vendredi 26 mars 2021

Liaison fatale

Le nom de Gabrielle Russier vous est-il familier ? Cette jeune femme a défrayé la chronique en 1968 lorsque, professeure dans un lycée marseillais, elle a entretenu une liaison avec l'un de ses élèves. L'affaire est venue devant la justice et s'est terminée par un suicide. Très vite, ce drame a inspiré un beau film. Son titre: Mourir d'aimer.

Sorti trois ans après les faits, ce long-métrage témoigne du courage et de l'engagement de l'actrice principale: la grande Annie Girardot. C'est elle qui m'a donné envie de me pencher sur cette triste histoire. C'est elle aussi qui tient le film sur ses épaules, avec plus de force que son jeune partenaire - Bruno Pradal, il est vrai encore débutant. Avec le recul du temps qui est passé, on mesure mieux l'injustice qu'ont eu à subir les deux amants: en prison pour elle, en hôpital psychiatrique pour lui. Et, même si leur (grande) différence d'âge pose question, on est choqué de voir à quel point la famille de l'ado s'est acharnée contre celle qu'elle considérait comme une sorcière ! Ces gens, pourtant, avaient plutôt des idées orientées très à gauche. Ils étaient eux aussi professeurs. Et ils connaissaient bien Gabrielle...

Surprise: au début du film, un carton indique que les personnages sont imaginaires et présente ainsi comme une "pure coïncidence" toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé. Certes, au cinéma, tout se passe à Rouen, mais après m'être penché sur les vrais protagonistes, je peux vous certifier que le scénario reste extrêmement proche de la réalité historique. Mourir d'aimer entre d'ailleurs aussitôt dans le vif du sujet: il ne donne aucun détail sur la manière dont le couple a pu se former et vient de facto rappeler qu'il n'a eu que très peu de temps - et d'occasions - pour s'épanouir vraiment. Dans le contexte post-Mai 68, c'est un constat saisissant ! Je n'ai pas été franchement surpris d'apprendre que le long-métrage avait connu un grand succès à sa sortie: 5,9 millions de spectateurs. Il occupe le cinquième rang des films français les plus vus au cours des années 70... et mérite que l'on s'y intéresse encore aujourd'hui. Le relatif académisme de sa réalisation n'en amoindrit pas la force. Allez donc savoir comment tout cela se serait terminé, de nos jours...
 
Mourir d'aimer
Film français d'André Cayatte (1971)

Cette histoire ne pouvait être examinée qu'avec beaucoup de pudeur. Nul besoin de crier pour être percutant: d'une très grande sobriété formelle, ce long-métrage nous montre à l'évidence qu'un style retenu permet tout aussi bien de faire passer de belles émotions au cinéma. D'autres films d'amour contrarié ? Le secret de Brokeback Mountain en est un, mais pas vraiment comparable. Je veux revoir Love story !

10 commentaires:

cc rider a dit…

La formation d'avocat de Cayatte a marqué ses choix cinématographiques de façon certaine , j'ai un faible pour « Les risques du métier » qui traite d'un sujet toujours d'actualité, les accusations de pédophilie en milieu scolaire... Jacques Brel dont c'est le premier rôle au cinéma y campe un instituteur dans la tourmente avec une belle maîtrise.

Pascale a dit…

Je l'ai revu lorsqu'il est passé à la télé récemment.
Une histoire qui a défrayé la chronique et divisé la France. A voir aussi le bel hommage à Gabrielle du Président Pompidou.
Annie Girardot est devenue l'actrice chérie des français après ce film. Un triomphe. Elle y est merveilleuse.
Une histoire incompréhensiblement tragique. Même les juristes tombaient des nues lorsqu'ils rencontraient le jeune homme incroyablement mâture. La différence d'âge ne se voyait pas.
Aujourdhui le jeune homme a 70 ans et ne souhaite pas parler de cette affaire dont il dit que les souvenirs lui appartiennent.
Les parents sont détestables.

Martin a dit…

@CC Rider:

Ah oui, c'est certain, et je verrais bien "Les risques du métier" à l'occasion.
J'ai souvent trouvé Jacques Brel très recommandable dans ses différents films et styles.

Martin a dit…

@Pascale:

Tout à fait d'accord avec toi, sur tous les points. Et Annie est au top !

Il existe une archive INA sur la déclaration de Pompidou. Je cite: "Je ne vous dirai pas tout ce que j'ai pensé d'ailleurs sur cette affaire. Ni même ce que j'ai fait. Quant à ce que j'ai ressenti, comme beaucoup, eh bien, comprenne qui voudra ! Moi, mon remords, ce fut la victime raisonnable au regard d'enfant perdu, celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. C'est de l'Eluard. Merci."

Aurait-il aidé Christian Rossi à se relever après ce terrible drame ?

cc rider a dit…

Eluard à dit aussi :
« Laissez moi seul juger que ce qui m'aide à vivre « 

cc rider a dit…

de ce qui m'aide

Martin a dit…

@CC Rider:

Pas mal, cette autre citation ! Elle va bien avec le film.

Martin a dit…

@CC Rider (en mode corrigé):

Comme le dit l'expression consacrée, le lecteur aura corrigé de lui-même. Merci.

Pascale a dit…

C'était le temps où les élites avaient des lettres.

Martin a dit…

Le temps où elles aimaient le montrer, aussi.
N'empêche: citer Éluard au débotté, je dis chapeau !