J'ai hésité à titrer cette chronique "Des vers en solitaire". Si j'ai finalement opté pour autre chose, c'est parce que j'ai trouvé le jeu de mots initialement prévu un peu minable et pas adapté au film dont je voulais vous parler aujourd'hui. Poetry mérite mieux, disons. Au rayon des drames qui devraient laisser une empreinte importante dans ma mémoire, cet autre film d'Asie figure parmi les meilleurs. Notez que je ne suis pas le seul à en penser du bien: les jurés cannois lui ont décerné cette année le Prix du scénario. Par souci d'honnêteté, j'ajoute que certains professionnels de la profession considèrent qu'il s'agit là d'une simple consolante. Sans entrer ce soir dans la polémique, je vais justement vous dire deux ou trois mots sur l'intrigue. Mija, l'héroïne de cette histoire, est une dame d'un âge certain, la soixantaine avancée. Elle travaille comme aide-soignante auprès d'un vieil homme grabataire. Elle occupe parfois son temps libre en suivant des cours de poésie. Ses moments de liberté restent d'autant plus rares qu'elle doit aussi s'occuper de son petit-fils, Wook, un adolescent boutonneux pas franchement reconnaissant. Difficile, la situation devient presque intenable quand Mija découvre que le jeune homme s'est rendu complice de viol sur la personne d'une camarade de classe, laquelle s'est d'ailleurs suicidée...
Bien évidemment, présenté ainsi, le film ne risque pas de susciter l'intérêt du grand public. Si mes sources sont bonnes, il n'aurait d'ailleurs attiré qu'un peu plus de 112.000 spectateurs. C'est très peu et c'est injuste. Poetry est un petit bijou, et ce à plus d'un titre. Sans surprise, c'est d'abord à cette vieille dame que l'on s'attache. Pas vraiment gâtée par la vie, un peu dans le déni d'une réalité probablement trop dure à encaisser, Mija est aussi d'une dignité formidable. J'étais curieux de voir comment le long-métrage parlerait de la maladie d'Alzheimer, diagnostiquée chez son personnage principal. En fait, il le fait avec beaucoup de pudeur et je dirais même de discrétion: si la nouvelle tombe très tôt, elle ne reste jamais qu'une menace sous-jacente, finalement comme en filigrane de toutes les autres mauvaises choses qui arrivent à Mija. Il est alors incroyable de constater que l'option que suit le réalisateur n'est pas celle de la pitié. Le récit de cette existence n'est jamais larmoyant, ni vraiment pathétique. Le temps passe, la vie continue. Confrontée à l'adversité, l'attitude adoptée par Mija est la recherche (solitaire) de solutions, beaucoup plus que l'apitoiement et le repli sur soi. Toute cinématographique soit-elle, c'est une leçon qu'on peut aimer retenir pour mieux endurer ses petits bleus à l'âme personnels.
Cela étant dit, l'intérêt de Poetry va au-delà. Comme tout film étranger venu de loin, il ouvre notre regard sur autre chose, apportant du même coup une fraîcheur dont sont dépourvues nombre des habituelles productions à l'affiche de nos cinémas. Oui, une fois encore, en sortant de la salle obscure, j'étais ravi d'avoir découvert un nouveau réalisateur et d'avoir ajouté un élément à ma collection de souvenirs artistiques d'Asie. La chance veut qu'une amie à moi vienne justement de m'offrir dix films coréens - la plupart extrêmement récents. Je ne sais pas si j'y retrouverai d'emblée Jeong-hee Yoon, l'actrice principale de cette touchante production. C'est peut-être l'autre défi qui m'attend: retenir progressivement quelques noms de comédiens et avoir petit à petit une idée précise du contenu de leur filmographie. En attendant, je fais de ce film-là une excellente entrée en matière pour qui s'intéresserait à ce cinéma venu d'ailleurs. Je n'ai pas vu passer les deux heures et quelques, durée du long-métrage: c'est évidemment bon signe. Vous imaginez bien que je ne vais pas vous dire comment tout cela se termine. J'indiquerai juste à l'attention des plus curieux que la fin laisse planer un certain mystère quant à ce qu'il advient exactement de Mija. Point d'ancrage, toutefois: vous saurez ce qu'elle parvient à faire dans le domaine de la poésie. Et, poésie toujours, je parierais presque que vous trouverez que le dénouement n'en manque pas. Maintenant, tout cela est très personnel: c'est à vous de voir...
Poetry
Film sud-coréen de Lee Chang-dong (2010)
Mon smiley fait une drôle de tête. Il peine à sourire de cette histoire assez poignante. Beaucoup de bonnes choses, mais pas tellement l'occasion de se marrer. Le raffinement asiatique dans l'expression des sentiments joue à plein pour la réussite de ce projet ambitieux. Si vous avez aimé le résultat, je ne saurais trop vous recommander de voir ou revoir le magnifique Voyage à Tokyo. Japonaise, placée dans un autre contexte dramatique et historique, l'oeuvre du maître Yasujiro Ozu illustre la destinée d'un vieux couple et parle elle aussi avec pudeur de la difficulté de communication entre les générations.
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