Une chronique de Martin
Attention, sujet sensible: "C'est dur d'être aimé par des cons" retrace le procès de Philippe Val contre plusieurs personnes morales s'affirmant représentatives de la communauté des croyants musulmans. Le point de départ de cette affaire est (assez) simple.
Au moment des faits, c'est-à-dire tout début 2006, Philippe Val occupe les fonctions de directeur de la publication du journal satirique Charlie Hebdo. Il est à ce titre juridiquement responsable de son contenu. La rédaction se sent solidaire d'un autre journal, danois, qui, quelques jours plus tôt, a publié une série de caricatures sur l'intégrisme islamique, après l'assassinat du cinéaste néerlandais Thomas Van Gogh, revendiqué par un homme se réclamant du Coran. Charlie Hebdo reprend deux de ces caricatures. Le périodique augmente son tirage habituel et fait sa Une avec un dessin de Cabu. Un homme barbu y pleure à chaudes larmes sous le titre "Mahomet débordé par les intégristes" et avec une bulle "C'est dur d'être aimé par des cons". Le numéro sera ensuite réédité à deux reprises.
Poursuivi au pénal, Philippe Val doit répondre du délit d'injure publique. C'est là que commence en fait pour moi la difficulté d'analyser le film. Il me semble en effet impossible d'occulter le fond du débat. Par principe favorable à une conception extensive de la liberté d'expression et par ailleurs républicain convaincu respectueux de l'autorité de la chose jugée, je constate que Philippe Val a été relaxé des faits qui lui étaient reprochés, le tribunal suivant en cela le réquisitoire du procureur. J'aimerais être sûr que cette décision met réellement fin à la polémique et aux passions qu'elle a suscitées.
Documentaire oblige, je n'ai pas grand-chose à dire sur l'aspect cinématographique du travail que signe ici Daniel Leconte. Globalement, je n'ai rien à lui reprocher, aucun effet facile, la parole donnée à beaucoup des protagonistes et un intervieweur qui parvient à se faire oublier. La chose qui me gêne, au plan éthique et humain, c'est que ce reportage ne montre pas que la justice, tout en refusant de sanctionner Charlie Hebdo, a pu admettre la réalité du sentiment d'humiliation de la communauté musulmane. "C'est dur d'être aimé par des cons" me semble donc un peu complaisant. Au-delà des faits et du procès, la grande cause de la liberté d'expression me paraissait digne d'être défendue avec un peu plus de nuance. J'admets toutefois que, face à une matière si sensible, il puisse y avoir d'autres visions de la vérité, dans un sens comme dans l'autre. Journaliste de terrain dans l'âme, sinon en pratique, citoyen français viscéralement attaché à la démocratie, je me dis aussi que la République peut s’enorgueillir de ne pas interdire la provocation sur les questions de religion. L'Islam ne saurait évidemment faire exception à ce principe.
"C'est dur d'être aimé par des cons"
Documentaire français de Daniel Leconte (2008)
Jugement de Salomon au niveau des étoiles: je laisse chacun placer le curseur de par et d'autre du milieu selon sa sensibilité. Je note aussi l'usage (prudent ?) des guillemets dans le titre du film, présenté au Festival de Cannes hors-compétition. Plus qu'un documentaire judiciaire sur une autre affaire médiatique, je vous recommande surtout des lectures complémentaires sur ce cas précis pour forger votre opinion. En exerçant ainsi une autre liberté: celle d'y réfléchir. J'ai un résumé de la décision du tribunal pour ceux que ça intéresse.
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