Un privilège ! Ou à tout le moins un vrai bon gros coup de chance ! Mardi dernier, mon travail m'a offert l'occasion d'une rencontre informelle avec Gilles Jacob, critique cinéma dans les années 60-70 et actuel président... du Festival de Cannes. Venu à Monaco apporter une contribution à une exposition collective d'artistes du monde entier, il a présenté avec une modestie touchante une petite partie de ses propres images du Festival, à découvrir au fil de l'échange. Seul le portrait est de moi. Mes remerciements à Axelle, avec qui j'ai réalisé cette longue interview, et à Nathalie, qui l'a rendue possible. Merci enfin à Laurence, qui m'a permis de la réaliser et de la publier.
C'est la première fois que vous exposez en Principauté ?
Oui. Pas la première fois, mais la première fois à Monaco.
Comment cela s'est-il organisé ?
On me l'a demandé. Les photos que vous voyez rassemblées appartiennent à la ville de Cannes: je leur en ai fait don et suis ensuite intervenu pour qu'on les prête à Monaco. Il n'y a pas de raison qu'il y ait des rivalités méditerranéennes.
Et d'autant que Monaco et le cinéma, c'est une grande histoire...
Effectivement. Je parlais justement à l'instant avec l'un de vos confrères de la princesse Grace, sachant qu'un film se tourne sur elle. L'une de mes premières actions au Festival de Cannes aura été de l'accueillir pour l'hommage à Hitchcock. À la mort de ce dernier, nous avions fait un film de montage et elle est venue le voir. Il existe même une photo de moi la raccompagnant à sa voiture.
Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
Cette femme était belle, pas la peine de le dire, et en même temps, elle s'intéressait aux gens, ce qui est très rare. Bien souvent, en tant que star, on est déconnecté de la réalité. Elle, on voyait qu'elle avait en elle une certaine bonté, cet intérêt pour l'humain. Et ça n'arrive pas tous les jours...
Dans toute sa filmographie, y aurait-il un film que vous aimez particulièrement ? À Monaco, évidemment, on parle très souvent de La main au collet...
Je l'adore aussi ! La scène la plus connue au monde, c'est sûrement celle dans le couloir, quand elle embrasse Cary Grant et referme ensuite la porte. Il n'y a pas un cinéphile qui ne connaisse pas cette scène-là... ou alors, il lui faut tout réapprendre ! Elle a été obligée d'arrêter le cinéma: sa carrière s'est interrompue trop tôt. J'adore aussi Fenêtre sur cour. James Stewart avec la jambe dans le plâtre et elle qui va et vient, finissant par être menacée... très grand film ! Film sur la photographie d'ailleurs, avec ce héros immobilisé...
Et qui voit ce qu'il ne devrait pas forcément voir !
Exactement !
Et vous, alors ? D'où vous vient cet intérêt pour la photographie ?
Du fait d'abord que c'est un art voisin du cinéma. Quand les appareils numériques sont apparus, je me suis rendu compte à quel point ça pouvait être facile de faire de la photo. Ce qui m'intéresse, c'est de voler des photos, de voler l'instant... d'arriver à reconstituer une seconde de vie. Ça m'est égal que la photo soit floue, bougée ou pas bonne, pourvu qu'on arrive à capter un regard, quelque chose dans la rue ou n'importe quoi. J'appelle ça des photos volées comme Truffaut disait Baisers volés. S'il faut s'installer, poser... le sujet est parti. L'oiseau est un bon thème de photo parce qu'il s'envole. Si vous l'avez eu, c'est que vous avez été assez rapide. En magie, il existe d'ailleurs une feinte dite de l'oiseau. Je vous montre un oiseau, vous vous retournez pour le voir et c'est à ce moment-là que je peux faire ma manipulation. Le photographe doit utiliser cette feinte aussi.
Une sélection a-t-elle été faite dans les photos que vous exposez ? On y reconnaît beaucoup d'acteurs américains...
