Propos recueillis par Martin
Permettez-moi, amis lecteurs, de faire en ce jour une petite entorse à la règle tacite qui veut que chaque message de ce blog corresponde à une actualité de ma vie de cinéphile. Je crois possible d'imaginer que vous ne le regretterez pas. Si ma chronique est un peu datée, elle ne me paraît pas périmée pour autant et elle vous permettra donc de mieux connaître le travail d'un cinéaste déjà évoqué ici, Jacques Cluzaud, le co-réalisateur - avec Monsieur Jacques Perrin - du somptueux Océans. J'ai fait cette interview que je présente ici. C'était pour parution dans un magazine, en novembre 2009. Hissez avec nous la grand-voile: ma plume virtuelle remonte le temps...
En étudiant votre parcours, on constate que vous connaissiez Jacques Perrin avant ce film, pour avoir collaboré sur Le peuple migrateur. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
La première fois remonte à 1986. Jacques produisait une série de films intitulée Médecins du monde. Plusieurs réalisateurs de cinéma y ont participé et, parmi eux, Alain Corneau, dont j'étais le premier assistant. Ensuite, nous nous sommes à nouveau croisés quand il produisait un film sur le Vietnam. Je terminais alors ma carrière d'assistant sur Indochine, le film de Régis Wargnier. Le peuple migrateur a finalement été tourné courant 1999. Et donc treize ans après que nous avons fait connaissance...
Océans s'inscrit-il dans la lignée de ce précédent film ?
Pas vraiment. Certes, il s'inscrit dans une série de films naturalistes que, depuis Le peuple singe, Jacques a produits en parallèle avec toutes ses oeuvres de fiction. Dans cette série, il y a Microcosmos, Himalaya aussi, d'une certaine façon, et donc Le peuple migrateur. Cela dit, Océans comporte un certain nombre d'éléments qui en font autre chose qu'un film naturaliste.
Lesquels, par exemple ?
D'abord, il ne s'agit pas d'un film complètement animalier. Il montre l'océan dans tous ses états, avec les créatures marines, mais également la force des éléments, la vision des satellites, celle des explorateurs, les massacres commis en mer... beaucoup d'aspects différents. Il y a aussi une forme particulière, avec des personnages, qu'interprètent Jacques et son fils Lancelot. Notre idée, c'est de partir de cet enfant qui demanderait ce qu'est l'océan et de le lui raconter, non pas à partir d'un texte et d'explications, mais avec des images et des sons créant une émotion directe. Il y a quelque chose d'incarné: le personnage joué par Jacques évoque ce qui s'est passé durant la durée de sa vie. L'enfant, lui, reçoit cette planète détériorée, mais attention: le propos est loin d'être désespéré !
Un mot sur Monaco. Le film y a été présenté et la Fondation Albert II figure parmi vos partenaires. Pourquoi ?
C'est là un aspect de production: Jacques répondrait mieux que moi. À ma connaissance, le contact a d'abord été établi par un biais scientifique. Avant la projection d'Océans à Monaco, on a pu découvrir un autre film sur les actions de la Fondation. Ce qui m'a alors frappé, c'est de constater que nos problématiques sont extrêmement proches.
Deux années de mise en place, quatre de tournage: on imagine qu'Océans a aussi été un grand défi technologique...
Tout part en effet d'une longue préparation pour appréhender le sujet et savoir dans quelle direction aller, forts de très nombreux contacts auprès des scientifiques et d'une abondante documentation. Il y a aussi un travail d'élaboration d'un guide scénaristique dont, au final, le film est très proche. Ensuite, l'importance de faire sentir la nature dans toute sa magnificence s'avère aussi nécessaire pour faire réagir à l'agression qui lui est faite. Nous voulions devenir poissons parmi les poissons: c'est en ce sens que l'on a fait usage des moyens techniques. L'idée: de manière sensible et sans parole, pouvoir comprendre ce qui se passe, en adoptant le point de vue de la mer.
Vous présentez comme une contrainte le fait de vouloir faire un film de cinéma. La différence avec la télévision tient-elle à la qualité des images ?
