19 mai 1942. Albert Camus n'a que 29 ans quand son premier roman paraît chez Gallimard. Je n'ai pas ressenti de plaisir à sa lecture. Aujourd'hui, c'est bien du film L'étranger que je veux vous parler. Enfin... de celui qui est sorti fin octobre, puisque Luchino Visconti avait réalisé une première adaptation, dès 1967. Retournons à Alger !
Dans cette version, c'est Benjamin Voisin qui prête son détachement et ses traits à Meursault, ce jeune anti-héros que Camus lui-même avait refusé de voir apparaître à l'écran. Je trouve presque logique que son prénom reste inconnu, comme si rien ne le rendait unique. Meursault, en fait, est un banal employé de bureau, en 1938. Sa mère vient de mourir: c'est un télégramme du directeur de son asile (oui !) qui lui apprend. Sans émotion apparente, il fait un aller-retour rapide dans une autre ville - Marengo, l'actuelle Hadjout - pour la cérémonie religieuse, la veillée mortuaire et l'enterrement. Il refuse de dîner malgré une proposition en ce sens, boit un café, fume une cigarette et reste insensible au chagrin des autres, avant de très vite repartir dans la capitale. Le lendemain, il va à la plage et y croise une femme avec qui il travaillait trois ans auparavant. Le début d'une liaison. Marie dit qu'elle l'aime. Et Meursault, lui, juge cela "sans importance".
L'étranger... même après avoir vu le livre, je dois bien reconnaître que le sens de ce titre m'échappait encore. Je l'ai longtemps entendu au tout premier degré: dans cette Algérie encore sous domination française, Meursault se trompait totalement en croyant être chez lui. Le film m'a éclairé: abandonnant la narration à la première personne du roman, il montre un personnage étranger... à tout. Sa mère morte ne l'émeut pas. L'envie de mariage de sa compagne ? Pas davantage. Bientôt, il va "tuer un Arabe". Et alors ? C'est "à cause du soleil". Ressent-il seulement des remords ? Ou des regrets ? Non: "De l'ennui". À beaucoup des questions à son sujet, il répond: "Je ne sais pas". Meursault suit le mouvement. Quand il n'y en a pas, il reste statique. Cette "tendre indifférence du monde" décrite par Camus lui suffit. Hiératique, Benjamin Voisin incarne intelligemment ce personnage peu aimable, mais plus complexe qu'il n'y paraît ! À vous de le juger...
Si le film a attiré mon attention, c'est aussi parce que je suis curieux de ce que François Ozon, le réalisateur, peut nous offrir au cinéma. Dix autres de ses films ont été chroniqués sur les Bobines: son travail m'intéresse, donc, et me fait presque toujours me déplacer en salles. Cette fois, j'étais d'avance enchanté à l'idée de retrouver des acteurs que j'aime beaucoup - Rebecca Marder, Pierre Lottin et Swann Arlaud. En prime, Ozon a su réunir d'autres talentueux visages familiers comme Denis Lavant, Christophe Malavoy et Jean-Charles Clichet. Sans en oublier d'autres, dont j'ignorais tout jusqu'alors, à l'image d'Abderrahmane Dehkani (en photo ci-dessus) et Hajar Bouzaouit. Tout ce beau monde est encore magnifié par la photo en noir et blanc du Belge Manuel Dacosse - sa cinquième collaboration avec Ozon. J'insiste: c'est l'une des plus belles images que j'ai vues cette année. Quand la forme rejoint à ce point le fond, je suis toujours extatique !
Je ne serai pas étonné que L'étranger récolte quelques César 2026. D'aucuns lui reprocheront peut-être un certain "académisme", le fait d'adapter un tel classique de la littérature étant peut-être plus simple que de partir d'une page blanche du côté du scénario. Bien des articles que j'ai lus expliquent toutefois que Camus était jugé inadaptable. Certains disent que même le maestro Visconti a "raté son coup". N'ayant pas pu voir cette version italienne, avec Marcello Mastroianni dans le rôle-titre, je ne peux guère conclure sur ce point aujourd'hui. Restons-en au film de 2025: il m'a paru riche des idées de sa source écrite, qu'il cite d'ailleurs abondamment - et souvent littéralement. Malgré cela, il m'est apparu comme une oeuvre toujours pertinente dans notre 21ème siècle, abordant frontalement des sujets majeurs comme la justice, le racisme, la violence, la sexualité... et d'autres encore, largement transposables dans notre époque. Le fait même que l'intrigue se déroule en Algérie fait sens, compte tenu de ses liens étroits (et parfois douloureux) avec la France. Il est bien d'en parler...
