jeudi 19 juillet 2018

De neige et de feu

Un constat: les grandes images ne font pas toujours les grands films. J'aurais toutefois aimé juger de La lettre inachevée sur écran géant ! C'est à mon avis dans son format XXL originel que ce noir et blanc sublime relève toute sa (dé)mesure. Le DVD, lui, n'est qu'un pis-aller. Ce qui, sachez-le, ne signifie pas que je regrette de l'avoir regardé...

Autant le dire tout net: j'ai au contraire été très heureux de saisir l'occasion d'apprécier un autre film du fameux tandem du cinéma russe: Mikhaïl Kalatozov (réalisation) / Sergueï Ouroussevski (photo). Tourné et sorti à l'époque des Soviets, cet très spectaculaire opus passerait aisément pour une oeuvre de pure propagande, à la gloire exclusive de la Révolution socialiste. C'est indiscutable: il s'agit bien d'un travail de commande. Pourtant, déboulonner la statue reviendrait à négliger les distances que les exécutants ont prises avec l'imagerie triomphaliste du régime. La lettre inachevée a certes pour héros quatre géologues - une femme et trois hommes - envoyés au fin fond de la Sibérie à la recherche de diamants, en vue d'enrichir les caisses de l’État. Dès le début, un carton témoigne d'ailleurs d'un parallèle audacieux avec la conquête spatiale. Reste que l'expédition, deux ans après le Spoutnik et deux autres avant Youri Gagarine, tourne mal. Cet échec permet au duo ci-dessus évoqué de déployer tout son talent artistique, à la grandiloquence assumée. Un style, un vrai, un tatoué !

Je veux croire que certains réalisateurs contemporains, promoteurs sincères de films de survie musclés, ont pu trouver là une source d'inspiration pour des créations dites actuelles. Je me dis également qu'une telle expressivité des images, de fait couplée avec la virulence de la musique, peut évoquer les éternels chefs d'oeuvre du muet. Finalement, comme à l'opéra, les dialogues ne font guère qu'apporter une vague émotion supplémentaire à La lettre inachevée: je trouve que l'on pourrait presque s'en passer, tant tout le reste est puissant. Impossible, dès lors, de ne pas mentionner la formidable contribution de David Vinitski, chef décorateur: pour l'anecdote, les historiens d'art retiennent que le film fut amplement dessiné, avant de s'inscrire dans un décor naturel, ajusté pour "coller" à cette vision primitive. Chaque petit détail a donc sans doute été scruté, analysé, vérifié. Résultat: une merveille sur le plan formel. Je serai moins louangeur sur le fond, mais, à vrai dire, cela n'a pas la moindre importance. Retenu par le feu, la pluie ou la neige, j'ai frémi... comme rarement !

La lettre inachevée
Film soviétique de Mikhaïl Kalatozov (1959)

Petit mémo: en novembre dernier, je vous avais parlé d'un autre film du même réalisateur - Quand passent les cigognes, Palme d'or 1958. D'un point de vue stylistique, je ne trouve guère d'équivalent véritable à ces deux références du cinéma international. Après, pour ce qui est de l'histoire, celui d'aujourd'hui peut être la matrice de The revenant ou avoir inspiré Le territoire des loups. Mais... je l'aime davantage !

4 commentaires:

Strum a dit…

"tant tout le reste est puissant" : hé hé. Très bonne idée de visionnage. Celui-là, je ne l'ai pas encore vu. Je me le réserve encore après le choc qu'a été l'incroyable Quand passent les cigognes. Mais je le verrai bientôt maintenant et je m'en réjouis par avance. Content que tu aies aimé à ce point !

Martin a dit…

Lire une chronique strumienne sur ce grand film ne serait assurément pas pour me déplaire.
Je comprends bien ce que tu veux dire en parlant de choc. Puisse ce film t'en réserver un autre !

Pascale a dit…

Et bien tu donnes fichtrement envie.

Martin a dit…

J'en suis ravi ! Mikhaïl Kalatozov est l'une de mes grandes découvertes de ces derniers mois.