Cette sélection n'est pas de moi. Je dois faire 10-20% de photos avec Cannes et, le reste de l'année, d'autres photos du quotidien. C'est celles-là que j'aime ! Après, je ne vais pas dire: "Non, je ne montre pas les photos de Cannes". Elles sont à tout le monde ! Mon idée, c'est bien de donner les photos que je fais. À Cannes, cette année, j'ai par exemple "twitté" les photos du jury en cours de délibération. C'est la première fois que cela se faisait dans le monde. En donnant ça à Match ou à qui vous voulez, j'aurais pu faire un argent fou. Mais je me suis dit qu'il fallait plutôt le donner au public qui ne venait pas à Cannes. Après, les gens en font ce qu'ils veulent. Je tiens beaucoup à rendre au cinéma ce que le cinéma m'a donné. J'ai quand même été très privilégié. Alors j'essaye d'aider de jeunes gens, de former...
Et Cannes, ce ne sont pas que des stars hollywoodiennes...
Non. Et si vous allez voir les photos sur le côté, nous allons peut-être trouver un terrain d'entente...
Et si on vous demande si vous en avez une préférée ? Vous allez répondre non...
Celle que j'aime bien, c'est celle-là. Je fais beaucoup d'autoportraits et pour faire ça, il faut se mettre en grand danger. Monter en équilibre sur une baignoire dans une petite salle de bains et parvenir à viser. Ça n'a l'air de rien, mais pour être dans la glace, ce n'est pas évident ! J'en ai une autre, dans ce genre. Je m'amuse, parce que c'est difficile à réaliser... et ce sont bien mes seules photos posées ! Sinon, j'aime beaucoup les photos prises dans la rue. Je dis la rue comme ça peut être la campagne. Ce qui m'intéresse, c'est de retrouver la vie quotidienne d'une manière extrêmement simple. Après tout, les grands photographes de l'histoire, des années 30-40, c'est ce qu'ils faisaient. Pour moi, la plus belle photo du monde reste Le baiser de Doisneau. Bon, il paraît que ça a été reconstitué... mais je veux croire que non. D'ailleurs, dans mon Livre d'or, j'ai un couple sur la Croisette qui fait exactement Le baiser de Doisneau, qui s'embrasse peut-être pour la dernière fois. Il y a le goût de l'ailleurs avec le paquebot qui s'en va. Notre région s'y prête bien.
Les stars que vous photographiez voient d'autres photographes tous les jours. Vous avez, vous, un autre regard sur elles...
Mon privilège à moi, c'est que ces stars sont la locomotive qui tire les wagons que sont mes autres photos.
Les stars vous regardent aussi différemment, sans doute...
C'est vrai. Si vous prenez Sharon Stone, par exemple, son regard est à la fois étonné et amusé. C'est la première fois... et ça ne marche qu'une fois ! Sur cette photo, elle éclate de rire. Jamais elle n'aurait pu imaginer ça ! Une fois délivrées du grand mur de photographes, les stars ne s'attendent pas à ça... et surtout venant de moi !
On vous a déjà demandé ce que vous faisiez ?
Non, jamais. Après tout, il faut bien dire que les stars sont ici au maximum de leur beauté, habillées, coiffées... sur les marches de Cannes, elles ne viennent pas débraillées. Elles acceptent donc: ça fait partie du jeu. Elles savent aussi que mon regard à moi est bienveillant, amoureux, chaleureux... si la photo n'est pas bonne, je la jette. J'ai fait beaucoup d'autres photos dans la coulisse, mais je ne les montre pas. Là, il me faudrait des autorisations. Par exemple, si, au dernier moment, on rajuste les cheveux d'une comédienne qui va remettre un prix, elle n'aura pas forcément envie de le montrer. Et en même temps, c'est passionnant... j'espère donc qu'un jour, elles accepteront ! C'est aussi une façon de montrer l'envers du décor.
Invité par vous, Andrzej Wajda était venu à Cannes en 1978. C'était alors une vraie performance ! Est-ce, paradoxalement, plus compliqué aujourd'hui d'accueillir des stars pour lesquelles, théoriquement, les difficultés devraient être moindres ?
