samedi 2 juillet 2011

Une discussion avec José Alcala

Propos recueillis par Martin

L'avez-vous lue ? Il y a un peu plus d'un mois, j'ai publié ici même une chronique de Coup d'éclat, film noir français sorti cette année au cinéma. Quelque temps plus tard, j'ai eu la chance et le bonheur que son réalisateur accepte l'idée d'une interview, à paraître toujours sur Mille et une bobines. J'ai donc eu une longue discussion avec lui et je tiens à remercier Catherine Winckelmuller pour l'avoir rendue possible. Merci aussi à Philippe Joseph chez qui j'ai pu disposer d'un téléphone à haut-parleur pour faciliter ma démarche. Merci enfin, et avant tout, à José Alcala d'avoir si gentiment offert de son temps pour évoquer son travail dans ce vaste tour d'horizon.

Coup d'éclat, c'est donc votre deuxième long-métrage...
En effet, après Alex, que j'avais sorti fin 2005.

Comment parleriez-vous de votre parcours jusqu'à aujourd'hui ? Cheminement régulier ou plutôt suite de cahots artistiques ?
Je viens d'abord du court-métrage. J'en ai fait pas mal, en arrivant petit à petit, entre mes envies de cinéma et mon regard sur l'actualité, à composer des personnages qui seraient dans l'instant. C'est ce qui m'a toujours préoccupé, en fait: raconter une histoire et, en même temps, parler de mon époque. Quand on essaye de faire du cinéma, il me semble que c'est une chose importante que de capter un peu de ce temps dans lequel on vit. Pour la fiction, c'est quelque chose qui se prépare. Pour le documentaire, en revanche, c'est un peu particulier. Par exemple, quand j'ai commencé un film sur les Molex, en 2008, c'est aussi parce qu'avec le producteur avec qui je travaillais sur une fiction, on s'interrogeait beaucoup sur la crise, ses causes et sur la façon dont le monde allait peut-être changer. J'ai en fait sauté sur l'actualité: c'est en ce sens que mon parcours peut être chaotique.

Mais au point de départ, comment vient-on au cinéma ? Pourquoi ne pas se tourner plutôt vers la télévision ou une autre forme d'expression artistique ?
Je ne sais pas vraiment. Dans ma famille, en tout cas, on n'allait pas au cinéma. J'ai vu mon premier film en salle à 14 ans. Deux ans plus tard, j'allais en voir à peu près 130 dans l'année et je n'ai plus jamais arrêté. C'est quelque chose qui m'a attrapé et ne m'a jamais vraiment lâché. Après, si on arrive dans un milieu d'expression, je crois que c'est d'abord parce qu'il y a des choses qu'on a envie de raconter. Quand j'écris un film, je suis une vraie éponge. Je capte ce qui se passe autour de moi et je le filtre à ma manière. Et pourquoi alors le cinéma ? Personnellement, le premier film que j'ai vu, c'était Soleil rouge. Pas un chef d'oeuvre, sans doute, mais un grand film, quand même. Et j'ai été fasciné par des tas de choses, du générique à ces gens qui s'exprimaient en grand sur un écran. C'était impressionnant !

Vous êtes-vous alors dit que vous vouliez faire quelque chose dans le cinéma ?
Non, c'est venu plus tard. Avec un copain, on avait acheté une Pathé Webo M, un matériel qui était déjà obsolète à l'époque: une caméra 16mm à manivelle, avec 45 secondes d'autonomie. J'habitais alors Montpellier et le réseau France 3 utilisait encore le même type de film: on nous donnait des rouleaux de 30m en noir et blanc et on nous les développait, gratuitement ou juste en échange d'une bouteille de pastis. C'est comme ça qu'on a fait de petits films, en vrais amateurs. Après ça, le copain est resté cinéphile sans faire de cinéma et moi, j'ai voulu m'y mouiller. J'ai donc réalisé un premier court-métrage: la balle était lancée.

