mercredi 3 février 2021

Tempête intérieure

On dit des unions solides qu'elles peuvent traverser les tempêtes. Celle de Jessica Chastain (Samantha) et Michael Shannon (Curtis) dans Take shelter confère à l'expression un sens particulier, littéral. Leur famille serait très ordinaire s'ils n'élevaient pas une petite fille sourde. Mais même ce handicap ne paraît pas affecter leur bonheur...

Si la mécanique se détraque, c'est que Curtis est soudain victime d'hallucinations. Il entend gronder le tonnerre au cours d'un après-midi ensoleillé, constate que des nuages s'accumulent dans le ciel et reçoit quelques gouttes d'une pluie chargée d'une substance visqueuse. Personne d'autre, ni sa compagne, ni sa fille, ni ses amis et collègues de travail, ne remarque rien. Bientôt, pourtant, la situation s'aggrave encore: le jeune père est alors la proie d'éprouvants cauchemars. Est-il en train de devenir fou ? Ou ces rêves seraient-ils prémonitoires et dès lors annonciateurs d'une catastrophe à venir ? C'est la question angoissante que pose Take shelter, qui ne lâche pas son personnage principal d'une semelle et nous expose ses tourments au plus près. L'amour de Samantha changera-t-il la donne ? Ce sera à vous de voir. Je veux rassurer les inquiets: bien qu'explicites, les images du film sont rarement violentes. Malgré, certes, quelques sensations fortes...

On a tous plus ou moins en tête l'image traditionnelle du western américain, où le pater familias, armé d'un fusil, défend la maisonnée des divers dangers venus du monde extérieur. Cette représentation classique est en quelque sorte inversée dans le cas qui nous occupe aujourd'hui: la femme prend les choses en main et pousse l'homme jusqu'au bout de sa logique pour enfin venir à bout du péril supposé. Avant sa superbe fin, Take shelter offre ainsi une première scène d'une grande intensité, jouée dans une pièce faiblement éclairée. L'intelligence du dispositif donne l'impression que ce temps fort contient à lui seul l'intégralité de ce que le long-métrage veut dire. Pour autant, il n'est pas conclusif: la véritable puissance de ce récit tient justement à ce que chacun reste libre de l'interprétation donnée aux images qui suivront, le réalisateur n'ayant qu'à moitié tranché. Une chose me semble acquise: le scénario en appelle à vos qualités d'observation, mais aussi à votre coeur. Grâce aux talents conjugués des comédiens, l'émotion est garantie et les pièges du pathos évités !

Take shelter
Film américain de Jeff Nichols (2011)

C'était grand et beau: j'ai de fait hésité à accorder une demi-étoile supplémentaire. Comme je l'avais espéré, le duo Chastain / Shannon fait vraiment des merveilles: c'est un superbe tandem de cinéma. Certains ont comparé le film à Melancholia, une autre perle noire sortie la même année. Ce n'est pas idiot, mais j'aime autant revenir sur un autre opus cité comme précurseur: La dernière vague (1977) !

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Et si mes arguments ne vous suffisent pas...

Je vous signale la présence de chroniques chez Pascale, Strum et Lui. L'occasion de vérifier que le film (dont le titre signifie mettre à l'abri) peut être lu de plusieurs façons. Et mérite d'être abordé sans a priori.

4 commentaires:

Pascale a dit…

Oh la la, j'avais été bien sévère lors de sa sortie. Je l'ai revu en DVD et il est bien le grand film dont on avait parlé à l'époque. A voir sans hésitation.

Martin a dit…

Oui, je t'ai trouvée bien tiède, sur ce coup-là. Bon, apparemment, tu l'as réévalué à la hausse.

Strum a dit…

Un grand film qui m'avait impressionné à sa sortie. Le meilleur film de Jeff Nichols. Merci pour le lien Martin.

Martin a dit…

Avec plaisir, Strum ! Je suis d'accord avec toi, avec un faible aussi pour "Mud" et "Midnight special".
Je dois d'ailleurs dire que je suis vraiment curieux de ce que Jeff Nichols pourra nous proposer ensuite.