Je ne pense pas. La télé fait des images absolument époustouflantes. La différence avec le cinéma, c'est qu'en quatre ans de tournage, on a le temps d'aller au bout de ce qu'on cherche à faire. Après, on n'y arrive pas forcément, mais le temps nous permet de découvrir des choses inattendues. Par rapport à certaines contraintes de télévision, on peut se déconnecter d'une certaine approche documentaire: on va chercher à toucher les gens directement, à non plus seulement leur faire voir des espèces, mais à leur faire ressentir des émotions. Et ça existe ! Après y avoir passé beaucoup de temps, on voit bien quand un poisson est stressé, agressif ou sûr de lui. Deuxième aspect: on travaille aussi pour une image plus grande, avec également une forte attention portée au son. Ce côté "grand spectacle" d'Océans, c'est très certainement en salle, sur un grand écran et avec une bonne sonorisation, qu'on peut au mieux le percevoir.
Le cinéma s'impose donc...
Le film est fait pour ça ! Même si nos rushs nous permettront également de produire une série pour la télévision, avec un angle d'attaque différent. Tout dépend en fait de la manière dont on veut parler au spectateur. Plutôt qu'à sa compréhension des choses, on a décidé ici d'en appeler à une approche plus émotionnelle.
Une telle démarche doit supposer son lot d'imprévus...
En effet. La nature est généreuse, mais ne présentera pas des milliers de fois des choses exceptionnelles. Rares sont les moments où l'eau est assez claire et le plongeur assez proche pour manger une baleine bleue en train de manger un nuage de krill. En fait, quand la nature donne, il faut être prêt à recevoir.
Dans un tel tournage, existe-t-il des moments de doute, voire de découragement ?
Non, parce que ce n'est pas un marathon, mais un sprint ! Un film comme celui-là, c'est 50 lieux dans le monde et 75 équipes. Ce qui est terrible, c'est d'aller à un endroit et que rien ne se passe, ou bien alors dans des conditions ne permettant pas de filmer. On a dû retourner trois fois en Arctique, par exemple. À chaque fois, il a fallu monter un camp et attendre un rendez-vous difficile avec les bélougas, les ours et les morses. En sous-marin, si l'eau est trouble, on ne voit rien, même si les espèces sont à deux mètres. Entre la fonte des glaces et l'arrivée des animaux, si on ne respecte pas le timing, ça ne marche pas.
À l'inverse, des moments vous ont-ils marqué plus que d'autres ?
C'est plutôt l'ensemble qui est assez phénoménal, en fait, et ce d'autant qu'on en sort à peine. On était encore en montage il y a peu. Avant même la fin du tournage, il y a cette phase d'immersion totale dans 480 heures de rushs. Sur le plan personnel, pour avoir pu participer à un grand nombre de tournages, je garde en mémoire des endroits comme l'Arctique, particulièrement la dernière année, où nous avons rejoint un sanctuaire que les Inuits découvraient eux aussi. On a pu voir que la nature allait bien là où on la laisse en paix. Je dirai la même chose des Galapagos, où ont été tournées des scènes d'otaries et d'iguanes, là où un scientifique débarque à peine une fois tous les vingt ans. Ce sont des lieux rares et magiques !
Vous parliez d'espoir. Aviez-vous la volonté de montrer qu'il est possible de sauver la Terre ?
Tout à fait. Ce que ne fait pas le film, c'est de proposer des solutions. Il montre la beauté de la nature, telle qu'elle a toujours été. Il illustre également l'agression qu'elle a pu subir le temps d'une vie humaine. Il n'y a pas de didactisme: on cherche d'abord et surtout à faire ressentir. Un enfant peut saisir ce qui se passe en voyant une otarie nager au fond d'une mer polluée. Pas besoin d'aller beaucoup plus loin pour que le premier message passe. Ensuite, il y a les réflexions du narrateur, portées par une voix très parcimonieuse. Au final, le message d'espoir, c'est que jamais la volonté de protéger n'a été aussi forte qu'aujourd'hui.
Et maintenant ? Auriez-vous envie de revenir à la fiction ?