Est-ce que ça s'apprend, le cinéma ?
Oui, je pense.

Et vous avez donc fait des études spécifiques ?
Non. J'étais en fait un très mauvais élève en classe, pas du tout intéressé par les études. Dès lors qu'il s'agissait de cinéma, ça m'intéressait, mais je n'avais pas le bagage nécessaire pour aborder une école. J'ai donc pris des cours par correspondance. Bizarrement, j'excellais alors dans une matière comme l'optique, un truc extrêmement complexe. Et, alors même que j'étais pitoyable en maths, tout à coup, animé par la passion du cinéma, j'ai tout compris. Comme quoi, il n'y a rien d'écrit. Maintenant, à l'époque où je commençais, on pouvait toucher à tout. Avec un peu de culot, arriver à faire un court-métrage, c'était possible. On pouvait aussi faire des petits boulots. J'ai donc découvert le cinéma par tous les côtés, la régie, l'assistanat et même la production. C'est intéressant, d'ailleurs, d'arriver à la réalisation en ayant un peu fait le tour de tous les métiers.

Arrivent vos deux longs-métrages de fiction, Alex et Coup d'éclat. Avec pas mal de temps entre les deux...
Oui, en effet. Alex, c'est un film qui est venu assez naturellement, avec un vrai désir de rencontrer des gens vivant en marge de la société et parvenant à se créer une sorte d'économie parallèle, à partir de la vente de palettes ou de petites choses. Je savais que ça existait, mais, dans le village où je venais d'acheter une maison, je l'ai vraiment découvert de très près. J'ai donc eu envie d'en parler et ça s'est monté assez vite, finalement, même si de manière assez bancale. Au départ, le film s'est lancé avec le soutien du Centre national de la cinématographie, Canal+ nous rejoignant en cours de route. Paulo Branco, le producteur, a vraiment misé dessus ! Coup d'éclat, ensuite... le deuxième film était un écueil qui m'a fait beaucoup plus peur que le premier. Peur d'avoir perdu une fraîcheur, un regard naïf. Le scénario a donc pris pas mal de temps à se construire, mais, dans l'intervalle, il y a quand même eu trois documentaires, deux de 52 minutes et un de 90. Je ne suis pas resté sans rien faire.

Pour Coup d'éclat, vous êtes réalisateur ET scénariste...
Oui, mais c'est le cas pour tous mes films, en fait. Je travaille avec Olivier Gorce, la plupart du temps. C'est un peu le scénariste attitré. Je prépare d'ailleurs un autre film actuellement, avec Olivier toujours, et Sophie Fillières.

Nous allons en reparler. Mais Coup d'éclat, pour vous, c'est un film noir ?
Oui, je préfère parler de film noir que de polar, en effet. C'est vrai que c'est l'histoire d'une femme flic, mais ça aurait pu être celle d'un gangster ou de quelqu'un d'autre. L'idée, en suivant cette femme flic, c'était de tracer un chemin, ce qui m'a paru plus simple avec le parcours d'un policier. Ensuite, il y avait vraiment un vrai désir de me frotter à ce genre. Enfin, encore une fois et modestement, j'avais envie de faire un état des lieux de notre société. Pour ça, le film noir me semblait indiqué: tout ce que je vois aujourd'hui est absolument noir. J'ai pu fouiller dans le monde policier actuel, qui se trouve finalement au coeur de pas mal de choses.

