jeudi 28 mai 2020

Sous le soleil austral

Le cinéma a ceci de magique que, parfois, il parvient à transcender les histoires les plus ordinaires, simplement... en les "délocalisant". Dernièrement, j'ai fait un pari avec Mystery Road: cette enquête autour d'un meurtre aurait pu être banale, mais son cadre australien ouvre une (petite) porte à l'originalité. Je l'ai poussée avec bonheur...

D'emblée, en effet, le film nous embarque dans une magnifique scène nocturne, à l'écart de toute ville significative. Un chauffeur routier stoppe son camion, inspecte les environs et, dans un fossé, découvre le cadavre d'une jeune femme, d'ores et déjà en assez piteux état. L'ambiance est posée, avec d'autant plus d'acuité que la scène entière se déroule sans dialogue et avec le seul son de la nature alentour. Mystery Road n'est pas un film bavard, à l'image de son personnage principal - le flic chargé de l'enquête - et, en fait, des divers habitants d'un pays ravagé par le trafic de drogues et les rivalités ethniques. L'Australie profonde ne ressemble pas vraiment à une carte postale...

Casser le mythe, c'est aussi une part de l'intérêt de ce long-métrage. Ainsi, en choisissant pour héros un représentant des forces de l'ordre né au sein de la communauté aborigène, il dresse le portrait édifiant d'un homme presque isolé: méprisé par les Blancs, mais aussi rejeté par sa propre famille (à la dérive). C'est ainsi qu'il nous permet aussi d'apprécier la prestation solide d'Aaron Pedersen dans ce rôle fort. J'avoue: je n'avais jamais entendu parler de ce comédien auparavant. Belle découverte: dès son entrée en scène, il impose un charisme évident, correspondant parfaitement avec ce que l'on peut attendre de son personnage. Un bon point d'ancrage face à la terra incognita...

Dans l'un des nombreux rôles ambigus du métrage, les plus cinéphiles d'entre vous auront peut-être reconnu Hugo Weaving, dont le visage légèrement buriné sait lui aussi attirer le regard du spectateur. Attention à ne pas vous abandonner à cette idée que Mystery Road n'est qu'un western de plus, dans un contexte vaguement revisité. Sincèrement, les coups de feu, ici, existent bien, mais ils sont rares. Malgré quelques petites maladresses, c'est surtout une atmosphère incertaine que le film parvient à déployer - et c'est ce que j'ai aimé. L'enquête criminelle est décisive, mais passe parfois au second plan. Comme le héros, on est alors mal à l'aise. Un peu perdu, à vrai dire...

La réussite du long-métrage sur le plan formel me paraît indiscutable. Pourquoi saluer ce minimalisme en fait très travaillé ? Pour une raison originale, elle aussi: parce qu'il est largement l'oeuvre d'un homme seul, Ivan Sen, réalisateur, mais aussi scénariste, directeur photo, monteur et auteur de la (discrète) bande originale. Mais quel boulot ! Bon... cet univers est vraiment le sien: il a également signé une suite de ce premier film et même produit une série adaptée dans la foulée. Je n'irai pas jusqu'à parler de lui comme d'un auteur, mais c'est juste parce que je n'ai encore rien vu d'autre parmi cette offre pléthorique. Les territoires vierges ont le droit de garder un peu de leur mystère...

Mystery Road
Film australien d'Ivan Sen (2013)

Une belle découverte, si ce n'est une vraie et remarquable surprise. Épuré jusqu'à l'os, cet envoûtant thriller rural m'a séduit. L'occasion d'en voir la suite... un jour, peut-être: je n'en fais pas ma priorité. Autant vous conseiller d'autres polars poisseux de cet acabit venus d'ailleurs, comme La isla mínima et, surtout, Memories of murder. L'Amérique vous attire ? No country for old men reste un vrai must !

8 commentaires:

cc rider a dit…

Ce film me rappelle tous ceux dont l'action se situe dans une réserve indienne comme « Cœur de tonnerre » "Vent sombre" ou plus récemment « wind river » ...la neige en moins...

Martin a dit…

Je n'ai vu aucun des films dont vous parlez, mais je vous crois sur parole. Je note ces références. Merci.

En fait, je trouve toujours intéressant ces récits qui mettent en avant des personnages issus de communautés "natives", devenus des parias sur leur propre territoire.

Pascale a dit…

Très tentant.
Je remarque 2 membres de la famille Weaving au casting.
Je n'ai pas aimé La isla minima mais beaucoup les 2 autres evidemment.
Je me souviens de Coeur de tonnerre, très bien.

Pascale a dit…

Et j'étais bien seule face à l'enthousiasme quasi général pour Wind river qui selon moi passe totalement à côté du sujet qui est révélé... au générique de fin.

Martin a dit…

@Pascale:

Exact, deux Weaving pour le prix d'un: Samara est la nièce de Hugo. Et a un rôle plus petit.

Je vais aller relire ton blog pour voir ce que tu reprochais exactement à "La isla minima". Et me mettre en quête pour trouver un moyen de découvrir "Coeur de tonnerre".

Martin a dit…

@Pascale encore:

Pas d'enthousiasme pour "Wind river" ? Soit. Tu n'es pas très Jeremy Renner, n'est-ce pas ?
Un film qui ne révèle son sujet qu'à la toute fin, ça peut aussi être un beau moment de tension...

Pascale a dit…

Je ne suis PAS DU TOUT Renner. Il est un peu moins rédhibitoire que Statham et Garfield, mais je le trouve vraiment mauvais.

Non ça n'apporte aucune tension. C'est juste hypocrite : voilà le constat dans la réalité dit le réalisateur... mais le film ne traite pas le sujet. Bon c'est compliqué à dire puisque tu n'as pas vu le film et sans spoiler.

Martin a dit…

Bon... je ne vais pas courir après ce film, du coup. Et j'espère que tu pourras voir le mien !