L'étranger
Film français de François Ozon / 2025
J'ai été bavard, OK, mais c'est à la hauteur de mon enthousiasme. Même s'il ne sera pas forcément MON film de l'année, il est certain que j'ai pris un grand plaisir (sensoriel et intellectuel) avec cet opus. Je trouve désormais très difficile de le comparer avec un autre. J'aimerais aller à Alger et peut-être ensuite revoir de très bons films tels Des hommes et des dieux, Les roseaux sauvages ou Le repenti !
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Maintenant, si vous voulez aller plus loin...
Je vous conseille de lire les avis de Pascale, Dasola et Princécranoir. Et le roman ? Oui, bien sûr - j'ai l'impression de mieux le comprendre.
L'étranger... même après avoir vu le livre, je dois bien reconnaître que le sens de ce titre m'échappait encore. Je l'ai longtemps entendu au tout premier degré: dans cette Algérie encore sous domination française, Meursault se trompait totalement en croyant être chez lui. Le film m'a éclairé: abandonnant la narration à la première personne du roman, il montre un personnage étranger... à tout. Sa mère morte ne l'émeut pas. L'envie de mariage de sa compagne ? Pas davantage. Bientôt, il va "tuer un Arabe". Et alors ? C'est "à cause du soleil". Ressent-il seulement des remords ? Ou des regrets ? Non: "De l'ennui". À beaucoup des questions à son sujet, il répond: "Je ne sais pas". Meursault suit le mouvement. Quand il n'y en a pas, il reste statique. Cette "tendre indifférence du monde" décrite par Camus lui suffit. Hiératique, Benjamin Voisin incarne intelligemment ce personnage peu aimable, mais plus complexe qu'il n'y paraît ! À vous de le juger...
Si le film a attiré mon attention, c'est aussi parce que je suis curieux de ce que François Ozon, le réalisateur, peut nous offrir au cinéma. Dix autres de ses films ont été chroniqués sur les Bobines: son travail m'intéresse, donc, et me fait presque toujours me déplacer en salles. Cette fois, j'étais d'avance enchanté à l'idée de retrouver des acteurs que j'aime beaucoup - Rebecca Marder, Pierre Lottin et Swann Arlaud. En prime, Ozon a su réunir d'autres talentueux visages familiers comme Denis Lavant, Christophe Malavoy et Jean-Charles Clichet. Sans en oublier d'autres, dont j'ignorais tout jusqu'alors, à l'image d'Abderrahmane Dehkani (en photo ci-dessus) et Hajar Bouzaouit. Tout ce beau monde est encore magnifié par la photo en noir et blanc du Belge Manuel Dacosse - sa cinquième collaboration avec Ozon. J'insiste: c'est l'une des plus belles images que j'ai vues cette année. Quand la forme rejoint à ce point le fond, je suis toujours extatique !
Je ne serai pas étonné que L'étranger récolte quelques César 2026. D'aucuns lui reprocheront peut-être un certain "académisme", le fait d'adapter un tel classique de la littérature étant peut-être plus simple que de partir d'une page blanche du côté du scénario. Bien des articles que j'ai lus expliquent toutefois que Camus était jugé inadaptable. Certains disent que même le maestro Visconti a "raté son coup". N'ayant pas pu voir cette version italienne, avec Marcello Mastroianni dans le rôle-titre, je ne peux guère conclure sur ce point aujourd'hui. Restons-en au film de 2025: il m'a paru riche des idées de sa source écrite, qu'il cite d'ailleurs abondamment - et souvent littéralement. Malgré cela, il m'est apparu comme une oeuvre toujours pertinente dans notre 21ème siècle, abordant frontalement des sujets majeurs comme la justice, le racisme, la violence, la sexualité... et d'autres encore, largement transposables dans notre époque. Le fait même que l'intrigue se déroule en Algérie fait sens, compte tenu de ses liens étroits (et parfois douloureux) avec la France. Il est bien d'en parler...
L'étranger
Film français de François Ozon / 2025
J'ai été bavard, OK, mais c'est à la hauteur de mon enthousiasme. Même s'il ne sera pas forcément MON film de l'année, il est certain que j'ai pris un grand plaisir (sensoriel et intellectuel) avec cet opus. Je trouve désormais très difficile de le comparer avec un autre. J'aimerais aller à Alger et peut-être ensuite revoir de très bons films tels Des hommes et des dieux, Les roseaux sauvages ou Le repenti !
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Maintenant, si vous voulez aller plus loin...
Je vous conseille de lire les avis de Pascale, Dasola et Princécranoir. Et le roman ? Oui, bien sûr - j'ai l'impression de mieux le comprendre.




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