Une chronique de Martin
Il avait été prévu qu'on regarde deux films de Benoît Poelvoorde. Changement de programme: une soirée ciné organisée chez l'ami Philippe a finalement vu passer au premier rang ce qui devait n'être "que" le deuxième long-métrage visionné. Les convoyeurs attendent: sous ce titre mystérieux, formule rituelle issue du jargon des éleveurs de pigeons voyageurs, se cache un film compliqué.
Circonspect, j'ai posé une question en titre de ma chronique, question sans réponse définitive, d'ailleurs, plutôt née d'un ressenti que d'une analyse approfondie du septième art créé chez nos voisins.
Que je vous explique. Quand j'affirme que Les convoyeurs attendent est un film compliqué, je ne parle pas de ce qu'il raconte exactement: j'évoque ce qu'il donne à voir et d'abord son personnage principal. Roger, père de famille et journaliste localier d'un niveau intellectuel plus que discutable, ressasse sans arrêt sa frustration sociale en cherchant un moyen de s'en sortir. Et le moyen, ô miracle, il le trouve dans la lecture... du Livre des records. Roger apprend alors qu'une voiture est offerte à celui qui réussira à en battre un. Généreux à sa curieuse façon, il offre donc à son fils Michel un coach pour l'ouverture et la fermeture de portes, dans l'espoir qu'il devienne un champion du monde et cède sa récompense à la famille. Pathétique et incroyable, ce scénario s'avère franchement rugueux.
J'ai envie de parler d'humour noir, très noir, même, mais j'ai du mal pour dire si je trouve ça vraiment drôle. Disons qu'une fois encore, l'investissement affectif de Benoît Poelvoorde dans le projet emporte le morceau et suscite mon adhésion. Moins connue, à l'exception peut-être de Bouli Lanners, le reste du casting - et particulièrement les enfants - impressionne également. En dépassant l'absurdité même du propos, on se rend compte que, derrière ce vernis délirant, se cache un second niveau de lecture et ce que j'appellerai du respect de la dignité des petites gens. Avec l'aide d'un réalisateur qui est aussi son ami, Benoît Poelvoorde s'enfonce tour à tour dans le délire, la frustration, la colère et finalement l'apaisement. Je vois bien peu d'acteurs pour le remplacer sur une palette d'émotions aussi étendue. Le comédien est un peu, tour à tour, chacun de nous. Tellement vrai qu'il est bouleversant, à moins d'être profondément cynique ou blasé.
C'est ça, la Belgique, cet humour politesse du désespoir ? La vision me paraît un peu réductrice, mais toutefois assez sensée: il y a là quelque chose que je ne retrouve pas véritablement à l'identique dans d'autres écoles de cinéma, quelque chose qui suscite un rire grinçant et qui réconforte à la fois, un peu comme le cadeau vachard d'un ami proche. Le mieux est qu'ici, la photo du film correspond parfaitement à l'émotion qu'il a suscitée en moi. Je m'étais demandé pourquoi Benoît Mariage avait choisi de tourner en noir et blanc.
Sans avoir pu lui en parler, j'ai trouvé après coup que c'était une idée remarquable: l'absence de couleurs apporte une distance salutaire dans les passages d'émotions fortes et, dans les moments apaisés, fait marcher notre imagination pour recréer ce que nous connaissons à partir de cette demi-fiction. Même constat lié à la réalisation quant à certaines scènes visiblement tournées en studio, quand Roger enfourche sa mobylette et arrive sur le terrain de ses investigations sa petite fille derrière lui. Les convoyeurs attendent ne donnent pas du journalisme une idée très reluisante. M'y confronter m'a fait penser à l'émission Strip tease et aux débats que j'avais pu avoir quant à la pertinence de filmer les gens quand ils sont malheureux, pathétiques ou visiblement "à côté de la plaque". Le long-métrage que je vous présente aujourd'hui me semble au fond pouvoir reposer des interrogations fondamentales: ces gens sont-ils vraiment fous ? Faut-il les considérer idiots ou simplement différents ? Il me semble que les deux Benoît ont de la tendresse pour eux, peut-être d'ailleurs parce qu'ils se sentent assez proches d'eux. Sans m'avoir paru répondre à toutes les questions qu'il pose, le film m'a touché. J'ose croire qu'avec un peu de cran et d'ouverture d'esprit, il est accessible à tout le monde et laisse à chacun tirer ses propres conclusions. Rire et pleurer d'après son ressenti, ne serait-ce pas le but du cinéma ?
Les convoyeurs attendent
Film belge de Benoît Mariage (1999)
J'ai choisi de dire que le film était belge, parce que son réalisateur l'est, ainsi qu'au moins une bonne partie de sa distribution. Il faut toutefois admettre qu'il est aussi français et suisse, ses producteurs se répartissant sur ces trois nationalités. J'espère bien trouver d'autres occasions de mieux capter l'âme belge au cinéma, si tant est qu'elle existe réellement. En attendant, je vous renvoie à la rubrique Cinéma du monde pour d'autres longs-métrages de cette origine. Conseil parmi d'autres: il est assez intéressant de mesurer l'évolution du travail du duo Mariage/Poelvoorde en regardant Cowboy, sorti huit ans après son aîné de cinéma et qui lui fait souvent écho.
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