samedi 23 mai 2020

Au nom des pères

Marcel Pagnol n'a fait confiance qu'à lui-même pour boucler sa trilogie marseillaise. 1936: il avait alors provisoirement renoncé au théâtre. C'est donc dans les salles de cinémas qu'il proposa au public français de venir découvrir la fin de l'histoire, avec les mêmes protagonistes. Une bonne vingtaine d'années ont désormais passé sur le Vieux Port...

Attention: comme avant-hier, en parlant de ce film, je vais évoquer certains points de l'intrigue qui pourraient vous être encore inconnus si vous n'avez pas eu la chance de voir l'un ou l'autre des épisodes précédents. En réalité, il faut au moins que je révèle que César introduit un personnage: Césariot, le fils de Fanny et de Marius. Quand nous reprenons le fil, le jeune homme est encore persuadé d'être l'enfant d'un autre: le brave Panisse, qui a épousé sa mère délaissée par son amant, sauvant ainsi l'honneur de la jeune femme. Oui, mais voilà: l'homme, de trente ans l'aîné de son épouse, souffre d'une grave maladie et n'a plus guère que quelques heures à vivre. Même si les amis qui l'entourent s'efforcent de rire, il est évident pour nous, spectateurs, que la suite ne prêtera pas à la galéjade. C'est précisément ce que j'aime dans ces films: leur capacité à mêler l'humour à la tragédie. Oui, l'esprit, l'âme Pagnol pour moi... c'est ça !

Il est vraisemblable que la tâche soit plus aisée avec des pointures comme Charpin pour donner corps et coeur à toutes ces belles figures méridionales. Les historiens du cinéma parlent toutefois de difficultés certaines pour Pagnol, quand il lui a fallu trouver ses comédien(ne)s. Question d'accent, entre autres: la crédibilité des unes et des autres repose largement sur la maîtrise des expressions et de la verve marseillaises. Sincèrement, de ce point de vue, je veux vous assurer que César m'a comblé: même Orane Demazis, très souvent présentée comme trop "nunuche" pour incarner Fanny, m'a paru convaincante. Que ce film et ceux qui l'ont précédé puissent symboliser Marseille avec éclat m'amuse d'autant plus qu'à l'origine, la trilogie filmée n'a vu le jour qu'avec le précieux soutien... d'une antenne de la Paramount ! Or, face au troisième volet, on ne peut imaginer que le premier opus sortait de studios situés dans le Val-de-Marne. La magie du cinéma...

Ancienneté du film oblige, on s'étonne certes moins que les scènes urbaines soient rares: César est en quelque sorte un long-métrage d'intérieurs, même si Pagnol réserve de belles séquences à sa ville chérie, ainsi d'ailleurs qu'à la région environnante. Il est indiscutable qu'il aime les petites gens qu'il donne à voir, sans jamais se moquer de leurs quelques travers. La présence d'un Lyonnais dans le groupe d'amis apporte une touche de décalage et renforce notre plaisir ! Après les cartes et les boules, on découvre le trompe-couillon, un jeu inédit et plus typique encore, dont les "subtilités" prêtent à sourire. Cela étant, je le dis clairement: les deux ou trois apartés de ce genre n'ont qu'un intérêt limité, qui nous éloigne un instant de la trame principale. Très clairement, il s'est essentiellement agi pour Pagnol non pas d'illustrer la vie dans le Sud, mais bien de conclure son récit. N'avait-il pas tout en tête dès le départ ? Euh, en fait, pas vraiment...

L'anecdote vaut le détour: la légende dit que, coincé par une panne d'inspiration à la moitié de son scénario, l'auteur fit une rencontre déterminante avec une vieille dame, qui lui demanda d'écrire la fin avant... qu'elle ne passe l'arme à gauche. Ce qui fut fait et bien fait. Par la suite, ce n'est que dix ans plus tard, en 1946 donc, que le script fut transformé en une pièce de théâtre - une réécriture dans le sens inverse des deux premiers volets. Je vous rassure: jamais la qualité du film ne m'a réellement semblé pâtir de ces péripéties en coulisses. D'aucuns considèrent César comme le plus faible des trois chapitres de la saga: quant à moi, j'estime que le tout se tient admirablement. Bon... si vous ne devez en voir qu'un, le mieux reste de commencer au début, oui, mais ces six grosses heures de cinéma passent vite. Désormais, ces merveilles existent en copie restaurée: quel bonheur ! J'ai parlé de patrimoine et, soyez-en sûrs: le terme n'est pas usurpé...

César
Film français de Marcel Pagnol (1936)

Difficile de détacher cette conclusion du reste de la trilogie: j'espère que ma chronique vous aura montré que j'apprécie surtout l'oeuvre d'ensemble. Ce qui est singulièrement beau, ici, c'est que les acteurs n'ont pas l'air d'avoir pris de l'âge: un gage d'immortalité, peut-être. Vous m'excuserez de ne pas évoquer d'autres films pour comparaison. Il est probable qu'un jour prochain, j'en revienne à Pagnol lui-même...

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Et maintenant, avant d'enfin tourner la page...

La chronique de "L'oeil sur l'écran" peut vous tenir lieu de point final.

2 commentaires:

Pascale a dit…

Merci de ne pas comparer :-)
C'est fou que l'histoire se soit écrite petit à petit ! Marcel l'a conclue admirablement sans éluder les drames et ces vies gâchées/sacrifiées.
Marius n'a pas le beau rôle...
Fanny est magnifiquement interprétée et c'est Orane forever. Je crois que c'est dans ce film qu'elle pousse un coup de gueule en disant qu'elle en a assez que les vieux lui dictent tout ce quelle doit faire. J'étais tellement contente quelle claque le beignet à César.

Martin a dit…

Je m'efforce de ne pas comparer l'incomparable...

ATTENTION SPOILERS !!!

Ce que je trouve beau, moi, au-delà des drames et des vies (provisoirement ?) gâchées, c'est que ce dernier épisode où, après s'être longtemps tu sur la nature réelle de leurs sentiments, les personnages se parlent une dernière fois franchement, ce qui aboutit souvent à un apaisement (Panisse), à une affection enfin trouvée (Césariot) ou à une réconciliation tardive (Fanny-Marius et César-Marius). Tu as raison de souligner que Fanny, notamment, y gagne en modernité: elle est une femme, désormais, et plus la pauvre gamine des débuts.

Le tout se passe sans abandonner le plaisir de la galéjade propre à toute la trilogie, avec M. Brun enfin consacré en sage ultime après la mort de l'ami et le constat de la partie de cartes, plus jamais comme avant. Et oui, je trouve cela magnifique, tout simplement, et sans équivalent. Mieux: la conclusion ouvre une porte qui nous permet d'imaginer une suite heureuse. Merci, Monsieur Pagnol !