C'est vrai qu'aujourd'hui, les stars font le service après vente convenu avec leur société de production, qui paye le voyage, le séjour... avec leurs agents et leurs gardes du corps. Elles acceptent peu de choses: photo-call, montée des marches, une demi-journée presse française, une demi-journée presse internationale. Point final. Le deal est respecté par les deux parties, mais c'est l'usine ! Huit ou dix journalistes à la fois, pas plus de six minutes par session. Beaucoup de journalistes refusent, d'ailleurs. À une époque révolue, les acteurs allaient du Carlton au Palais des festivals en se promenant, en disant bonjour aux gens. C'est fini, tout ça. Maintenant, ils sont dans des voitures fermées aux vitres teintées. Ce n'est pas lié à Cannes, mais dans leur tête, il y a un sentiment d'insécurité: ils se demandent ce qui va leur arriver. C'est dommage.
Certains, moins connus, sont peut-être un peu plus décontractés...
Oui, avec ceux-là, pas de problème. Sauf que, pour les journalistes, ils ne comptent pas ! Ils aimeraient bien qu'on les interviewe également, tous ces cinéastes des sections parallèles. Je ne dis pas que ce n'est pas le cas, mais il y a quand même moins de monde. Tout ce qui est magazine ou télé ne s'intéresse qu'aux people, alors que ce qui nous intéresse, nous, c'est la promotion du cinéma...
Effectivement, Apichatpong Weerasetakhul, ce n'est pas vraiment un people...
Voilà ! Rien que taper son nom, c'est déjà une expérience ! Que voulez-vous ? Il faut vivre avec son temps. Il y a d'autres avantages. Ainsi, aujourd'hui, d'une diffusion du cinéma dans le monde entier qui n'existait pas autrefois.
Parmi les nombreux artistes qui exposent avec vous, on retrouve Robert Redford. Or, l'un de ses derniers films - La conspiration - n'est pas sorti dans les cinémas français. Faut-il que le Festival aide des gens comme Robert Redford... aussi ?
Je l'ignore, mais probablement avez-vous raison. On a montré son travail, déjà. Je dois dire que, quand Redford est venu à Cannes pour la première fois, j'étais assis avec lui, sur la plage. Il défendait un film de Sydney Pollack, Jeremiah Johnson. Je vous parle du début des années 70. À table, il y avait Pollack au milieu, tous les journalistes autour de lui et, au bout, Redford qui s'embêtait. À ce moment-là, c'était juste un bon acteur... pas encore Robert Redford.
Il faut du temps pour le devenir...
Oui. Il faut du temps. Absolument.
Et un peu de talent aussi, peut-être ?
Oui, bien sûr ! Ces gens, s'ils n'ont pas de talent, ils ne restent pas.
L'avenir du cinéma, vous le voyez comment ? Que pensez-vous notamment de la 3D et de toutes ces nouvelles technologies ?
Ça ne m'intéresse pas beaucoup, la technique pour la technique. C'est très bien d'arriver à reconstituer tous les éléphants de l'Antiquité pour moins cher, mais moi, j'aime le cinéma qui touche les gens. Et pour ça, il faut faire ce que j'appelle du cinéma "about people". Tous les sentiments humains m'intéressent plus que des légions en train de charger. Cela dit, le cinéma est un patchwork et nous sommes là pour le montrer en train d'évoluer, pour être en avance sur l'écriture cinématographique. La 3D devient incontournable, mais prenez un film comme celui de Doillon, La drôlesse, avec deux personnages dans un grenier pendant une heure et demie... pas besoin de 3D !
Un petit mot sur le prochain Festival de Cannes ?
Ah, la question incontournable ! Tout le monde est déjà au travail. Pas d'éléments nouveaux, toutefois, parce qu'on est vraiment encore au début. Il faut à peu près treize mois pour un film international entre le moment où son tournage commence et celui où on sait s'il viendra à Cannes. Les films du prochain Festival sont donc soit en fin de tournage, soit en début de montage. Ce n'est pas un scoop...
