jeudi 12 mars 2020

Petits arrangements

Je n'avais plus vu de film en noir et blanc depuis décembre dernier ! D'après ce que j'ai lu, c'est pour réaliser des économies budgétaires que le réalisateur de La traversée de Paris s'est passé de la couleur. Moi, j'ai pris les nuances de gris pour une touche vintage bien venue. En revanche, autant le dire tout de suite: le film m'a (un peu) déçu...

L'argument n'est pas compliqué à comprendre: du fait de l'Occupation de Paris par les troupes nazies, un chauffeur de taxi (Bourvil), privé d'emploi, s'est reconverti... dans le marché noir. Gros problème supplémentaire: son complice habituel a été arrêté en possession d'une valise pleine de savon. Or, comme le dit l'un des personnages subsidiaires du film, "si les Français ne se lavaient plus, la France serait plus propre". En clair, les trafics sont loin de faire l'unanimité. Notre chauffeur-chômeur doit cependant trouver un nouvel associé pour assurer sa nouvelle mission: convoyer - à pied - une quantité impressionnante de viande de cochon ! Ce qu'il fera lorsqu'il tombera sur un mystérieux bonhomme (incarné, lui, par le grand Jean Gabin). Soyons francs: c'est d'abord pour cette distribution que La traversée de Paris m'avait semblé la promesse d'un très chouette moment. Surtout que Louis de Funès est là aussi, dans un rôle de maquignon...

Las ! Comme je vous le disais, je suis resté sur une petite déception. Concis, le film ne laisse pas le temps de s'attacher aux protagonistes. Sont-ils seulement sympathiques ? Pas véritablement, je trouve. D'ailleurs, c'est peut-être bien volontaire: leur comportement amoral et/ou ambigu pourrait finalement n'être rien d'autre que l'illustration cinématographique de l'attitude de certains Français en cette époque trouble. OK, mais moi, je m'attendais à une plus franche comédie. Or, très honnêtement, La traversée de Paris ne m'a pas fait rire. Rien de gravissime, hein ? Je n'étais peut-être pas bien disposé. Retrouver ce trio d'acteurs m'a toutefois fait plaisir: c'est déjà ça. J'ajoute que Marcel Aymé, auteur en 1947 d'une nouvelle que le film adapte, était sceptique au départ, mais a fini par parler du film comme d'un travail "d'une très grande qualité" (ce sont ses mots). Bref, tout cela pourrait très bien vous plaire: n'hésitez pas à vérifier !

La traversée de Paris
Film français de Claude Autant-Lara (1956)

Pas particulièrement valorisant pour les Français, ce long-métrage étonnant n'a toutefois pas sur moi le même impact que Le corbeau. C'est logique, peut-être, étant donné qu'il est sorti une fois la paix revenue. Mais bon... tout n'est pas à jeter aux orties pour autant ! Sur les diverses bassesses des années 40, Uranus reste une référence sombre. Et L'armée des ombres (ou Une vie cachée) son antithèse...

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En complément (et contrepoint) à ma chronique...

Je vous invite à lire aussi celle qui est publiée par "L'oeil sur l'écran".

10 commentaires:

cc rider a dit…

Marcel Aymé était probablement sceptique mais aussi et surtout opposé au choix de Bourvil dans le rôle du chauffeur de taxi au chômage. Le sucés du film lui donnera tort.
Le film a-t-il vocation à faire rire ?.. pas si sur , son humour grinçant et sa peinture sans concession de certains comportements sous l'occupation, brosse un portrait bien noir des français de l'époque.
Et à bien y réfléchir aucun des protagonistes du film n' est réellement sympathique...
La scène avec Janbieeeeeeer est quand même devenue culte , probablement grâce à ses multiples rediffusions télévisuelles

Pascale a dit…

Oula, tu devais être fatigué. La traversée de Paris n'est pas drôle, c'est dramatique et interprété magistralement. Notamment par Bourvil à total contre emploi. Ce n'est en rien une comédie. C'est un film dont je ne me lasse pas.
L'arrestation de Bourvil avec Gabin qui essaie de le sortir de là est un GRAND moment. Et les "salauds de pauvres"... fallait oser.
Et cette fin, à la gare je crois...

Martin a dit…

@CC Rider:

Bourvil est plutôt bon dans ce registre vraiment peu familier pour lui. L'humour grinçant du film, dont vous parlez si justement, m'a déstabilisé: je ne m'attendais pas à cette noirceur généralisée.

