samedi 13 février 2021

Marginaux

Laisser une place à l'imprévu: c'est, à mon avis, la clé d'une cinéphilie épanouie. Un soir de janvier, à l'instant où je tergiversais sur le film à choisir pour la soirée, j'ai retrouvé mes ex-camarades d'association sur une plateforme Internet et on m'a conseillé La vie de bohème. L'idée était de le regarder sur le site d'Arte et d'en débattre ensuite...

Avis aux amateurs: c'est en fait jusqu'à fin avril qu'Aki Kaurismäki reçoit les honneurs de la petite chaîne franco-allemande, qui a choisi d'alimenter son site Arte.tv en diffusant plusieurs oeuvres du cinéaste finlandais. Celle dont je vais vous parler aujourd'hui est en français ! Logique, en fait, puisqu'elle se passe à Malakoff, joyeuse bourgade des Hauts-de-Seine. On y rencontre Rodolfo, un peintre albanais dépourvu de permis de séjour, Marcel, un écrivain expulsé de chez lui faute d'avoir payé son loyer, et Schaunard, un Irlandais musicien porté sur la bibine. Les trois amis adoucissent leur grisâtre quotidien grâce à quelques repas partagés et autres expériences sympathiques. Et, évidemment, il y a les femmes, Musette et Mimi, aussi fauchées qu'eux, mais dont la seule présence tempère les rigueurs de l'hiver. Tout cela devrait mal finir pour respecter le roman quasi-éponyme d'Henry Murger (1851) et son adaptation lyrique par Giacomo Puccini !
 
Vous le verrez: les miroirs d'Aki Kaurismäki ne sont pas déformants. Pourtant, le Scandinave m'épate toujours pour sa capacité à inventer des images qui sont décalées et à la fois proches de la réalité brute. C'est assez difficile à expliquer: l'aspect "carton-pâte" des décors n'empêche pas le film d'apparaître très vrai, comme saisi sur le vif. L'implication et le talent des acteurs nous permettent d'y croire. Certains de ces comédiens ne parlaient même pas un mot de français avant le tournage: ils ont donc dû apprendre leur rôle en phonétique. Sincèrement, ils ont bien travaillé et s'avèrent tout à fait crédibles. C'est l'un des atouts de La vie de bohème, dont la qualité première reste sans doute d'apporter de la poésie à un environnement glauque. La superbe photo noir et blanc y est pour quelque chose, bien sûr. Peut-être faut-il y voir un héritage tardif du réalisme poétique propre au cinéma français des années 30 (entre autres références affichées). C'est ainsi que, sans l'avoir trop anticipé, je me suis laissé émouvoir. N'oublions pas qu'ici, quelque chose parle également... de notre pays !

La vie de bohème
Film franco-finlandais d'Aki Kaurismäki (1992)

J'ai d'autres opus du cinéaste en vue, mais celui-là était déjà réussi ! Il m'a rappelé le premier que j'ai vu en salle: Le Havre (en couleurs). Leningrad Cowboys go America, que j'avais également découvert avec mon association ? C'est une autre veine, mais très bien aussi. Avec sa fibre sociale, Ken Loach n'est pas loin, sans être aussi rieur. Vous pouvez vous mesurer à Looking for Eric ou à La part des anges.

2 commentaires:

eeguab a dit…

Bonjour Martin. J'ai vu une bonne moitié de la filmo de A.K.2 (le premier étant le plus célèbre metteur en scène japonais😊). J'aime le climat de ses images, surréalisme, hommage aux films noirs, au rock, aux zones portuaires, aux cheveux mal peignés, et aux verres de solitude. Toute une poésie. Quelques titres, J'ai engagé un tueur, La fille aux allumettes, Ariel, Hamlet goes business. Et le rock finlandasi des Leningrad Cowboys, c'est quelque chose. Bon dimanche Martin.

Martin a dit…

Merci, Eeguab: il me semble que cet A.K. est (un peu) moins connu que l'autre.
J'aime beaucoup ces films, moi aussi, et me pencherai tôt ou tard sur tes suggestions.

Tout ce que tu dis me paraît très juste et je suis heureux de cette affection partagée pour le cinéaste !