jeudi 6 juin 2024

L'amour d'une femme

Un toit, quelques arpents de terre, une famille: le rêve américain repose sur des choses simples. Certains ont jadis abandonné l'Europe avec l'espoir de construire une toute nouvelle vie et l'ont concrétisé. D'autres, à jamais coupés de leurs origines, ont renoncé au bonheur. Une notion dont parle explicitement... la Constitution des États-Unis !

En s'inspirant des lectures d'enfance de sa mère, Viggo Mortensen nous emmène au Nevada, vers l'année 1860. Dans un environnement que le cinéma n'a jamais cessé de sublimer, il campe un immigrant danois solitaire, installé dans une maison nichée au fond d'un canyon. Quand une femme lui demande ce qu'il y fait, il répond de manière laconique, mais non sans franchise: "Le moins de choses possible". Tout va alors changer grâce à sa rencontre avec Vivienne Le Coudy. Entre cette Québécoise et Holger Olsen, l'entente est immédiate. L'amour, lui, naîtra de l'harmonie de deux caractères bien trempés. Tout ce qui semblait improbable apparaîtra comme une évidence. Résultat: Jusqu'au bout du monde est beaucoup plus qu'un western. Et d'emblée, l'un des plus beaux films que j'ai découverts récemment !

Sans délai, il me faut dire que, dans le premier (et quasi-unique) rôle féminin, Vicky Krieps illumine à nouveau l'écran de tout son talent. L'actrice luxembourgeoise est désormais installée dans mon Panthéon cinématographique et je ne vois pas de raison de l'en déloger bientôt. Quelques critiques estiment qu'ici, derrière son visage de femme déterminée, elle cache une fragilité peu compatible avec les valeurs émergentes du féminisme contemporain. Ah ? OK... moi, ça me va. Jusqu'au bout du monde s'articule tout entier autour du personnage de Vivienne Le Coudy, ce qui s'avère déjà remarquable à mes yeux. Celui de Holger Olsen - et, dès lors, Viggo Mortensen lui-même - apparaît presque au deuxième plan. Personnellement, je m'en réjouis et reste lucide: à l'Ouest, les hommes ont souvent régné en maîtres...

Les originalités de ce film doivent-elles être reliées à sa nationalité ? Peut-être. Vous retiendrez en tout cas que le film n'a pas été tourné aux États-Unis, mais principalement au Mexique et un peu au Canada. Il est donc considéré comme à la fois mexicain, canadien et danois. Ce qui ne l'empêche évidemment pas d'être d'une beauté sidérante ! "Nous étions dans un cadre primitif", a ainsi confié le chef-opérateur. Rien de très dépaysant pour les fidèles du grand cinéma hollywoodien de l'âge d'or: les fantômes des cinéastes des décennies 1940 et 1950 ne trouveraient sûrement rien à reprocher à ces images d'aujourd'hui. Retenons donc quelques noms: Marcel Zyskind à la photo, Carol Spier et Jason Clarke aux décors, Anne Dixon aux costumes, par exemple. Jusqu'au bout du monde doit aussi beaucoup à ces technicien(ne)s !

Pour porter son projet artistique, Viggo Mortensen, acteur, n'a assuré "que" les postes de producteur, réalisateur, scénariste et compositeur de la bande-originale... en jouant lui-même de quelques instruments. J'ai été bien triste d'apprendre qu'après deux semaines d'exploitation dans les salles, il n'avait pu y attirer qu'à peine 115.000 spectateurs. Si vous en avez encore l'occasion, allez voir le film sur un écran XXL ! Comme je l'ai dit pour d'autres, il a été conçu pour cela et les regrets que vous auriez si vous le ratez en salles ne vous serviraient à rien. Je tiens à le confirmer: même un amateur de westerns classiques peut largement prendre du plaisir devant Jusqu'au bout du monde. Beaucoup des archétypes propres au genre sont en effet respectés. Vous ne devriez donc pas avoir à regretter d'avoir osé un tel voyage...

Jusqu'au bout du monde
Film canado-mexicano-danois de Viggo Mortensen (2024)

"John Ford et Howard Hawks adoreraient ce film": le problème insoluble, c'est qu'ils sont morts - ce que l'affichiste feint d'ignorer. Moi, je ferais plutôt le lien avec Impitoyable (Clint Eastwood / 1992). En notant que le western, quant à lui, est sans aucun doute immortel. Pour y trouver des femmes fortes, je recommande La dernière piste et The homesman. Ou bien Johnny Guitare au rayon cinéma vintage.

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Et si vous voulez prolonger le plaisir de ce film rare...

Je vous suggère la lecture des chroniques de Pascale et Princécranoir.

4 commentaires:

Pascale a dit…

"elle cache une fragilité peu compatible avec les valeurs émergentes du féminisme contemporain"... mais qui a proféré cette connerie ? Le féminisme (qui a souvent bon dos) me court parfois franchement sur le haricot.

En tout cas je suis heureuse de faire partie des 115 000 qui ont vu ce bijou magnifique qui sera dans le top final annuel. Quelle désolation que les gens préfèrent se bidonner et s'émouvoir (je ne crois pas une seconde à cette compassion/empathie) devant des navets et ne pas voir le gros truc en plus qu'a ce film...

Martin a dit…

On en est arrivé à presque 176.000 spectateurs, désormais. C'est vraiment faible !
Je ne ferai pas de comparaison sur la comédie que tu évoques. Mais j'irai la voir.

Pour ce qui est du féminisme, cela me paraît un peu hors-sujet ici. Mais certains considèrent que cette Vivienne a de la poigne, mais pas assez pour retenir son mari. Mouais...

Pascale a dit…

Retenir son mari ???
Cela me semble bien anti féministe ça !
Bon je ne comprends rien.

Martin a dit…

Peu importe: on est du même avis sur la grande beauté de ce film. C'est tout ce qui compte à mes yeux.