Le scène avec Jambieeeeeeeeer est tout à fait révélatrice, sur ce point précis. Habitué à voir Jean Gabin dans des rôles positifs et/ou truculents, j'imaginais le découvrir ici en héros redresseur de torts. Au final, c'est une fieffée canaille comme les autres, n'est-ce pas ? Même s'il dégage plus de charisme que les autres à mon sens, entre un Bourvil à contre-emploi et un De Funès encore frais dans le métier.

Martin a dit…

@Pascale:

En fait, je partage tes arguments... mais plus que fatigué, je disais que j'avais tellement prévu de rigoler que le film m'a presque choqué par sa noirceur. Tu connais mon côté Bisounours...

Les acteurs ne sont pas en cause car, effectivement, ils sont tous très bons (et à la hauteur donc de leur très flatteuse réputation). Quant à la fin, elle est effectivement terrible et très réussie (même si elle arrive un peu abruptement à mon goût).

Strum a dit…

La Traversée de Paris n'a jamais été une comédie. D'où sortais-tu cette idée ? :) Marcel Aymé est un écrivain pessimiste par excellence, misanthrope même, et Autant-Lara un cinéaste pessimiste également. Cet excellent film est un bon exemple de la noirceur propre au cinéma français des années 50 (que Truffaut lui reprochait)

Martin a dit…

Je sortais cette idée d'une TOTALE méconnaissance du film, n'ayant vu que la fameuse scène de Jambieeeeeeeeer et, ainsi que je l'ai expliqué plus haut, ayant imaginé Jean Gabin en héros redresseur des torts. Je m'étais fourvoyé !

Je suis content que tu utilises le mot "misanthropie", qui m'est venu à l'esprit en voyant le film et que je n'osais pas employer dans le texte de ma chronique. C'était un peu trop pour moi, surtout avec une couche supplémentaire de pessimisme. Cela n'enlève rien aux vraies qualités du film.

Puisque tu ajoutes (merci !) que ledit film est assez caractéristique du cinéma français des années 50, je suis preneur d'autres exemples, si tu veux bien m'apporter cette précision. Il se peut que, désormais prévenu, je trouve davantage d'intérêt - pour le plaisir, on verra... - à découvrir d'autres longs-métrages de cette époque et sur cette tonalité. Wait and (maybe) see.

Pascale a dit…

Je me demandais aussi qui t'avait mis cette idée en tête d'une comédie.
Tu te l'y étais mis tout seul 😊
Je trouve le contre emploi de Gabin très réussi et ses tirades misanthropes plutôt réalistes mais il a quand même du coeur je trouve. La scène chez les allemands le prouve. Avant il est TRÈS cynique.
Ce n'est pas La grande vadrouille (une merveille) qui a réussi à nous faire rire tout en glorifiant des héros ordinaires.
Ici cest d'une noirceur sans fin et que Bourvil soit arrêté prouve que le cinéma ne résout pas tout.
Je n'ai pas de généralités comme "le cinéma des années 50 est pessimiste" mais tout de même il faut voir de quelle période la France sortait et ce film l'illustre vraiment bien.

P.S. : tu remarqueras l'heure...

Re PS : Je suis TRÈS en retard dans mes chroniques, en attendant que les cinéma ferment...

Martin a dit…

Hé oui... Gabin dans ce registre, tu admets que c'est inhabituel.
Tu as raison également de souligner avec les Allemands, il retrouve le "droit chemin". Provisoirement !

C'est vrai que la France sortait d'une période extrêmement difficile, mais il me semble que d'autres films de la même époque sont plutôt portés sur des choses plus légères. Il faudra que je vérifie cette intuition, que je compare et que je relativise. Bref... que je me plonge toujours plus dans le cinéma. Quelle galère !

PS 1: j'ai remarqué l'heure... en premier. Ma réaction: bigre !
PS 2: ouais, triste sort pour les salles actuellement. Parle-nous d'autres films !

dasola a dit…

Bonsoir Martin, ah la rencontre Gabin, Bourvil et De Funès font des étincelles. J'aime beaucoup ce film très noir et certainement vrai par certains côtés. Bonne fin de soirée confinée.

Martin a dit…

Effectivement, je me dis qu'il y a sans doute une part de réalisme dans ce film...
Ce n'est guère plus réjouissant, du coup, mais c'est une certaine forme de lucidité.