Absolument. Jacques et moi venons de réunir deux familles de cinéma. Le fait même que nous ne soyons pas des spécialistes du monde animalier implique que nous sommes proches des codes du cinéma classique. C'est justement ce qui fait que, dans le film, une bataille entre une crevette et un crabe peut être découpée comme une séquence de kung-fu. Sur le plan formel, on a en fait pu utiliser toutes les armes du cinéma pour dépasser le simplement documentaire.
Avec Océans, peut-on alors parler de cinéma ultime ?
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est qu'on a fait le film qu'on avait envie de voir et de présenter.
En étudiant votre parcours, on constate que vous connaissiez Jacques Perrin avant ce film, pour avoir collaboré sur Le peuple migrateur. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
La première fois remonte à 1986. Jacques produisait une série de films intitulée Médecins du monde. Plusieurs réalisateurs de cinéma y ont participé et, parmi eux, Alain Corneau, dont j'étais le premier assistant. Ensuite, nous nous sommes à nouveau croisés quand il produisait un film sur le Vietnam. Je terminais alors ma carrière d'assistant sur Indochine, le film de Régis Wargnier. Le peuple migrateur a finalement été tourné courant 1999. Et donc treize ans après que nous avons fait connaissance...
Océans s'inscrit-il dans la lignée de ce précédent film ?
Pas vraiment. Certes, il s'inscrit dans une série de films naturalistes que, depuis Le peuple singe, Jacques a produits en parallèle avec toutes ses oeuvres de fiction. Dans cette série, il y a Microcosmos, Himalaya aussi, d'une certaine façon, et donc Le peuple migrateur. Cela dit, Océans comporte un certain nombre d'éléments qui en font autre chose qu'un film naturaliste.
Lesquels, par exemple ?
D'abord, il ne s'agit pas d'un film complètement animalier. Il montre l'océan dans tous ses états, avec les créatures marines, mais également la force des éléments, la vision des satellites, celle des explorateurs, les massacres commis en mer... beaucoup d'aspects différents. Il y a aussi une forme particulière, avec des personnages, qu'interprètent Jacques et son fils Lancelot. Notre idée, c'est de partir de cet enfant qui demanderait ce qu'est l'océan et de le lui raconter, non pas à partir d'un texte et d'explications, mais avec des images et des sons créant une émotion directe. Il y a quelque chose d'incarné: le personnage joué par Jacques évoque ce qui s'est passé durant la durée de sa vie. L'enfant, lui, reçoit cette planète détériorée, mais attention: le propos est loin d'être désespéré !
Un mot sur Monaco. Le film y a été présenté et la Fondation Albert II figure parmi vos partenaires. Pourquoi ?
C'est là un aspect de production: Jacques répondrait mieux que moi. À ma connaissance, le contact a d'abord été établi par un biais scientifique. Avant la projection d'Océans à Monaco, on a pu découvrir un autre film sur les actions de la Fondation. Ce qui m'a alors frappé, c'est de constater que nos problématiques sont extrêmement proches.
Deux années de mise en place, quatre de tournage: on imagine qu'Océans a aussi été un grand défi technologique...
Tout part en effet d'une longue préparation pour appréhender le sujet et savoir dans quelle direction aller, forts de très nombreux contacts auprès des scientifiques et d'une abondante documentation. Il y a aussi un travail d'élaboration d'un guide scénaristique dont, au final, le film est très proche. Ensuite, l'importance de faire sentir la nature dans toute sa magnificence s'avère aussi nécessaire pour faire réagir à l'agression qui lui est faite. Nous voulions devenir poissons parmi les poissons: c'est en ce sens que l'on a fait usage des moyens techniques. L'idée: de manière sensible et sans parole, pouvoir comprendre ce qui se passe, en adoptant le point de vue de la mer.
Vous présentez comme une contrainte le fait de vouloir faire un film de cinéma. La différence avec la télévision tient-elle à la qualité des images ?
Je ne pense pas. La télé fait des images absolument époustouflantes. La différence avec le cinéma, c'est qu'en quatre ans de tournage, on a le temps d'aller au bout de ce qu'on cherche à faire. Après, on n'y arrive pas forcément, mais le temps nous permet de découvrir des choses inattendues. Par rapport à certaines contraintes de télévision, on peut se déconnecter d'une certaine approche documentaire: on va chercher à toucher les gens directement, à non plus seulement leur faire voir des espèces, mais à leur faire ressentir des émotions. Et ça existe ! Après y avoir passé beaucoup de temps, on voit bien quand un poisson est stressé, agressif ou sûr de lui. Deuxième aspect: on travaille aussi pour une image plus grande, avec également une forte attention portée au son. Ce côté "grand spectacle" d'Océans, c'est très certainement en salle, sur un grand écran et avec une bonne sonorisation, qu'on peut au mieux le percevoir.
