mercredi 22 juin 2016

Guerín parle aussi

Une petite anecdote personnelle, d'abord: par le passé, il m'est arrivé d'avoir à écrire sur des expositions d'artistes, peintres ou sculpteurs. J'aimais avoir ainsi l'opportunité d'une discussion avec l'exposant(e) en question. Pouvoir échanger avec un créateur - ou une créatrice - m'a souvent intéressé et permis de mieux comprendre une démarche.

Autant le dire: avant qu'il nous présente son film, c'était très agréable d'accueillir José Luis Guerín et sa compagne à l'aéroport. Le couple marquait une étape dans un long parcours promotionnel, en arrivant d'une autre région française et avant de repartir dès le lendemain vers Paris, pour trois autres projections de L'académie des muses. Catalan et francophone, le cinéaste a d'abord su prendre mes idées reçues à rebrousse-poil, en se présentant d'emblée comme espagnol. J'ai aussi découvert en lui un Européen et un connaisseur de la culture cinéma au sens très large - il m'a parlé de Jean Vigo et Leo McCarey. J'ai jugé inutile de le conduire vers une longue explication politique...

À l'image de son film (le neuvième long depuis 1984), j'ai vite senti cependant que José Luis Guerín était un homme pétri de culture. D'ailleurs, s'il définit Barcelone comme sa ville, c'est, dit-il, du fait qu'il y retrouve sa bibliothèque entre deux de ses nombreux voyages. Notre homme n'a pas appris son art à l'école: né en 1960, il explique simplement qu'il n'existait pas de formation au cinéma en Espagne quand il était jeune. Voir des films lui aura donc suffi. Il enchaîne désormais les fictions et documentaires, en se jouant des frontières.

Pour introduire L'académie des muses, José Luis Guerín souligne l'absence de producteur cité au générique espagnol. "Mon distributeur français, très gentil, en a ajouté quelques-uns", note-t-il. Le cinéaste parle de choix moral pour justifier ces non-crédits: "J'ai voulu établir un lien direct avec le public". Et d'expliquer cependant que son film parle plusieurs langues: l'espagnol, l'italien, le catalan et le sarde. Avant même la projection, José Luis Guerín se montre déjà disposé au débat à suivre, prêt à entendre "toute question ou récrimination".

Fiction ou documentaire ? Même si le doute est permis, le réalisateur tranche: L'académie des muses est bien une fiction. Il explique toutefois qu'une dialectique existe dans son travail: les deux formes de cinéma s'y enchaînent, l'une après l'autre. "Cela peut amener parfois une hybridation, estime-t-il, avec franchise. Il est possible que ce ne soit pas aussi évident pour le spectateur". Si les repères traditionnels sont brouillés, le cinéaste, lui, assume sa démarche. Pour lui aussi, cette expression cinéma s'est construite petit à petit...

Devant la caméra, chacun joue un rôle... qui est le sien ! "Les acteurs ne sont pas des comédiens, ils sont dans le film ce qu'ils sont réellement dans la vie, mais chacun a un créé un rôle imaginaire". José Luis Guerín indique leur avoir soumis "des hypothèses narratives fictionnelles". Il estime qu'ils sont ses dialoguistes et co-scénaristes. D'abord contacté par le professeur, il a alors été intéressé par le fait de filmer ainsi et de saisir ce qui se présenterait. Aussi surprenant que cela paraisse au vu du résultat, il n'a pas écrit la moindre ligne...

Le cinéaste souligne que son film adopte "la structure de la fiction". C'est vrai: il y a un début, un développement et une conclusion. D'après lui, le tout forme son film le plus classique - je me garde bien de le confirmer, n'ayant pas vu les autres. José Luis Guerín indique qu'il a en permanence alterné séquences de tournage et de montage. Quid alors du scénario ? "Je n'ai pas voulu être trop interventionniste. Pour moi, le cinéma tient aussi de la révélation. J'ai aimé trouver quelque chose qui soit au-delà de moi". Le fruit d'un échange, en fait.

L'académie des muses est une forme de cinéma sans compromis. L'homme derrière la caméra admet avoir travaillé avec un équipement minimaliste et une équipe technique réduite. Le film qui a été créé dans ces conditions aurait en fait pu prendre une toute autre forme. José Luis Guerín dit avoir pensé au court-métrage, à l'installation vidéo ou même... à un ersatz de telenovela brésilienne ! "On active une expérience sans savoir jusqu'où elle va vous mener, ajoute-t-il. Eh bien, c'est à la fois mon film le plus solitaire et le plus partagé !".

L'artiste indique que la composition de certains plans, elle aussi, doit beaucoup au hasard. S'il a filmé la salle de classe "normalement", il a souvent posé sa caméra derrière une vitre quand il s'est agi de capter quelque chose de l'intimité de ses personnages. Que leurs visages puissent alors s'en trouver voilés ou déformés, ça ne l'a pas dérangé. Parfois, il a laissé quelques secondes... sans image. "J'aime en créer qui convoquent l'imaginaire du spectateur. Inventer ce qu'on voit mal et ajouter ce qu'on ne voit pas, on y arrive bien, en lisant". Bien vu...

Aurait-il pu ainsi filmer sans arrêt ? José Luis Guerín dit le contraire. D'après ses explications, il avait même envisagé de conclure un peu plus tôt. Seulement voilà... la discussion de deux de ses personnages féminins a presque rendu nécessaire d'en introduire un autre ! Fidèle jusqu'au bout à sa démarche créative, le cinéaste a dès lors tourné une scène supplémentaire. "Il y a une évolution logique, assure-t-il. Être arrivé à la fin, c'est quelque chose qu'on perçoit naturellement. La conclusion ferme le film et donne un sens à tout ce qui a été dit".

Juste avant le générique, presque entier sur un seul écran, le cinéaste clôt ainsi son récit par des images fixes des principaux protagonistes du film - une belle idée, comme l'expression d'une reconnaissance. L'évidence est que ce long-métrage participatif n'aurait pas pu exister sans eux, leur motivation et leur engagement. L'académie des muses reste un spectacle singulier: je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un film réellement comparable. J'y aurai au moins découvert un réalisateur. Rien ne me dit que je verrai rapidement une autre de ses créations...

José Luis Guerín fait de cet opus "le fils des nouvelles technologies". Il n'aurait pas pu l'imaginer tourné sur de la pellicule 35mm. À rebours des clichés que je peux avoir sur le numérique, il souligne toutefois avoir volontairement laissé apparaître les plans imparfaits, générés par les petits accidents du tournage et imprévus. Et il a eu raison ! Certains servent parfaitement son propos, même si on n'est pas forcé de croire qu'ils n'avaient pas été anticipés. Il y a un peu de ce mystère intimement lié à la création et, de mon point de vue, c'est bien ainsi.

4 commentaires:

Laurent a dit…

Voilà une belle rencontre.
Merci Martin.

Martin a dit…

Merci à toi, Laurent, d'être venu lire cette chronique autour d'un réalisateur pas comme les autres, mais intéressant.

ChonchonAelezig a dit…

Je ne connaissais pas du tout.

Martin a dit…

C'était une absolue découverte pour moi aussi. Sans mon association, je serais passé à côté.