lundi 1 mars 2021

Comme dans un étau

Asghar Farhadi a pu réaliser Le client en attendant de réunir l'équipe de l'un de ses films européens. "C’était l’occasion pour moi de faire un film en Iran, pour mon plus grand bonheur", a expliqué l'Iranien. Présenté à Cannes, cet opus en est reparti avec le Prix du scénario et, pour Shahab Hosseini, le Prix d'interprétation masculine. Pas mal !

En couple et jeunes comédiens à Téhéran, Rana (Taraneh Allidousti) et Emad (Shahab Hosseini, donc) doivent quitter leur appartement commun, ébranlé par de fortes secousses. Un membre de leur troupe décide alors de leur en prêter un autre. Problème: une ex-locataire est partie en y laissant des affaires personnelles et ne veut pas venir les chercher. Tendue, la situation s'aggrave encore un soir où Emad rentre tard: Rana, restée seule chez elle, est violemment agressée. Très habilement, ce n'est ensuite qu'au compte-gouttes que Le client révèle ses secrets, y compris celui de ce titre d'abord énigmatique. Vous noterez toutefois que certains éléments demeurent dans l'ombre jusqu'au bout, divers points du récit restant sujets à interprétation. Lire (a posteriori) plusieurs critiques sur le film m'a bien démontré qu'il ne pouvait pas être perçu par tout le monde de la même façon. Moi, je juge cette relative incertitude agréable parce que stimulante !

Est-elle aussi révélatrice du style d'Asghar Farhadi ? Je peux le croire. Certains exégètes estiment toutefois que le cinéaste tourne en boucle autour des mêmes idées et qu'il n'invente donc plus rien de notable. Possible, mais, quitte à me répéter, je tiens à dire qu'ici, je reste convaincu par son talent pour les histoires... mais aussi pour la mise en scène. Un bémol à mes yeux ? Sa tendance à "charger la mule". Comme d'autres, Le client multiplie en effet les rebondissements finaux: je peux comprendre que cela lasse ou paraisse un peu facile. Artiste cérébral et érudit, le réalisateur s'est visiblement fait plaisir en filant la métaphore théâtrale, en jouant sur les faux semblants propres à la scène et la force des non-dits. Il appuie un parallèle possible entre le cadre du film et le New York de Mort d'un commis voyageur, la pièce d'Arthur Miller. Lors de la sortie du film, l'auteur voyait Téhéran comme "une ville qui change de visage à une allure délirante", notant que "ceux qui ne peuvent s’adapter à cette course effrénée sont sacrifiés" ! Et les artistes restent soumis à la censure...

Le client
Film iranien d'Asghar Farhadi (2016)

On est un peu à la jonction entre L'insulte et Prisoners, à mon sens. Vous le voyez: mon bilan reste largement positif. Ce film très réfléchi n'a rien d'un divertissement, mais c'est en revanche une oeuvre forte par bien des aspects - malgré, d'accord, quelques "grosses ficelles". Côté iranien, Une séparation, du même réalisateur, fait référence. Et, sur un sujet assez proche, Un homme intègre mérite un détour...

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Je tenais à conclure sur une anecdote...

Après Cannes, Taraneh Allidousti a fait polémique pour un tatouage féministe. En 2020, elle a diffusé une vidéo sur l'action de la police des moeurs et alors été condamnée pour "activités de propagande contre l'État" à cinq mois d'emprisonnement (avec sursis à exécution).

Et pour en terminer avec le film du jour...
Je vous laisse découvrir les opinions - nuancées - de Dasola et Strum.

2 commentaires:

eeguab a dit…

Bonsoir Martin. Nous l'avions passé en ciné-débat et apprécié dans son ensemble. Je sais que la critique avait été assez moyenne. A bientôt.

Martin a dit…

J'ai l'impression que les médias sont très exigeants avec Farhadi depuis le succès de "Une séparation"...