mercredi 26 février 2020

L'ordre du jour

Sam Mendes a sans nul doute gagné beaucoup d'argent en acceptant de tourner deux James Bond consécutifs. Le réalisateur britannique s'est arrêté à ce doublé: il a bien fait, je trouve. C'est avec curiosité que je me suis alors tourné vers son nouveau long-métrage: 1917. Vous savez peut-être mon intérêt pour la première guerre mondiale...

Le scénario nous met surtout en présence de deux sous-officiers britanniques. Quand le film commence, Blake et Schofield dorment tranquillement au pied d'un arbre - c'est le mois d'avril et il fait doux. Leur repos ne dure pas: réveillé par un supérieur, ils sont envoyés auprès d'un général, qui leur ordonne de rejoindre illico un corps d'armée positionné un peu plus loin, pour ainsi l'avertir d'un piège tendu par l'ennemi. Vous l'aurez deviné: c'est bien sûr une mission extrêmement périlleuse, mais la vie de 1.600 hommes est en jeu. Réaliste ? Ce n'est pas certain. Mais, à mon avis, il ne faut pas juger de la qualité du film selon ce seul critère de vraisemblance. De grâce !

1917 m'a saisi d'emblée et ne m'a plus lâché jusqu'au générique final. J'étais même encore tout chose en sortant de la salle, à vrai dire. Afin de nous plonger dans le récit, Sam Mendes a usé d'une technique décidément populaire ces dernières années: celle du plan-séquence. Concrètement, il s'agit ici de filmer en continu, en "collant" la caméra au plus près des personnages, comme si elle était elle-même partie prenante à ce qui se passe sous nos yeux. On peut toujours chinoiser en expliquant qu'il y a tout de même des coupes, mais il n'empêche que le procédé est franchement efficace. En un mot: on s'y croirait. Coeur serré et souffle coupé jusqu'au bout... une intense expérience !

Malgré quelques (petites) maladresses, le long-métrage est dépourvu d'ambigüité sur la monstruosité de la guerre, une opposition frontale d'hommes qui, en réalité, se ressemblent. Sans donner d'élément important sur le déroulé de l'histoire, j'ai toutefois envie de relever l'une des répliques finales, selon laquelle l'ordre de cessez-le-feu donné un jour peut être annulé à peine quelques matinées plus tard. Cette vérité des conflits recouvre la conclusion du film d'un voile funeste. On peut certes l'anticiper, mais ça fait mal quand même. Surtout qu'avant d'en arriver là, nous aurons traversé une nuit de feu telle que le septième art n'en montre que rarement. Bon, je me tais...

D'une certaine façon, 1917 s'achève un peu comme il avait débuté. Toute l'affaire étant concentrée sur une journée, je me suis surpris, dans la foulée immédiate de la projection, à penser que les soldats aperçus à l'écran n'avaient pas fini d'en baver. J'y vois la preuve manifeste que ce que j'ai vu est parvenu à m'embarquer tout entier. Une mention spéciale pour les acteurs - tous britanniques, eux aussi - et en particulier pour George MacKay (en photo ci-dessus), déjà vu ailleurs, mais dans des prestations assurément moins remarquables. Bref, j'ai pris une claque et j'ai aimé ça. Ah ! C'est un film à découvrir sur écran XXL, of course. Mon conseil: n'attendez pas plus longtemps !

1917
Film américano-britannique de Sam Mendes (2019)

L'histoire dira, tôt ou tard, si nous tenons là un nouveau classique. Pour ma part, dans son genre, je le classe d'ores et déjà dans le haut du panier: je n'avais pas vu de scène de tranchée plus saisissante depuis Les sentiers de la gloire. Le film a été comparé à Dunkerque pour son aspect immersif, mais je crois qu'il lui est encore supérieur. Pour une émotion plus grande, rien de tel que La vie et rien d'autre !

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Je ne voudrais pas oublier les Oscars...
Oui... le film était tout de même candidat à dix statuettes dorées ! Bilan: il en a obtenu trois - photo, son et effets visuels. C'est mérité.

Si, maintenant, vous cherchez d'autres alliés...
Vous pourrez aller faire un tour chez Pascale, Dasola et Princécranoir.

14 commentaires:

cc rider a dit…

Aucune fiction , ne pourra jamais restituer l'horreur des champs de bataille de la grande guerre, dont les témoignages des véritables acteurs du conflit , quel que soit leur bord, donnent froid dans le dos, mais l'approche scénaristique ou nos deux soldats anglais , n'affrontent que des soudards totalement déshumanisés , incapables du moindre sentiment, et qui massacrent allégrement toute forme de vie sur leur passage méritait à mon sens un peu plus de subtilité.
La réalité devait être un peu plus complexe du coté allemand si j'en crois Eric Maria Remarque . Au de là de cette remarque : Grand film à voir sur grand écran...