Le cinéma s'impose donc...
Le film est fait pour ça ! Même si nos rushs nous permettront également de produire une série pour la télévision, avec un angle d'attaque différent. Tout dépend en fait de la manière dont on veut parler au spectateur. Plutôt qu'à sa compréhension des choses, on a décidé ici d'en appeler à une approche plus émotionnelle.
Une telle démarche doit supposer son lot d'imprévus...
En effet. La nature est généreuse, mais ne présentera pas des milliers de fois des choses exceptionnelles. Rares sont les moments où l'eau est assez claire et le plongeur assez proche pour manger une baleine bleue en train de manger un nuage de krill. En fait, quand la nature donne, il faut être prêt à recevoir.
Dans un tel tournage, existe-t-il des moments de doute, voire de découragement ?
Non, parce que ce n'est pas un marathon, mais un sprint ! Un film comme celui-là, c'est 50 lieux dans le monde et 75 équipes. Ce qui est terrible, c'est d'aller à un endroit et que rien ne se passe, ou bien alors dans des conditions ne permettant pas de filmer. On a dû retourner trois fois en Arctique, par exemple. À chaque fois, il a fallu monter un camp et attendre un rendez-vous difficile avec les bélougas, les ours et les morses. En sous-marin, si l'eau est trouble, on ne voit rien, même si les espèces sont à deux mètres. Entre la fonte des glaces et l'arrivée des animaux, si on ne respecte pas le timing, ça ne marche pas.
À l'inverse, des moments vous ont-ils marqué plus que d'autres ?
C'est plutôt l'ensemble qui est assez phénoménal, en fait, et ce d'autant qu'on en sort à peine. On était encore en montage il y a peu. Avant même la fin du tournage, il y a cette phase d'immersion totale dans 480 heures de rushs. Sur le plan personnel, pour avoir pu participer à un grand nombre de tournages, je garde en mémoire des endroits comme l'Arctique, particulièrement la dernière année, où nous avons rejoint un sanctuaire que les Inuits découvraient eux aussi. On a pu voir que la nature allait bien là où on la laisse en paix. Je dirai la même chose des Galapagos, où ont été tournées des scènes d'otaries et d'iguanes, là où un scientifique débarque à peine une fois tous les vingt ans. Ce sont des lieux rares et magiques !
Vous parliez d'espoir. Aviez-vous la volonté de montrer qu'il est possible de sauver la Terre ?
Tout à fait. Ce que ne fait pas le film, c'est de proposer des solutions. Il montre la beauté de la nature, telle qu'elle a toujours été. Il illustre également l'agression qu'elle a pu subir le temps d'une vie humaine. Il n'y a pas de didactisme: on cherche d'abord et surtout à faire ressentir. Un enfant peut saisir ce qui se passe en voyant une otarie nager au fond d'une mer polluée. Pas besoin d'aller beaucoup plus loin pour que le premier message passe. Ensuite, il y a les réflexions du narrateur, portées par une voix très parcimonieuse. Au final, le message d'espoir, c'est que jamais la volonté de protéger n'a été aussi forte qu'aujourd'hui.
Et maintenant ? Auriez-vous envie de revenir à la fiction ?
Absolument. Jacques et moi venons de réunir deux familles de cinéma. Le fait même que nous ne soyons pas des spécialistes du monde animalier implique que nous sommes proches des codes du cinéma classique. C'est justement ce qui fait que, dans le film, une bataille entre une crevette et un crabe peut être découpée comme une séquence de kung-fu. Sur le plan formel, on a en fait pu utiliser toutes les armes du cinéma pour dépasser le simplement documentaire.
Avec Océans, peut-on alors parler de cinéma ultime ?
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, c'est qu'on a fait le film qu'on avait envie de voir et de présenter.
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