Peut-être pas, mais c'est intéressant quand même...
Vous savez, à la limite, aujourd'hui, on découvre presque la sélection en lisant vos confrères qui, des mois à l'avance, nous expliquent comment ça va être. Il y a certains films incontournables, bien entendu. Il n'est très pas compliqué de deviner qu'on va forcément s'intéresser à un nouveau film de Scorsese, de Tarantino ou autre...
Ou de Malick !
Par exemple, oui. On arrive ainsi à avoir des listes de 60 à 80 noms. Dans le tas, on en retient forcément quelques-uns. On peut trouver une sélection quelque huit mois à l'avance...
À propos de Malick... vous avez vu son dernier film ?
Non, pas encore.
Il est allé vite, cette fois, après The tree of life...
Effectivement, il accélère... et il a raison. Laisser passer sept ans entre deux films, c'était bon pour Kubrick. Moi, je ne suis pas pour. La vie est courte !
Kubrick, je crois savoir que c'est d'ailleurs l'un de vos regrets. N'être pas parvenu à l'accueillir à Cannes...
Effectivement ! Cela ne s'est jamais fait, mais j'ai tout essayé. Bon. D'abord, il ne prenait pas l'avion. Le tunnel sous la Manche n'existait pas encore. Et puis, les studios étaient réticents ! Kubrick, c'était quand même le seul à faire des films sans les montrer aux studios. J'ai d'ailleurs raconté dans mon livre La vie passera comme un rêve comment il roulait les patrons de studios américains. Très drôle !
J'aimerais terminer avec vos coups de coeur cinématographiques du moment. Des films vous ont-ils particulièrement plu dernièrement ? Certains vous ont-ils procuré un frisson ?
Je regarde des films tous les jours, mais ce ne sont peut-être pas ceux que vous allez regarder. J'en regarde que j'ai envie de revoir...
De revoir ?
Bien sûr, j'en vois aussi par nécessité professionnelle, mais il n'y a pas longtemps, j'ai revu Pépé le Moko, par exemple. Je voulais revoir Mireille Balin. J'écris actuellement un livre où on parle d'elle. Quand vous commencez un film comme ça, c'est dur de le lâcher !
C'est la première fois que vous exposez en Principauté ?
Oui. Pas la première fois, mais la première fois à Monaco.
Comment cela s'est-il organisé ?
On me l'a demandé. Les photos que vous voyez rassemblées appartiennent à la ville de Cannes: je leur en ai fait don et suis ensuite intervenu pour qu'on les prête à Monaco. Il n'y a pas de raison qu'il y ait des rivalités méditerranéennes.
Et d'autant que Monaco et le cinéma, c'est une grande histoire...
Effectivement. Je parlais justement à l'instant avec l'un de vos confrères de la princesse Grace, sachant qu'un film se tourne sur elle. L'une de mes premières actions au Festival de Cannes aura été de l'accueillir pour l'hommage à Hitchcock. À la mort de ce dernier, nous avions fait un film de montage et elle est venue le voir. Il existe même une photo de moi la raccompagnant à sa voiture.
Quel souvenir gardez-vous de cette rencontre ?
Cette femme était belle, pas la peine de le dire, et en même temps, elle s'intéressait aux gens, ce qui est très rare. Bien souvent, en tant que star, on est déconnecté de la réalité. Elle, on voyait qu'elle avait en elle une certaine bonté, cet intérêt pour l'humain. Et ça n'arrive pas tous les jours...
Dans toute sa filmographie, y aurait-il un film que vous aimez particulièrement ? À Monaco, évidemment, on parle très souvent de La main au collet...
Je l'adore aussi ! La scène la plus connue au monde, c'est sûrement celle dans le couloir, quand elle embrasse Cary Grant et referme ensuite la porte. Il n'y a pas un cinéphile qui ne connaisse pas cette scène-là... ou alors, il lui faut tout réapprendre ! Elle a été obligée d'arrêter le cinéma: sa carrière s'est interrompue trop tôt. J'adore aussi Fenêtre sur cour. James Stewart avec la jambe dans le plâtre et elle qui va et vient, finissant par être menacée... très grand film ! Film sur la photographie d'ailleurs, avec ce héros immobilisé...