Pour faire ce type de films, est-il justement nécessaire de s'immerger auprès de la police d'aujourd'hui, d'intégrer un service, de suivre les fonctionnaires dans leur travail quotidien ? Maïwenn l'a fait pour Polisse. Et vous, qu'en est-il ?
Non, je ne crois pas à tout ça, tout comme je ne crois pas à l'Actors Studio. Je ne pense pas que pour jouer le rôle d'un SDF, il soit nécessaire de revêtir des vêtements sales pendant dix jours. Oui, je suis allé dans des commissariats, oui, j'ai parlé avec des policiers, bien sûr, je suis allé les voir, mais je ne me suis pas immergé dans leur monde. Qu'est-ce que ça voudrait dire ? Vivre ce qu'ils vivent ? Ressentir ce qu'ils ressentent ? Je ne l'ai pas fait. Je suis au contraire, et volontairement, resté à distance. Ce qui a d'ailleurs déclenché des choses intéressantes: les policiers se sont interrogés sur les raisons de ma présence et ont parfois pu se confier à moi. Je crois que c'était plus naturel ainsi. Je voulais un regard au plus juste sur le monde policier. Je me suis fait une idée très personnelle dans un premier temps et je tenais à ce qu'elle le reste, sans subir d'influence. Ce que j'ai fait, en revanche, une fois le scénario écrit, c'est que je l'ai donné à lire à des policiers.

Y a-t-il eu quelques adaptations, après cette phase de relecture ?
Quelques-unes, oui, des corrections d'ailleurs nécessaires. S'agissant d'une fiction, il n'était pas non plus question de coller à la réalité d'une procédure, au risque de ne plus rien créer à côté. Je voulais que Fabienne soit une flic un peu particulière. Peu confrontée au terrain, elle commet des erreurs, des maladresses. Je voulais que tout cela apparaisse.

Peut-on parler de votre film comme d'une oeuvre engagée ?
Engagée ? Oui, mais je ne suis militant de rien. Je vois mal comment on peut vivre dans l'époque actuelle sans y porter au moins son regard. Personnellement, je remarque des choses que j'ai envie de glisser dans mes films. En fait, plutôt que d'engagement, je parle de vigilance. Comme Stéphane Hessel qui parle de s'indigner de certaines situations pour en mesurer les effets néfastes, je reste en éveil.

Le fait d'avoir réalisé des documentaires nourrit-il cette approche ?
Bien sûr: c'est la même personne qui fait les deux, documentaire et fiction. Dans le documentaire, je ne veux toutefois pas parler de militantisme, ce qui consisterait d'après moi à répondre aux questions avant même de les poser. Dans un film comme celui sur les Molex, il est vrai que j'ajoute une voix off, la mienne, qui donne ma position. Il n'empêche que j'essaye d'avoir plutôt une approche de citoyen que de cinéaste. D'être un témoin de ce qui se passe.

Et Coup d'éclat, donc, n'aurait-il pu être tourné en documentaire ?
Si, mais j'ignore alors dans quoi je me serais immergé. Le personnage de Fabienne, en fait, c'est la correspondance de plusieurs femmes que j'ai rencontrées. Plutôt que de raconter leur histoire, j'essaye de raconter ce qu'elles ont ressenti, qu'elles soient policières ou pas. Dans Alex, ce sont aussi d'abord des rencontres avec plusieurs personnes, femmes ou hommes, qui ont donné naissance au personnage. Je ne me suis jamais servi d'un bout d'histoire en particulier, mais plutôt de sensations que j'ai eues en rencontrant telle ou telle personne.

Vous avez donc réalisé un portrait de femmes, au pluriel...
Oui, de femmes, d'hommes... disons d'individus. C'est véritablement l'amalgame de gens que j'ai rencontrés ou dont le discours m'importe parce que j'y suis sensible. Un ensemble de choses que je parviens à recueillir et mon propre sentiment, oui, évidemment...

Je crois qu'il y a malgré tout de nombreuses incarnations féminines, dans votre cinéma...
Oui, y compris dans les courts-métrages, que ce soit Via Ventimiglia, Case départ, La visite, Les gagne-petit ou même Frigo. Il faudrait que j'en parle à mon psy. Je ne sais pas d'où cela vient, mais dès lors que j'écris un personnage d'homme, il me semble beaucoup plus intéressant une fois transformé en femme. Peut-être en raison d'une fragilité plus grande, peut-être parce que les femmes n'ont pas encore tout à fait leur place dans ce monde et que, d'une certaine façon, c'est ce qui les rend plus intéressantes. Imaginez un film comme We want sex equality avec le combat d'hommes: ce serait moins intéressant qu'ils luttent de cette façon-là, il me semble. Ken Loach arrive toutefois très bien à faire ça avec des hommes...

