un peu trop. C'est bien aussi de rester sur une forme de cinéma. Je ne suis pas toujours intéressé par ce qui se fait. Exemple:
Avatar, je n'ai pas aimé. J'ai trouvé que, sur le plan du scénario, le film ne se tenait pas et j'ai trouvé ça scandaleux. En revanche, vis-à-vis du travail effectué sur la 3D, j'ai trouvé ça vraiment très beau. Bon, ce n'est pas très étonnant venant de Cameron: il sait faire des films. Il a dû avoir des contingences économiques pour raconter son histoire. Récemment, je suis aussi allé voir
Avengers. Là, pour le coup, la 3D m'a un peu moins intéressé. J'ai trouvé ça un peu surfait, à part quelques plans que j'ai vraiment trouvés magnifiques. J'ai appris après coup que le film n'avait pas été prévu pour être tourné en 3D. Je n'ai pas encore trouvé le film qui m'épate avec cette technologie. À suivre, jusqu'à ce que les réalisateurs aient une belle maîtrise et une intelligence de ce phénomène esthétique.
Dans toute cette évolution du cinéma français et mondial, y a-t-il un rêve que vous caresseriez ? Un espoir pour l'art ou pour vous ? Peut-être est-ce un peu tôt pour parler d'aboutissement...J'aurais plutôt un point de vue politique. Pour moi, le cinéma permet réflexion et catharsis. Mussolini et Goebbels le disaient aussi: c'est une arme de grande puissance. Il me paraît capable du pire. J'ose espérer qu'il puisse rester au service du meilleur... jusqu'au bout.
Jusqu'au bout ?Oui, qu'il continue. Je crois qu'il y a encore aujourd'hui des films de propagande, comme ça a toujours existé. Des films qui rendent bête. Il y en a aussi qui rendent plus intelligent. J'espère qu'on ira plutôt vers ceux-là.
Bref, pourvu que ça dure, comme dirait l'autre...Voilà ! Pourvu que ça dure !