Et qui voit ce qu'il ne devrait pas forcément voir !
Exactement !
Et vous, alors ? D'où vous vient cet intérêt pour la photographie ?
Du fait d'abord que c'est un art voisin du cinéma. Quand les appareils numériques sont apparus, je me suis rendu compte à quel point ça pouvait être facile de faire de la photo. Ce qui m'intéresse, c'est de voler des photos, de voler l'instant... d'arriver à reconstituer une seconde de vie. Ça m'est égal que la photo soit floue, bougée ou pas bonne, pourvu qu'on arrive à capter un regard, quelque chose dans la rue ou n'importe quoi. J'appelle ça des photos volées comme Truffaut disait Baisers volés. S'il faut s'installer, poser... le sujet est parti. L'oiseau est un bon thème de photo parce qu'il s'envole. Si vous l'avez eu, c'est que vous avez été assez rapide. En magie, il existe d'ailleurs une feinte dite de l'oiseau. Je vous montre un oiseau, vous vous retournez pour le voir et c'est à ce moment-là que je peux faire ma manipulation. Le photographe doit utiliser cette feinte aussi.
Une sélection a-t-elle été faite dans les photos que vous exposez ? On y reconnaît beaucoup d'acteurs américains...
Cette sélection n'est pas de moi. Je dois faire 10-20% de photos avec Cannes et, le reste de l'année, d'autres photos du quotidien. C'est celles-là que j'aime ! Après, je ne vais pas dire: "Non, je ne montre pas les photos de Cannes". Elles sont à tout le monde ! Mon idée, c'est bien de donner les photos que je fais. À Cannes, cette année, j'ai par exemple "twitté" les photos du jury en cours de délibération. C'est la première fois que cela se faisait dans le monde. En donnant ça à Match ou à qui vous voulez, j'aurais pu faire un argent fou. Mais je me suis dit qu'il fallait plutôt le donner au public qui ne venait pas à Cannes. Après, les gens en font ce qu'ils veulent. Je tiens beaucoup à rendre au cinéma ce que le cinéma m'a donné. J'ai quand même été très privilégié. Alors j'essaye d'aider de jeunes gens, de former...
Et Cannes, ce ne sont pas que des stars hollywoodiennes...
Non. Et si vous allez voir les photos sur le côté, nous allons peut-être trouver un terrain d'entente...
Et si on vous demande si vous en avez une préférée ? Vous allez répondre non...
Celle que j'aime bien, c'est celle-là. Je fais beaucoup d'autoportraits et pour faire ça, il faut se mettre en grand danger. Monter en équilibre sur une baignoire dans une petite salle de bains et parvenir à viser. Ça n'a l'air de rien, mais pour être dans la glace, ce n'est pas évident ! J'en ai une autre, dans ce genre. Je m'amuse, parce que c'est difficile à réaliser... et ce sont bien mes seules photos posées ! Sinon, j'aime beaucoup les photos prises dans la rue. Je dis la rue comme ça peut être la campagne. Ce qui m'intéresse, c'est de retrouver la vie quotidienne d'une manière extrêmement simple. Après tout, les grands photographes de l'histoire, des années 30-40, c'est ce qu'ils faisaient. Pour moi, la plus belle photo du monde reste Le baiser de Doisneau. Bon, il paraît que ça a été reconstitué... mais je veux croire que non. D'ailleurs, dans mon Livre d'or, j'ai un couple sur la Croisette qui fait exactement Le baiser de Doisneau, qui s'embrasse peut-être pour la dernière fois. Il y a le goût de l'ailleurs avec le paquebot qui s'en va. Notre région s'y prête bien.
Les stars que vous photographiez voient d'autres photographes tous les jours. Vous avez, vous, un autre regard sur elles...
Mon privilège à moi, c'est que ces stars sont la locomotive qui tire les wagons que sont mes autres photos.