Pourquoi avoir choisi Catherine Frot pour le rôle de Fabienne ? Vous avez écrit le rôle en pensant à elle ?
J'avais envie d'amener un sujet délicat, un sujet de film d'auteur, vers un public plus important. Catherine et moi nous sommes mis d'accord là-dessus et on avait également cette intention-là avec mon producteur. Catherine est venue très vite après l'écriture du scénario, pas pendant: je n'aime pas penser aux comédiens pendant que j'écris une histoire. Pour moi, c'est une comédienne très atypique dans le panorama du cinéma français, avec une façon particulière de parler et de se mouvoir. Elle me semblait capable d'incarner le personnage de Fabienne avec ses maladresses, ses déséquilibres et ses paradoxes. Pour la rencontre, tout se passe toujours par agent interposé, mais en cinq jours, nous étions face à face, ce qui est rapide. Elle avait vu mon précédent film et elle avait lu le nouveau scénario: tout s'est passé de manière très simple, dans la mesure où elle l'avait aimé.

Y a-t-elle également apporté une touche particulière ?
En fait, au niveau scénario, elle n'a rien amené, même si je l'ai adapté, c'est-à-dire que j'ai modifié quelques petites choses en pensant à elle. Au niveau de l'interprétation, elle a en revanche amené beaucoup, comme je l'attendais. On ne choisit pas une comédienne pour rien. J'avais envie de saisir les particularités de ce qu'est Catherine dans la vie, ce qui me plaisait chez elle, et de construire Fabienne avec ça. Ce qui a été assez drôle, c'est que les deux premiers jours de tournage, on n'arrivait pas vraiment à trouver le bon ton. On était un peu embêtés, tous les deux. Après une grosse discussion, c'est comme si Catherine s'était lâchée, abandonnée complètement à son personnage. Au bout de deux jours, j'avais Fabienne devant la caméra, plus Catherine. Et c'était important d'arriver à cette dimension-là.

Le film devait d'ailleurs s'appeler Fabienne, au départ, non ?
Oui, effectivement.

Pourquoi avoir changé de titre ? Vous souhaitiez qu'on se détache un peu du personnage ?
Non, c'est juste que je ne voulais pas faire Alex, Fabienne et Simone, après. Cela ne me plaisait pas trop de fonctionner comme ça. Je n'avais pas envie d'un autre prénom. Ce n'était pas du tout une question de s'éloigner du personnage ou de donner une autre dimension au film, qui reste de toute façon un portrait de femme. J'avais peut-être simplement envie de quelque chose de plus clinquant que Fabienne, qui paraît un peu à plat.

