samedi 19 mai 2018

Tempête sur Cannes !

Vous le savez sûrement: le Festival de Cannes se termine aujourd'hui. Nous connaîtrons donc ce soir le nom du lauréat - ou de la lauréate - de la Palme d'or. En attendant, je voulais parler de ce qui s'est passé il y a pile cinquante ans: la mise à l'arrêt des festivités cannoises ! L'occasion de dire que le vent de Mai 1968 a soufflé sur la Croisette...

Comment en est-on arrivé à ce que le Festival s'arrête définitivement et ne décerne aucun Prix cette année-là ? Les historiens du cinéma notent que, quelques mois plus tôt, les professionnels s'étaient émus de la tentative d'André Malraux, ministre de la Culture, de désigner un nouveau directeur de la Cinémathèque nationale. D'abord sourd aux revendications sociales qui agitent le pays, Cannes démarre normalement et projette huit des 27 films en lice pour la Palme. Bientôt, des réalisateurs s'excluent eux-mêmes de la compétition officielle: Milos Forman, Alain Resnais et Carlos Saura sont rejoints par certains jurés - Monica Vitti, Louis Malle et Roman Polanski. Longs et houleux, des débats ont lieu quant à la poursuite du Festival le 18 mai, alors que des états généraux du cinéma organisés à Paris ont demandé qu'il soit arrêté. Les tenants d'une conclusion anticipée finissent par emporter le morceau, quand le conseil d'administration cannois décide à l'unanimité d'une clôture le 19 mai à midi, cinq jours avant la date initialement prévue. Et ce n'était encore JAMAIS arrivé !

Qui s'intéresse au cinéma français et à son histoire peut considérer que 1968 est aussi une année charnière pour plusieurs autres raisons. À la suite des événements survenus sur la Croisette, la quasi-totalité des tournages est interrompue. Les salles, elles, continuent pourtant de fonctionner, la Fédération des exploitants ayant signé un accord avec les syndicats de personnels dès le début des mouvements sociaux. Conséquence: 25.000 employés, directeurs, projectionnistes et ouvreuses, voient leur rémunération augmenter... de 30 à 60% ! Paris Match souligne que, dans le même temps, le prix des places grimpe lui aussi très significativement, de cinquante des centimes d'alors à deux francs ! Était-il réglementé ? Ou s'agit-il d'un tarif moyen ? Je n'ai pas pu le vérifier. Toujours est-il que l'agitation revendicatrice se poursuit au sein des cénacles cinématographiques. Réformistes, conservateurs ou utopiques, des nombreux projets animent les multiples conversations des amoureux du septième art. Certains vont même jusqu'à réclamer la gratuité du cinéma pour tous.

Un an plus tard, en mai 1969, Cannes accueille un nouveau Festival. En apparence, rien n'a changé: un jury officiel a bel et bien été formé autour de Luchino Visconti pour choisir un lauréat du Grand prix international, l'ersatz de la Palme d'or, parmi 23 prétendants ! Pourtant, le ton a changé et certains des films présentés se montrent plus corrosifs que leurs prédécesseurs. If..., de Lindsay Anderson, reçoit la récompense suprême et porte au point d'incandescence l'esprit rebelle de l'époque: un groupe d'élèves d'une école anglaise font feu sur leurs profs et camarades, ainsi que sur des militaires. Avant cela, le public a droit à des scènes de nu frontal et intégral ! Passé ce choc, un éphémère Prix de la première oeuvre est imaginé pour récompenser Dennis Hopper et son déjà légendaire Easy rider. L'envie de nouveauté favorise aussi la toute première organisation d'une Quinzaine des réalisateurs, d'abord indépendante. Les auteurs des 65 films (!) projetés s'appellent Susan Sontag, Nagisa Oshima, Bernardo Bertolucci, Roger Corman, André Téchiné, Philippe Garrel...

Cannes a survécu: aucune autre édition du Festival ne sera stoppée en cours de route. Certains des artistes "mutins" du millésime 1968 participeront ensuite, à l'image de François Truffaut, Claude Lelouch ou Jean-Luc Godard - ce dernier est même compétiteur cette année ! Je ne vous reparle même pas de Roman Polanski, honoré de la Palme d'or en 2002 pour Le pianiste. La Croisette, qui n'a jamais eu peur des polémiques et scandales, a fini par rallier ses enfants terribles. Belle initiative à noter: au cours de l'édition 2008, cinq des films bannis en mai 1968 ont été présentés en sélection Cannes Classics. Parmi eux, Peppermint frappé de Carlos Saura, Anna Karénine d'Alexandre Zarkhi et Un jour parmi tant d'autres de Peter Collinson. Le Festival est donc resté un rendez-vous emblématique du cinéma international, sans vraie défaillance si ce n'est l'événement mort-né de septembre 1939 et, à la limite, les non-éditions de 1948 et 1950. Objectivement, c'est quand même plutôt une très belle réussite, non ? À vos agendas: elle doit se prolonger encore... du 15 au 26 mai 2019 !

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Bon ! Je n'en ai pas fini avec 2018...
Je vais juste m'octroyer un peu de temps pour étudier le palmarès. Mon intention est de publier mon compte-rendu personnel lundi midi.

6 commentaires:

Pascale a dit…

Encore un comm' d'hier envolé...
Je disais que j'étais trop contente pour Kore Eda pour parler d'autre chose.

Pascale a dit…

Mais jai lu ton intéressant et concis article.
Kate avait l'air dune fée.

Martin a dit…

@Pascale 1:

Désolé pour le comm'. Mais ravi comme toi pour Kore-eda. J'en reparle vite !

Martin a dit…

@Pascale 2:

Merci de ton intérêt pour mon article. J'y ai passé du temps.
Euh... juste une précision, tout de même: c'est Cate avec un C (comme classe).

Pascale a dit…

Rrrrooo moi et l'orthographe des noms !!! Et Winslet c'est c ou k ???

Martin a dit…

Cate Blanchett. Un C au début, deux T à la fin.
Kate Winslet. un K pour commencer, un seul T pour finir.

Ouais, tu as raison: c'est compliqué, les noms propres !