Pascale a dit…

Pas sûre que l'histoire et "l'ordre" soient invraisemblables. Ce film m'a rappelé Gallipoli de Peter Weir (que je te recommande bien sûr) avec un tout jeune et formidable Mel Gibson de 25 ans où là aussi des jeunes gens (australiens !!!) sont envoyés à la mort dans les Dardanelles...
L'immersion est totale et on sent tellement l'absurdité. Survivre à cette journée, ok, mais à la suivante ?
George McKay était déjà très prometteur dans Captain Fantastic.
Un grand film, oui.
Mais les amoureux des Sentiers et du "c'était mieux avant"... diront que le Kubrik est indépassable.

Pascale a dit…

Si tu te passionnes pour la guerre 14/18, Galipolli est INDISPENSABLE.

eeguab a dit…

Très beau film à l'évidence. J'habite une région où les témoignages du paysage sont très présents. A bientôt.

Martin a dit…

@CC Rider:

Je suis d'accord avec vous pour dire qu'aucun film ne pourra rendre compte de la monstruosité de la guerre. Confortablement assis dans un fauteuil de cinéma, on ne peut à l'évidence pas ressentir le dixième de l'angoisse que les Poilus et autres combattants ont ressentie. Et je crois que c'est encore tout à fait valable quant aux guerres d'aujourd'hui.

*** ATTENTION SPOILERS *** Un petit bémol sur votre appréciation de la déshumanisation de l'ennemi ici représenté - d'aucuns ont parlé d'esthétique vidéoludique. Je ne suis pas tout à fait d'accord, notamment parce qu'il y a la scène avec les deux soldats saouls. À ce moment du film, je me suis dit que Scofield voyait l'ennemi de très près et qu'il se rendait compte qu'il lui ressemblait étrangement. Mais ça peut encore se discuter...

On se retrouve pour dire que c'est un film important, je crois.

Martin a dit…

@Pascale 1:

Moi aussi, j'ai pensé à "Gallipoli" (que j'ai oublié de citer en conclusion !).
La scène de course, évidemment, lui fait écho, mais chuuuuut ! Évitons d'en dire trop.

"Les sentiers de la gloire" ? La comparaison s'impose à mon avis, mais je n'ai pas envie de dire que tel film est meilleur (ou moins bon) que tel autre. Le traitement n'est pas le même, la période non plus, chaque auteur ayant sa personnalité. Je suis content que les deux films - et d'autres encore - existent et je suis ravi de les avoir vus tous les deux dans d'assez bonnes conditions. Quelle claque à chaque fois !


Martin a dit…

@Pascale 2:

J'ai tout dit juste au-dessus. Si tu fais une recherche via mon index, tu retrouves facilement "Gallipoli". Et tu constateras que nos avis convergent largement.

Après mon propre petit retour en arrière, je constate que j'avais vu le film en 2015 et, en fin d'année, l'avait classé au troisième rang de mes découvertes "films anciens" de ce millésime. C'est dire !

Martin a dit…

@Eeguab:

Très heureux de nous savoir en accord sur ce film, mon cher Eeguab !

Et merci, au passage, de rappeler la mémoire de notre terre (presque) commune !
Il faut dire modestement que la guerre de 1914 fait aussi partie de mon histoire familiale...

Princécranoir a dit…

Nous nous rejoignons pleinement sur ce film, comme tu l'as dit, immersif. Plus qu'un récit réaliste (ce qu'il est par endroit), c'est un songe, une errance aux franges du fantastique, au limite du réel (parce qu'on voit à la guerre est littéralement "incroyable"), un concentré de guerre comme le sont souvent les récit du genre au cinéma. S'il fallait le rapprocher d'un autre film, ce serait pour ma part "il faut sauver le soldat Ryan" plus que "Dunkerque", plus intellectuel me semble-t-il. Quant aux "sentiers de la gloire", c'est surtout une affaire de prétoire plus que de champ de bataille. Sur le terrain, mieux vaut aller voir du côté des "Croix de Bois".

Martin a dit…

Je me réjouis pleinement de cette convergence matinale !
Il est vrai que le film revêt une dimension fantastique que je n'ai pas explicitée.

Au petit jeu des comparaisons, "Il faut sauver le soldat Ryan" est souvent cité.
Je maintiens "Les sentiers de la gloire" pour cette scène d'assaut que Mendes double en perpendicularité.

tinalakiller a dit…

Sans crier au coup de coeur, bien aimé ce 1917 même si je trouve qu'il y a des baisses de régime dans la seconde partie du film.

Martin a dit…

Ravi de te savoir plutôt dans le camp de celles et ceux qui ont aimé le film, Tina.

Je n'ai pas vu de baisse de régime, pour ma part, et j'aime bien les scènes plus calmes de la fin. Celle où le soldat chante est peut-être même ma préférée entre toutes.

tadloiducine a dit…

La guerre qui déshumanise, oui... L'humanité spontanée de certains n'est pas forcément payée de retour (c'est la guerre, dira-t-on!). Du coup (et sur ce thème-là), moi, davantage qu'aux Sentiers de la gloire, c'est de "Il faut sauver le soldat Ryan" que je pourrais le rapprocher...
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola

Martin a dit…

Eh bien, quelle remontée des archives au grand jour !
Je n'ai pas encore mis un terme à mon intégrale Spielberg. Je m'y replongerai donc tôt ou tard...