Le film montre une partie de la vie de Fabienne et de son activité professionnelle, mais il y a aussi beaucoup d'ellipses, de choses suggérées. C'était facile, pour vous, de construire le personnage sans tout montrer ?
Auparavant, quand j'avais écrit le personnage d'Alex, il y avait déjà cette envie de rester au présent. Là, maintenant, pas hier ni demain. Tout le film repose sur un passé dont on ne parle jamais. La seule chose qui en reste, c'est un fils dont elle essaye d'obtenir la garde. On devine juste qu'il s'est passé une succession d'événements néfastes. Cela me plaît beaucoup de fonctionner comme ça, de prendre des personnages là où ils en sont. Avec Fabienne, dans Coup d'éclat, je voulais faire la même chose, c'est-à-dire de la prendre là où elle en était. Qu'y a-t-il dans son passé ? On sait simplement qu'il y a la trace d'un enfant. Est-ce que c'est ce qui va faire qu'elle va s'intéresser plus particulièrement à l'enfant de son affaire policière ? Sûrement, mais pas uniquement. On n'essaye pas de sauver un enfant simplement parce qu'on a eu un problème avec un autre. En tout cas, moi qui n'ai jamais eu de problème de quelque ordre que ce soit avec un enfant, s'il y en a un en péril, il me semble que je vais essayer de faire quelque chose. Dans le film, ce détail alimente l'émotionnel. Il y a ainsi toute une série de choses annoncées, mais jamais vraiment ouvertes. Après, que peut-on dire de quelqu'un qui pleure dans une cellule de commissariat ? A-t-on vraiment besoin d'en dire plus ? On peut certes alors parler de violences policières, de stress, et il me semble effectivement que la police n'est plus actuellement génératrice d'autre chose que de stress. Mais voilà, ce sont autant de petites choses que j'ai envie d'égrainer, qui sont autant de questions posées. Il me semble plus intéressant d'essayer de poser du mieux possible les questions plutôt que de donner des réponses convenues ou redondantes. Je crois que c'est ça, mon métier. Qui suis-je, moi, pour donner la moindre réponse ?

Un petit mot sur le reste de la distribution ? Comment s'est construit ce casting ? À part peut-être Tcheky Kario, ce sont plutôt des acteurs peu connus. Et pourtant, Marie Raynal, par exemple, est presque dans tous vos films...
C'est une excellente comédienne et j'ai plaisir à travailler, à construire des films, en pensant à elle. Pour Carole, qu'elle interprète dans Coup d'éclat, j'avais aussi pensé à d'autres, mais à chaque fois, elle s'imposait: je savais qu'elle pouvait une dimension intéressante à ce personnage. Sans être principal, il est central: l'histoire tourne également autour de lui. Il m'a semblé intéressant de confier le rôle à quelqu'un de solide.

Et pourquoi Liliane Rovère, dans le rôle de la mère de Fabienne ?
On s'est rencontrés pour Alex, dans lequel elle interprétait également un rôle secondaire. Très honnêtement, j'ai vu je ne sais combien de dames de son âge en casting et, à chaque fois, elle s'imposait, elle aussi, par son jeu singulier et sa gouaille. Elle joue ici le rôle d'une vieille communiste et je savais qu'elle lui donnerait une dimension forte. Les dames avec lesquelles elle s'est retrouvée en concurrence n'avaient pas de background. Liliane, c'était incroyable: on avait l'impression qu'elle avait été communiste toute sa vie et qu'elle était juste en train de faire un essai devant la caméra.

Et les autres ?
Tcheky Kario ? Lui fait partie des comédiens que j'aime bien, capables d'interpréter des rôles qui ne m'intéressent pas a priori et qui, pourtant, me séduisent toujours. Après, il y a aussi Karim Seghair, un comédien important dans le film et que j'ai eu beaucoup de mal à trouver. Il est en fait beaucoup plus jeune que ce qu'il paraît: nous l'avons vieilli. Je l'avais raté, dans le casting: je l'avais vu passer et l'avais donc trouvé trop jeune, trop vif. J'ai finalement demandé à le revoir. Je lui ai alors demandé de faire tout à fait autre chose et je me suis rendu compte qu'il avait quelque chose qu'on pouvait utiliser. Il est vraiment devenu le personnage, avec cette espèce de voix rocailleuse. J'étais très heureux d'avoir trouvé mon Kacem.