Les stars vous regardent aussi différemment, sans doute...
C'est vrai. Si vous prenez Sharon Stone, par exemple, son regard est à la fois étonné et amusé. C'est la première fois... et ça ne marche qu'une fois ! Sur cette photo, elle éclate de rire. Jamais elle n'aurait pu imaginer ça ! Une fois délivrées du grand mur de photographes, les stars ne s'attendent pas à ça... et surtout venant de moi !
On vous a déjà demandé ce que vous faisiez ?
Non, jamais. Après tout, il faut bien dire que les stars sont ici au maximum de leur beauté, habillées, coiffées... sur les marches de Cannes, elles ne viennent pas débraillées. Elles acceptent donc: ça fait partie du jeu. Elles savent aussi que mon regard à moi est bienveillant, amoureux, chaleureux... si la photo n'est pas bonne, je la jette. J'ai fait beaucoup d'autres photos dans la coulisse, mais je ne les montre pas. Là, il me faudrait des autorisations. Par exemple, si, au dernier moment, on rajuste les cheveux d'une comédienne qui va remettre un prix, elle n'aura pas forcément envie de le montrer. Et en même temps, c'est passionnant... j'espère donc qu'un jour, elles accepteront ! C'est aussi une façon de montrer l'envers du décor.
Invité par vous, Andrzej Wajda était venu à Cannes en 1978. C'était alors une vraie performance ! Est-ce, paradoxalement, plus compliqué aujourd'hui d'accueillir des stars pour lesquelles, théoriquement, les difficultés devraient être moindres ?
C'est vrai qu'aujourd'hui, les stars font le service après vente convenu avec leur société de production, qui paye le voyage, le séjour... avec leurs agents et leurs gardes du corps. Elles acceptent peu de choses: photo-call, montée des marches, une demi-journée presse française, une demi-journée presse internationale. Point final. Le deal est respecté par les deux parties, mais c'est l'usine ! Huit ou dix journalistes à la fois, pas plus de six minutes par session. Beaucoup de journalistes refusent, d'ailleurs. À une époque révolue, les acteurs allaient du Carlton au Palais des festivals en se promenant, en disant bonjour aux gens. C'est fini, tout ça. Maintenant, ils sont dans des voitures fermées aux vitres teintées. Ce n'est pas lié à Cannes, mais dans leur tête, il y a un sentiment d'insécurité: ils se demandent ce qui va leur arriver. C'est dommage.
Certains, moins connus, sont peut-être un peu plus décontractés...
Oui, avec ceux-là, pas de problème. Sauf que, pour les journalistes, ils ne comptent pas ! Ils aimeraient bien qu'on les interviewe également, tous ces cinéastes des sections parallèles. Je ne dis pas que ce n'est pas le cas, mais il y a quand même moins de monde. Tout ce qui est magazine ou télé ne s'intéresse qu'aux people, alors que ce qui nous intéresse, nous, c'est la promotion du cinéma...
Effectivement, Apichatpong Weerasetakhul, ce n'est pas vraiment un people...
Voilà ! Rien que taper son nom, c'est déjà une expérience ! Que voulez-vous ? Il faut vivre avec son temps. Il y a d'autres avantages. Ainsi, aujourd'hui, d'une diffusion du cinéma dans le monde entier qui n'existait pas autrefois.
Parmi les nombreux artistes qui exposent avec vous, on retrouve Robert Redford. Or, l'un de ses derniers films - La conspiration - n'est pas sorti dans les cinémas français. Faut-il que le Festival aide des gens comme Robert Redford... aussi ?
Je l'ignore, mais probablement avez-vous raison. On a montré son travail, déjà. Je dois dire que, quand Redford est venu à Cannes pour la première fois, j'étais assis avec lui, sur la plage. Il défendait un film de Sydney Pollack, Jeremiah Johnson. Je vous parle du début des années 70. À table, il y avait Pollack au milieu, tous les journalistes autour de lui et, au bout, Redford qui s'embêtait. À ce moment-là, c'était juste un bon acteur... pas encore Robert Redford.
