dimanche 24 juillet 2011

Cluedo

Une chronique de Martin

Si ce n'est pas un record, ça ne doit pas en être loin: après avoir sorti 8 femmes en 2002, François Ozon peut se réjouir de voir le film nommé pour douze Césars l'année suivante, mais las ! Son équipe, ses actrices et lui repartiront finalement bredouilles de la cérémonie. Reste ce projet au ton particulier, que j'ai trouvé assez original.

Comme son nom l'indique, 8 femmes, c'est avant tout l'occasion d'ouvrir le carnet d'adresses du réalisateur et de pouvoir alors admirer huit comédiennes dans un singulier exercice de style. Il y a là un remarquable mélange de statuts, d'expériences et de talents. Citons-les: Fanny Ardant, Emmanuelle Béart, Danielle Darrieux, Catherine Deneuve, Isabelle Huppert, Firmine Richard et enfin Ludivine Sagnier, sans oublier Virginie Ledoyen, que vous aurez probablement reconnue sur la photo ci-dessus. Si la comédienne tient un revolver, c'est qu'il est aussi question d'un meurtre, celui d'un père de famille, aussi le seul homme de la distribution, Dominique Lamure alias Marcel à l'écran. Au matin du 24 décembre, ce brave bourgeois a été retrouvé assassiné dans son lit, un poignard planté dans le dos. Il s'avère alors bien vite que chacune des dames à proximité immédiate aurait au moins eu un mobile pour commettre ce crime odieux et manque même d'un alibi pour s'en disculper tout à fait. L'hypothèse d'un rôdeur nocturne étant rapidement écartée de fait...

François Ozon nous convie donc à un jeu de Cluedo. Qui a donc commis le crime ? Gaby, la femme du mort ? Mamy, sa belle-mère ? Suzon ou Catherine, l'une de ses filles ? Les soupçons peuvent aussi porter sur sa soeur, sa gouvernante, sa bonne ou sa belle-soeur. Chacune est à la fois suspecte et enquêtrice dans cette affaire incroyable. C'est en cela que 8 femmes est extrêmement caustique, d'un cynisme macabre du meilleur ton. L'idée même de l'assassinat parait incongrue à tout le monde, spectateurs compris. Il faut pourtant se rendre à l'évidence et s'efforcer de trouver la coupable avant qu'elle ne frappe encore. Du public, on se sent alors un peu comme chez Agatha Christie, les demi-mondaines d'après-guerre ayant remplacé les dix petits nègres du roman. Littéraire, ce film ? Sans s'embarrasser d'envolées lyriques, les dialogues viennent toutefois bel et bien d'une langue écrite, le long-métrage s'inspirant d'une pièce de Robert Thomas, créée à Nice en 1958. L'auteur est d'ailleurs connu comme un spécialiste de ces comédies policières qu'on a longtemps pu croire l'apanage des auteurs anglo-saxons.

Je ne sais pas si c'est d'avoir été porté à l'écran ou son âge avancé, mais 8 femmes n'est toutefois pas un film drôle. Je dirais aisément que c'est d'abord un long-métrage raffiné, avec un gros travail accompli sur le décor et les costumes. Le talent du staff technique, c'est d'avoir su recomposer un univers réaliste tout en apportant quelques touches colorées pour également permettre une distance. Dit autrement, on trouve ça crédible sans trop y croire pour autant ! Voilà l'argument numéro 1 que je retiendrai pour défendre le film: son efficacité, la manière dont il parvient à être lisible en restant d'une certaine façon tout à fait fantaisiste. Autre incongruité caractéristique et assez bien venue: l'introduction au coeur même des dialogues de chansons plus ou moins récentes, une pour chacune des personnages. Ces passages surprennent, mais permettent aussi de caractériser au mieux les protagonistes pour mieux échafauder son propre scénario dans l'attente de la révélation finale. Vous aurez deviné que cette dernière peut étonner, elle aussi: je ne suis pas sûr que beaucoup d'apprentis détectives auront su imaginer le pourquoi du comment. Cette clé d'énigme révélée, le film s'arrête rapidement sur un dernier air connu et une note assez sombre, loin des nuances fluo utilisées jusque là. Voyez si vous êtes curieux de tout savoir...

8 femmes
Film français de François Ozon (2002)
C'est un comble: alors que le cinéaste est connu pour la multiplicité des formes de son inspiration, l'autre film de lui que j'ai chroniqué ici est Potiche, sans doute celui qui ressemble le plus à l'oeuvre présentée aujourd'hui. J'attendrai donc pour faire un classement personnel de mes préférences. Maintenant, s'il me faut évoquer d'autres propositions cinématographiques comparables, je dois admettre que je sèche un peu. Le style ici développé ne m'est pas familier, mais, si on se contente du fond, il faut sûrement aller chercher dans les autres scénarios à "twist" final, par exemple ceux de Sixième sens ou de Shutter Island. François Ozon garde toutefois sa propre personnalité, qu'on peut assurément apprécier... ou pas.

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