Le décor, maintenant. Coup d'éclat se déroule à Sète et dans la région. Pourquoi avoir choisi cet environnement naturel ?
D'abord parce que, même si je vis à Paris aujourd'hui, j'ai longtemps vécu dans ce coin-là. Sète est une ville importante dans ma vie, un endroit très cosmopolite, comme souvent les ports, où j'aime me réfugier. J'aime ses rues, le tour de l'étang de Thau. L'autre raison, c'est une raison de production. La région Languedoc-Roussillon nous a aidés à construire le film: on aurait pu choisir Marseille, puisque la région Provence Alpes Côte d'Azur l'a fait également. Le commissariat du film est en fait un tout petit poste de police de quartier. Je voulais une ville portuaire à la dimension de mes personnages, des petits flics, pas de ceux qui mènent de grandes enquêtes. Ils font des reconduites à la frontière, mais aussi d'autres petites affaires. Tout ça, je voulais que ça garde une cohérence et Sète semblait très indiquée pour ça, avec ses contrastes. Sur le Canal royal, vous trouverez une ville méditerranéenne telle que vous pouvez l'imaginer, avec des bateaux et des façades de toutes les couleurs. De l'autre coté de la ville, c'est gris et, bizarrement, c'est là que se passent les reconduites à la frontière, que travaille la police de l'air et des frontières, que les bateaux ramènent les gens. C'est aussi un monde ouvrier, avec les silos et les grosses machines autour des navires. Ce côté-là m'a beaucoup plus intéressé que le folklore. C'est vraiment pour ces contrastes que j'ai eu envie d'y tourner.

Il y a beaucoup de lumière sur la côte méditerranéenne et pourtant, votre film est noir, orienté sur la nuit. Cela a-t-il occasionné des difficultés particulières ?
Cela a demandé toute une composition de lumières, organisée par Laurent Machuel, le chef opérateur, mais aussi tout un travail sur le son. Oui, avec toute l'équipe de Pascal Ribier, l'ingénieur du son, et de Nathalie Vidal au mixage, on a vraiment beaucoup travaillé sur cet aspect. Le truc étonnant, c'est effectivement qu'il s'agit d'un film noir, mais avec en même temps beaucoup de lumières, de quoi remplir un camion entier. Cela représentait à chaque fois des infrastructures énormes à mettre en place pour arriver à ce qu'on y voit dans ce noir complet. La nuit, sur le front de mer méditerranéen, c'est très noir et très froid. Voilà le souvenir que j'ai du tournage: ça aura été une construction faite à partir du noir, pour permettre de voir au mieux les personnages...

Si je comprends bien, il vous a aussi fallu illustrer par le son ce qu'on ne voit pas immédiatement à l'image...
Complètement. Je suis sensible au son, au hors-champ et à tout ce que la fiction peut inventer. La construction du réel passe beaucoup par le son: recréer une ambiance par ce biais m'intéresse beaucoup, peut-être même plus qu'avec l'image, et même si j'ai aimé découvrir le format scope, qui permet d'embrasser une surface très large. Cela me plaît énormément de travailler avec du son tout autour. On ne l'a pas fait avec des effets simples, mais avec le son dans toute son amplitude. De quoi réellement envahir la salle de cinéma.

Et la musique ? C'est la même recherche de représentation ?
En fait, je n'ai mis que très peu de musique dans mes deux longs-métrages. Avec Pascal Ribier et Nathalie Vidal, on a plutôt essayé de travailler la bande son comme une composition musicale. Déjà avec Alex, on a voulu créer une musique avec les sons. De mon point de vue, une musique de cinéma, c'est avant tout quelque chose qui doit sous-tendre une émotion. C'est dans ce sens-là qu'on a essayé de travailler. Au mixage, on avait 95 pistes à gérer, tant il y avait de toutes petites choses. Cette fois-ci, sur Coup d'éclat, j'ai fait appel à Sylvain Bellemare: il construit des nappes sonores. Son travail se mélange au son et permet de continuer à générer des sensations.

