dimanche 7 décembre 2014

Sous le banian

J'ai eu plusieurs fois l'occasion de le dire ici: le cinéma demeure aussi pour moi un art du voyage. À l'heure où les pays les plus lointains paraissent à un clic de souris, j'aime qu'un long-métrage m'emmène, quelque deux heures durant, dans une contrée étrangère. Cette envie contemplative participe de l'intérêt que j'ai eu à voir Still the water. Bien que, sur écran géant, le Japon soit un territoire assez familier...

Spécificité: Still the water nous embarque vers l'une des îles reculées de l'archipel nippon, Amami, cap sud-ouest, au coeur même de l'océan Pacifique. Cette terre magnifique, tropicale, est aussi la proie fréquente de très violents typhons. La nature y offre un cadre extraordinaire, même si ce "décor" n'a pas, c'est vrai, l'aspect surprenant d'autres régions du monde. Ici, Amami est l'écrin éclatant d'une idylle adolescente naissante entre Kyoko et son ami Kaito. Tendre, la parade amoureuse est encore gauche, les sentiments contrastés, du fait peut-être de leur situation familiale respective. Native de l'île, Kyoko vit avec ses deux parents, mais sa mère souffre d'une maladie mortelle, incurable. Kaito, lui, est l'enfant d'un couple séparé: il a vu le jour à Tokyo, là où son père, un tatoueur, est resté.

La réalisatrice du film vient en partie du documentaire. L'image qu'elle offre au regard m'a vite frappé par son aspect ultra-réaliste. J'ai eu l'impression d'être un intime des personnages, témoin direct d'importants événements de leur vie. Cette réelle proximité de vue n'empêche pas Still the water d'amener sa propre poésie. Les plans de Kyoko nageant toute habillée, par exemple, déroutent et séduisent à la fois. Les habitants d'Amami ont souvent été mis à contribution pour réinventer des séquences qui correspondent à leurs rites sociaux et croyances. Certaines séquences ne sont même que des moments de vie saisis sur le vif, sans la moindre directive de la cinéaste. Derrière tout ça, il y a beaucoup de tendresse et d'empathie. On dit que Naomi Kawase aurait retrouvé là-bas le berceau de sa famille...

À l'ombre d'un banian, l'un de ces arbres pluriséculaires et porteurs d'éternité, il eut été facile de tomber dans les clichés et l'opposition bêtasse de deux mondes, le paradis perdu d'un côté, la mégapole froide et sans âme de l'autre. Pour être honnête, Still the water n'échappe pas à ce discours des contrastes - sur Amami, on retrouve même un grand-père moraliste, plein du bon sens (supposé) de celui qui a vécu et (presque) tout connu. C'est plutôt des instants de vie ordinaires que l'émotion la plus forte survient, presque par surprise parfois. Un cadre qui tremble légèrement, une musique qui s'éteint lentement: le film est vraiment doux, pudique, retenu. Cette langueur assumée peut paraître monotone: mon voisin de fauteuil a ronflé ! Moi, malgré quelques petites longueurs, je suis toujours resté éveillé.

J'ai pu découvrir cette histoire dans le cadre d'une projection spéciale, organisée par une association à laquelle je viens d'adhérer. L'animateur du débat qui a suivi a notamment expliqué que le film n'avait pas reçu un accueil triomphal au Japon. En sélection officielle à Cannes et candidat déclaré à de nombreux trophées, Still the water n'en a finalement obtenu... aucun ! Artiste prolifique, Naomi Kawase est parait-il coutumière du fait: elle génère souvent une attente importante, mais aussi un peu de frustration, comme si son public d'habitués réclamait qu'elle produise un chef d'oeuvre à chaque fois. Moi, je viens juste de la découvrir: je peux juste dire que j'aimerais voir d'autres de ses oeuvres pour mieux la connaître. J'ai été séduit par ce "premier essai". Et, oui, ça a titillé mes envies de voyager...

Still the water
Film japonais de Naomi Kawase (2014)

Quand la finesse d'observation d'un Hirokazu Kore-eda croise la route du panthéisme d'un Terrence Malick: sous cette double référence écrasante, le film d'aujourd'hui tient la route, mais en demi-teinte. Heureusement, sa modestie joue pour lui: pas besoin de convoquer les grands anciens, comme Ozu ou le Murnau de Tabou pour sauver les apparences. À vous de tisser les fils de ce cinéma d'émotion(s)...

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Vous pouvez lire ce qu'on en dit ailleurs: "Sur la route du cinéma". 

8 commentaires:

Véronique Hottat a dit…

Bonjour Martin,

J'ai toujours hésité et finalement je ne suis jamais allée voir ce film. Je crois que je vais attendre sagement sa sortie DVD. Je te souhaite une bonne semaine :-)

Martin a dit…

Bonjour Sentinelle.

Par certains aspects, le film m'a vraiment fait penser au cinéma de Hirokazu Kore-eda, l'un des réalisateurs japonais que toi et moi apprécions. Je te le recommande donc.

Bonne semaine à toi aussi.

Véronique Hottat a dit…

Là évidement, c'est un bon argument :-)
Je vais voir s'il est encore à l'affiche, on ne sait jamais.

Martin a dit…

J'aime vraiment beaucoup cette façon de filmer l'intimité des personnages, sans pour autant placer le spectateur dans la position du voyeur.

C'est un ressenti personnel, mais je suppose qu'il peut aussi être partagé.

Véronique Hottat a dit…

Coucou Martin,

Pour moi, c'est même essentiel tant je ne supporte pas que le réalisateur me mette dans un position de voyeur, je ressens cela assez violemment, quasi comme une intrusion personnelle en fait. J'ai vu qu'il était toujours à l'affiche ;-)

Martin a dit…

Hello !

Chacun de nous en juge en fonction de son propre ressenti, bien sûr, mais je pense franchement qu'il n'y a aucune raison d'être mal à l'aise devant ce film et les quelques moments d'intimité qu'il dévoile.

Véronique Hottat a dit…

Oh j'en suis certaine, ce n'est pas cela qui m'inquiète pour ce film. Si je ne l'ai pas encore vu, c'est dû principalement à mes craintes que les longueurs soient trop présentes. J'ai peur de m'y ennuyer à force.

Martin a dit…

Je peux comprendre que tu hésites pour cette raison. Pour ma part, j'ai senti une ou deux longueurs, mais c'est étonnant: j'ai eu l'impression que l'histoire se déroulait sur un rythme assez lent, mais qu'il se passait tout de même pas mal de choses.