lundi 27 janvier 2020

Une élégie

2012, 2014 et 2018: au cours de la décennie écoulée, il est arrivé trois fois que je puisse aller voir un film en salle dès le 1er janvier. Pour 2020, j'ai dû attendre jusqu'au 4, mais c'est encore au cinéma que j'ai entamé mes visionnages du millésime, avec Une vie cachée. Je m'étais dit que ce serait bien de démarrer avec de belles images...

Sur ce plan, je n'ai pas été déçu: je vais y revenir. D'abord, un mot pour celles et ceux parmi vous qui n'auraient pas eu d'échos du film. Inspiré d'une histoire vraie, ce long-métrage (de presque trois heures) revient sur la vie de Franz Jägerstätter. Si le nom de cet Autrichien né en 1907 est arrivé jusqu'à nous, c'est en fait grâce à un sociologue américain, Gordon Zahn, l'auteur de sa biographie, publiée en 1964. Mais également parce que le pape Benoît XVI l'a ensuite reconnu comme martyr du nazisme et a même décidé de le béatifier, en 2007.

La raison ? En 1938, il fut le seul homme de son village à ne pas voter pour accepter l'annexion de son pays par les troupes d'Hitler. Appelé dans l'armée, il refusa toujours de se battre et de prêter un serment de fidélité au Führer qui lui aurait permis de devenir infirmier. Emprisonné quelques mois durant, il fut donc jugé, condamné à mort et exécuté, au début du mois d'août 1943. Je ne suis pas convaincu qu'il soit très facile de réaliser une oeuvre de cinéma pour y raconter ce parcours. Je suis toutefois allé voir Une vie cachée en confiance. J'imaginais que Terrence Malick, le réalisateur du film, était l'homme qu'il fallait pour brosser ce portrait. Et cela s'est bel et bien confirmé !

J'ai commencé en parlant de belles images. Je veux dire à présent qu'à mes yeux, si ce n'est donc Terrence Malick, aucun cinéaste actuel n'est capable de créer quelque chose d'aussi fort sur le plan pictural. Évidemment, les quatre photogrammes qui illustrent cette chronique sont insuffisants pour rendre compte de ce génie. Il est préférable que je laisse les experts de la technique détailler les méthodes utilisées pour parvenir à ce résultat, mais moi, je suis sous le choc ! Voir Une vie cachée exige un écran digne de ce nom, bien entendu...

Ajoutez-y le mouvement: nous tenons là la quintessence du cinéma. Et le son ! Aux voix off (extraites pour partie des lettres entre Franz et sa femme) et dialogues minimalistes s'ajoutent une foule de bruits réalistes et une musique superbe, qu'elle soit issue du répertoire classique ou créée pour le film par le maestro James Newton Howard. Ultime élément de cette magnificence: le "mysticisme". Je choisis d'utiliser des guillemets, car je ne suis pas sûr que ce soit le mot exact pour ce que je souhaite exprimer. Les films de Terrence Malick citent rarement le nom de Dieu, mais, comme - au moins - une partie de ceux qui l'ont précédé, celui-ci semble porté par une inspiration panthéiste, qui consisterait en fait à voir la divinité en toute chose. Bien que ne partageant pas cette foi, je la ressens comme l'essence de la vision du réalisateur. Je comprends qu'elle puisse en détourner certain(e)s de son cinéma, mais la juge aussi essentielle à son éclat !

Maintenant, j'ai le sentiment d'en avoir dit beaucoup et peu à la fois. C'est sans doute parce qu'on ne sort pas d'un tel film aussi facilement.

Une vie cachée
Film germano-américain de Terrence Malick (2019)

Une nouvelle claque venue du plus secret des cinéastes américains. L'homme se montre peu, mais l'artiste sait bien s'entourer d'acteurs excellents, à l'image ici du tandem Valerie Pachner / August Diehl. Depuis The tree of life, je me dis qu'il faut que je découvre un jour les films de ses débuts, La balade sauvage et Les moissons du ciel. Sinon, pour la résistance allemande, voyez Le labyrinthe du silence !