Votre film m'a fait penser à ceux de Jacques Audiard ou aux romans de Jean-Claude Izzo. Est-ce qu'un jeune réalisateur comme vous se confronte à des références ou cherche-t-il au contraire à s'en libérer pour apporter sa touche ?
C'est drôle, ce que vous dites. Il se trouve que j'ai dévoré les bouquins d'Izzo et que je suis très sensible à son côté noir et anar à la fois. Quant au cinéma d'Audiard, je ne peux faire autre chose qu'y être sensible également. Après, les références, je tâche de m'en débarrasser, de ne pas y penser quand j'écris. Elles doivent bien surgir de temps en temps, mais j'essaye de rester libre, de toujours de faire valoir un point de vue singulier. Mais oui, j'ai évidemment vu tous les films d'Audiard et j'y ai pris énormément de plaisir, tout comme j'ai adoré Izzo, davantage d'ailleurs en littérature qu'au cinéma. L'adapter, c'est sûrement difficile, mais ce qui a été fait reste loin de l'idée que je me fais des bouquins.

Je n'aime pas dévoiler la fin des films, mais, comparé à la trilogie marseillaise d'Izzo, Coup d'éclat paraît tout de même un petit peu plus lumineux, avec un tout petit espoir...
En effet, même si le film est très noir, j'ai l'impression que Fabienne est un personnage qui va vers la lumière. Quand on l'attrape au début, c'est vraiment une saleté: elle fait son boulot comme un métronome donnerait le tempo. Elle se réveille petit à petit: quand sa mère meurt, elle est libérée de quelque chose. Des choses se passent qui arrivent à l'émouvoir, à l'amener vers quelque chose qu'elle avait enfoui au fond d'elle avec beaucoup d'aigreur. La vie lui a donné pas mal de coups, mais, d'une certaine façon, elle finit par se révéler à elle-même.

Pour finir, j'aimerais parler un peu de vous. Vous serez bientôt à Foix pour participer Festival Résistances...
En effet. C'est un festival qui existe depuis maintenant quelques années et présente des films dans le sens d'une réflexion sur notre société, sur la vigilance citoyenne, aussi. Il s'interroge sur la vie sociale, la vie économique, en France et dans le monde aujourd'hui. J'ai la chance d'avoir été invité pour présenter trois de mes films: Alex, Les Molex - Des gens debout et Coup d'éclat. On va avoir toute une réflexion autour de notre positionnement dans la société. Les festivals sont, je crois, des endroits nécessaires. Je suis donc ravi de participer à l'édition de cette année.

Pour un cinéaste, ce sont aussi des lieux de travail, de rencontres. Finalement, qu'en attendez-vous, personnellement ?
Pour chaque film, que ce soit un court-métrage, un documentaire ou un long-métrage, comment ça se passe ? Enfermé dans une pièce, on est seul ou à deux pour écrire. Après ça, le réalisateur se retrouve sur un plateau à diriger techniciens et comédiens: c'est un drôle de truc, quand même. Ensuite, on passe des semaines au montage, puis en promotion du film. On présente alors le fruit de notre travail le plus simplement possible. Or, les gens ont des réactions ! Par rapport à toutes les étapes antérieures, ça m'alimente énormément d'aller au devant d'eux. Quand j'écris un film, je ne pense surtout pas à qui va le voir et comment: ça ne m'intéresse pas encore. Mais ensuite, j'ai envie de savoir ce que les autres en pensent.

Et pas seulement les professionnels, donc ? Le grand public aussi...
Mais c'est absolument nécessaire ! Les professionnels, c'est bien, mais ce qui m'intéresse d'abord, ce sont les gens vers qui le film est dirigé. Il faut bien sûr en avoir la capacité, mais j'aimerais vraiment ne pas travailler pour des raisons financières, faire en fait du cinéma populaire. Cela ne sert à rien de faire des films qui ne soient pas vus par les gens. Se diriger vers une pseudo-élite, ça ne m'intéresse pas du tout.

