Mon amie Séverine s'y est ennuyée. Moi, au contraire, j'ai pris vraiment beaucoup de plaisir devant The ghost writer, dernier film de Roman Polanski. Vous me permettrez, j'espère, de ne parler ici que de cinéma: je n'ai aucune intention de rebondir sur l'actualité judiciaire du réalisateur franco-polonais. Je constate qu'il est vraiment très fort pour planter une ambiance de suspense avec peu de choses: une alarme qui se met en route, une brume naissant lentement sur le littoral ou des personnages aux facettes parfois imperceptibles. Il sait aussi s'entourer de bons acteurs et leur offrir des rôles inattendus. Ici, Ewan McGregor est une parfaite tête d'affiche et trouve du beau monde pour lui donner la réplique, et notamment un Pierce Brosnan bien meilleur que dans James Bond. L'ex-007 joue Adam Lang, un Premier ministre anglais charismatique soucieux de faire écrire ses mémoires et dont le nègre a été retrouvé noyé sur la plage d'une île de la Nouvelle-Angleterre. En fait, c'est d'ailleurs toujours là-bas, et donc sur le sol américain, que se trouve le chef de gouvernement au moment où éclate un scandale médiatique selon lequel il serait complice de crimes de guerre récents. Situation d'autant plus délicate à gérer qu'un second auteur a été appelé à la rescousse pour reprendre le manuscrit inachevé. Cette angoissante situation cache-t-elle quelque chose d'encore plus insupportable pour le public ? C'est cette interrogation fondamentale qui sert de point de départ au long métrage. Toute ressemblance...
Si ce n'est par sa maîtrise, The ghost writer n'est pas un film spectaculaire. L'intrigue tourne essentiellement autour de la maison isolée dans laquelle se sont retranchés Lang et son nouveau nègre. Assez symboliquement, on notera que ce dernier n'est jamais appelé par son nom - d'ailleurs ignoré du spectateur. Bientôt, le voilà d'ailleurs livré à lui-même et à la femme de son très curieux patron. Bien sûr, il faut que le texte avance, mais il faut surtout que l'homme politique diffamé établisse et poursuive une stratégie de défense. Or, comment écrire un livre sur quelqu'un qu'on ne connaît pas vraiment si on n'a pas l'occasion de s'entretenir avec lui ? C'est toute la difficulté à laquelle va devoir faire face le héros du film. Évidemment, elle va le conduire à prendre des risques et à mener rapidement sa propre enquête... pour le meilleur et pour le pire. Sitôt le décor planté, l'ambiance devient hitchcockienne: je m'en suis résolument délecté. Encore une fois, Roman Polanski n'a pas utilisé d'effets faciles pour nous plonger dans une histoire pleine de zones d'ombre: il lui a suffi de composer sa partition avec les non-dits multiples de ses acteurs, appuyés par une musique très efficace, et avec le soutien d'un environnement naturel d'une luminosité toute relative. Le théâtre des opérations - cette étrange maison cubique au coeur d'une zone maritime cernée par les intempéries - met d'emblée mal à l'aise. Dès le début, on comprend que Ewan McGregor a mis le pied là où il n'a aucun repère. Et on sent monter une tension qui n'augure vraiment rien de bon, ni pour lui, ni pour personne...
C'est pour moi la grande qualité de ce film: éveiller notre intérêt grâce aux rouages étonnants d'une mécanique bien huilée, mais aussi susciter en nous des questions par l'image elle-même. L'endroit reculé où évoluent les personnages ne ressemble à rien de bien connu et rassurant: c'est un lieu calme, certes, mais, pour autant, pas véritablement le havre de paix propice à l'écriture que l'on attendait au départ. The ghost writer est un excellent titre: la langue anglaise illustre parfaitement l'aspect fantomatique du nègre, mais c'est là une caractéristique qui "contamine" l'ensemble de la distribution. Pour le plaisir, je citerai une scène, courte mais mémorable, offerte au grand Eli Wallach et qui sert pour ainsi dire de charnière: l'allure spectrale du vieil acteur américain, 93 ans au moment du tournage, lui donne un ton magistralement inquiétant au moment de lâcher quelques secrets bien gardés et à vrai dire des plus compromettants sur ce qui a pu se passer sur l'île. Ce n'est qu'à la fin de la projection que vous saurez (un peu) mieux regrouper les éléments flous et épars de cette solide histoire politico-criminelle. Ne ratez pas pour autant les toutes dernières images: d'un remarquable hors-champ, Polanski parachève et signe son oeuvre d'un plan somptueux et glaçant. Personnellement, surpris jusqu'à l'ultime seconde, je suis resté bouche bée devant le déroulé du générique. J'aurais sans doute aimé que le plaisir, intellectuel et graphique, se prolonge quelques minutes encore, mais, formellement, cette fin m'a semblé une pure merveille.
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