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Pour être complet, un petit mot sur le titre...
Je crois important de dire que Franz Jägerstätter n'est jamais entré dans la clandestinité. Cet intitulé correspond en réalité à la conclusion d'un roman anglais de George Eliot, Middlemarch (écrit en 1871-72). Citation: "Si les choses ne vont pas aussi mal pour vous et pour moi qu'elles eussent pu aller, remercions-en pour une grande part ceux qui vécurent fidèlement une vie cachée et reposent dans des tombes que personne ne visite plus". Texte repris dans le film en carton final.

Et enfin, pour finir, mes traditionnels liens...
Vous pourrez constater qu'Une vie cachée est diversement apprécié. Le débat est déjà lancé chez Pascale, Princécranoir, Strum et Vincent.

14 commentaires:

Pascale a dit…

C'est en effet d'une grande beauté mais...

Avec Les moissons du ciel tu devrais atteindre les ☆☆☆☆☆

Pascale a dit…

J'ai revu Le nouveau monde la semaine dernière, je le trouve bien supérieur à celui ci, comme la Ligne rouge, la Balade sauvage...

Martin a dit…

@Pascale 1:

Mais... on ira relire ton chronique pour un avis différent (et nuancé).
"Les moissons du ciel" est à mon programme. Il faut juste que je récupère mon DVD.

Martin a dit…

@Pascale 2:

"Le nouveau monde" est lui aussi à mon programme, comme les autres avant "The tree of life".
En fait, ce que je déplore le plus, c'est finalement de ne pas pouvoir les voir sur écran géant.

Pascale a dit…

Le nouveau monde est très bien passé sur la télé, il faut juste augmenter le son car Wagner et Mozart sont enveloppants.

Donc tu n'as vu ni la Balade, ni les moissons, ni La ligne rouge ?
De belles et grandes heures en perspective.

ideyvonne a dit…

Je n'ai pas vu ce film, par-contre "le labyrinthe du silence" oui. Il est important ce travail de mémoire dont on reparle ces jours-ci...
"Les moissons du ciel" est magnifique, j'ai bien aimé "La ligne rouge" mais je n'ai absolument pas accroché à "The tree of life" ni à "La balade sauvage".
"Le nouveau monde " est en replay sur Arte, au cas où...

Strum a dit…

Comme Pascale, j'ai préféré d'assez loin La Ligne Rouge, Le Nouveau Monde, Les Moissons du ciel, et même Tree of life en fait.

Martin a dit…

@Pascale:

Des autres films de Malick dont tu parles, je n'ai vu que "La ligne rouge".
C'était il y a longtemps. Il faudrait que je le revoie et découvre les autres.

Sachant que j'ai le DVD de tous ces films, mais pas à portée de main immédiate...

Martin a dit…

@Ideyvonne:

D'accord avec toi sur le nécessaire devoir de mémoire.
Je me dis d'ailleurs que le cinéma peut utilement y contribuer.

Merci pour la précision sur "Le nouveau monde", m'dame. Ce ne sera pas pour tout de suite.
"The tree of life" ? Je comprends qu'on n'accroche pas, mais il marque une étape dans ma cinéphilie.

Martin a dit…

@Strum:

C'est évidemment ton droit le plus strict. Et on a une petite idée de ton "classement". Merci.

tinalakiller a dit…

Un film d'une puissante beauté sur tous les points. Un de mes chouchous de 2020, dans le top 3.

Martin a dit…

J'ai vu six films au cinéma depuis le début de 2020... et il se classait premier jusqu'à hier.
Finira-t-il dans mon top de l'année, logiquement publié début 2021 ? C'est un peu tôt pour y penser.

princecranoir a dit…

Je ne sais pas s'il est mieux ou moins bon que "le nouveau monde" mais c'est de toute façon un très beau film de Malick. Je le range parmi ses plus beaux films.
Merci Martin pour le lien.

Martin a dit…

Avec plaisir, cher ami. Je vois que nous sommes largement d'accord.
Mais il faudra décidément que je voie les films de ses débuts pour mieux juger...