J'en profite pour vous poser la question de vos projets. Celle d'un autre film que vous aimeriez faire, par exemple...
En réalité, je fête ce soir (le 13 juin, NDLR) avec Sophie Fillières et Olivier Gorce la fin de l'écriture du prochain. Je me languis de savoir quel vin on va boire ! Nous avons écrit un scénario qui s'appelle Les ouvrières. C'est une idée que j'ai eue pendant le tournage de Coup d'éclat. J'avais très envie d'écrire un film choral qui mélange un peu l'aventure que j'ai connue avec les Molex, qui a duré un an de tournage et davantage puisqu'on continue à se voir, cette aventure-là, donc, avec le monde qu'on connaît maintenant. L'idée, c'est d'en faire une sorte de comédie, dramatique, certes, mais comédie quand même. L'histoire d'ouvrières d'une usine en danger, entre les moments où on y croit et ceux où on n'y croit plus. Nous avons pris beaucoup de plaisir à l'écrire, parce qu'il y a vraiment de vrais moments de comédie et d'autres plus tragiques. Le film avance dans les rires et les larmes. J'espère pouvoir le tourner au tout début de l'année prochaine.

À Sète, toujours ?
Non. J'aimerais bien que ce soit dans les Alpes. J'en ai besoin parce qu'il y a un autre élément important dans ce film: le vélo. On fait référence au Tour de France...

J'ai également entendu parler de vous comme auteur dramatique. Vous avez écrit une pièce de théâtre ?
Non. J'ai participé à des scénographies théâtrales, on m'a demandé de faire des vidéos pour le théâtre, mais je n'ai jamais écrit.

Mais l'art vivant, ça vous intéresse, malgré tout ?
Ah oui, beaucoup ! Catherine Frot va jouer Oh les beaux jours de Beckett et j'ai envie de voir ça ! Je n'ai encore jamais vu d'adaptation qui me plaise de ce texte magnifique.

Et écrire une pièce, ça vous semble insurmontable ?
Non, cela fait partie des choses que j'aimerais bien faire. Le théâtre, je sais que c'est très différent du cinéma, en matière de direction des acteurs, surtout, et de mise en scène. J'ai très envie de m'y frotter un jour. C'est forcément très tentant dans la mesure où l'on aborde les comédiens de manière très différente: il y a des répétitions et on peut mettre les choses en place sur la durée. Et puis, ce que je trouve beau aussi, avec le théâtre, c'est qu'ensuite, les comédiens sont seuls maîtres à bord. Quand ils s'emparent du texte et de la mise en scène, on ne peut plus les arrêter. Pendant l'heure et demie de spectacle, on ne peut plus dire "coupez !".

Pour finir, j'aimerais revenir une dernière fois sur Coup d'éclat. S'il fallait maintenant le situer dans votre carrière, comment en parleriez-vous ? Comme d'un aboutissement déjà ? D'une pièce de puzzle ?
En fait, je n'aime pas trop parler de carrière. Je préfère faire un film après l'autre. J'ai fait Alex et j'en suis très heureux. Même chose avec Coup d'éclat, même si, ces deux films, je ne peux plus les regarder. J'en verrais tous les défauts et ce n'est pas pensable. Maintenant, encore une fois, j'essaye vraiment de vivre avec mon époque et de voir ce qui s'y passe. C'est en ce sens que c'est difficile de faire des plans de carrière. C'est vrai aussi que j'ai envie de raconter l'histoire de vieux républicains espagnols encore en vie et qui ont plein de choses à transmettre. Mon père était lui-même un réfugié politique: il a fait la guerre, connu les geôles franquistes, les camps de concentration au nord du Maroc, la guérilla ensuite en résistance. Bien sûr que j'ai envie de le raconter, de parler de pour quoi des gens s'engagent et poursuivent ce qu'ils appellent une forme de résistance, comme par exemple Jean-Marc Rouillan a pu le faire avec Action directe. Au niveau social, ce sont des choses qui m'intéressent. Coup d'éclat, dans cette histoire, c'était en fait l'une des choses dont j'avais envie de parler. Et, un film après l'autre, j'ai toujours envie de parler d'autres choses.

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