Il faut du temps pour le devenir...
Oui. Il faut du temps. Absolument.
Et un peu de talent aussi, peut-être ?
Oui, bien sûr ! Ces gens, s'ils n'ont pas de talent, ils ne restent pas.
L'avenir du cinéma, vous le voyez comment ? Que pensez-vous notamment de la 3D et de toutes ces nouvelles technologies ?
Ça ne m'intéresse pas beaucoup, la technique pour la technique. C'est très bien d'arriver à reconstituer tous les éléphants de l'Antiquité pour moins cher, mais moi, j'aime le cinéma qui touche les gens. Et pour ça, il faut faire ce que j'appelle du cinéma "about people". Tous les sentiments humains m'intéressent plus que des légions en train de charger. Cela dit, le cinéma est un patchwork et nous sommes là pour le montrer en train d'évoluer, pour être en avance sur l'écriture cinématographique. La 3D devient incontournable, mais prenez un film comme celui de Doillon, La drôlesse, avec deux personnages dans un grenier pendant une heure et demie... pas besoin de 3D !
Un petit mot sur le prochain Festival de Cannes ?
Ah, la question incontournable ! Tout le monde est déjà au travail. Pas d'éléments nouveaux, toutefois, parce qu'on est vraiment encore au début. Il faut à peu près treize mois pour un film international entre le moment où son tournage commence et celui où on sait s'il viendra à Cannes. Les films du prochain Festival sont donc soit en fin de tournage, soit en début de montage. Ce n'est pas un scoop...
Peut-être pas, mais c'est intéressant quand même...
Vous savez, à la limite, aujourd'hui, on découvre presque la sélection en lisant vos confrères qui, des mois à l'avance, nous expliquent comment ça va être. Il y a certains films incontournables, bien entendu. Il n'est très pas compliqué de deviner qu'on va forcément s'intéresser à un nouveau film de Scorsese, de Tarantino ou autre...
Ou de Malick !
Par exemple, oui. On arrive ainsi à avoir des listes de 60 à 80 noms. Dans le tas, on en retient forcément quelques-uns. On peut trouver une sélection quelque huit mois à l'avance...
À propos de Malick... vous avez vu son dernier film ?
Non, pas encore.
Il est allé vite, cette fois, après The tree of life...
Effectivement, il accélère... et il a raison. Laisser passer sept ans entre deux films, c'était bon pour Kubrick. Moi, je ne suis pas pour. La vie est courte !
Kubrick, je crois savoir que c'est d'ailleurs l'un de vos regrets. N'être pas parvenu à l'accueillir à Cannes...
Effectivement ! Cela ne s'est jamais fait, mais j'ai tout essayé. Bon. D'abord, il ne prenait pas l'avion. Le tunnel sous la Manche n'existait pas encore. Et puis, les studios étaient réticents ! Kubrick, c'était quand même le seul à faire des films sans les montrer aux studios. J'ai d'ailleurs raconté dans mon livre La vie passera comme un rêve comment il roulait les patrons de studios américains. Très drôle !
J'aimerais terminer avec vos coups de coeur cinématographiques du moment. Des films vous ont-ils particulièrement plu dernièrement ? Certains vous ont-ils procuré un frisson ?
Je regarde des films tous les jours, mais ce ne sont peut-être pas ceux que vous allez regarder. J'en regarde que j'ai envie de revoir...
De revoir ?
Bien sûr, j'en vois aussi par nécessité professionnelle, mais il n'y a pas longtemps, j'ai revu Pépé le Moko, par exemple. Je voulais revoir Mireille Balin. J'écris actuellement un livre où on parle d'elle. Quand vous commencez un film comme ça, c'est dur de le lâcher !
2 commentaires:
Bien joué Martin ! Belle interview ;)
bravo pour cet interview!
Gilles Jacob a su insuffler un bel esprit au Festival de Cannes.
Je ne savais même pas qu'il était aussi photographe (et pourtant, j'ai lu son autobiographie "La vie passera comme un rêve")...
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