mercredi 8 avril 2020

Un héros fragile

Le saviez-vous ? Parmi les 38 films que Clint Eastwood a réalisés jusqu'à ce jour, 14 ont franchi la barre symbolique du million d'entrées dans les salles françaises. Sauf surprise, Le cas Richard Jewell restera probablement en-dessous... et ce n'est pas vraiment grave. Cela ne change rien, en fait, à l'affection que j'ai pour le bonhomme !

Évoquer Eastwood en 2020, ce n'est ni difficile, ni facile pour autant. Son côté "amerloque-droit-dans-ses-bottes" a de fait quelque chose d'exaspérant, parfois, quand il ne fait visiblement rien pour tempérer ses ardeurs et ses déclarations de vieux mâle blanc tendance réac'. Papy Clint a des constances, ainsi que de drôles de fichus paradoxes. Toutes ces dernières années, il a beaucoup travaillé sur la thématique du héros anonyme et dénoncé les institutions (étatiques, médiatiques ou même religieuses) susceptibles de l'enfermer, voire de le briser. Parfois, il s'est montré d'une finesse extrême, mais il est arrivé aussi que son indéniable conservatisme rende ses propos durs et cassants. Ce qui est intéressant dans Le cas Richard Jewell, c'est qu'il s'appuie sur un personnage réel, très rapidement passé du statut d'homme providentiel à celui d'ennemi public numéro 1 ! Une bonne inspiration.

Richard Jewell - le vrai - était agent de sécurité dans un parc d'Atlanta quand, au cours de l'été 1996, pendant les Jeux olympiques, il repéra un sac à dos suspect à proximité immédiate d'un concert en plein air. Après qu'il a débuté les opérations d'évacuation, une bombe explosa, mais le bilan fut moins lourd que dans d'autres attaques similaires. Retour de balancier: quelques jours seulement après avoir été célébré comme le sauveur de nombreux innocents, Richard Jewell fut soumis à une enquête officielle et accusé d'être un "pompier pyromane". Après une analyse sociologique plus que discutable, d'aucuns jugèrent que son profil correspondait parfaitement à celui d'un déséquilibré dangereux. Plus ennuyeux: en fouillant dans son passé, les autorités en tirèrent des points peu reluisants, ce qui renforça leur conviction. Le film vous expliquera mieux que moi à quel point elles s'étaient fourvoyées. La leçon vaut pour d'autres époques - et en d'autres lieux.

Pour l'administrer, il fallait un casting à la fois investi et convaincant. Bingo: Clint Eastwood n'a pas besoin de star pour être bien entouré ! Ici, la tête d'affiche échoit à Paul Walter Hauser, un quasi-inconnu. Avec lui, Kathy Bates, Sam Rockwell, Olivier Wilde et Jon Hamm offrent un lot de visages familiers, mais j'insiste: pas de vedette ! D'après les photos des principaux protagonistes réels, je dirais donc que l'idée était ici de miser sur une certaine ressemblance physique. Qu'importe: ce sont avant tout des idées qui sont défendues et le film s'avère édifiant dans ce qu'il peut dire de nos humeurs collectives. Sans aller toutefois jusqu'à se hisser parmi les grands chefs d'oeuvre eastwoodiens, Le cas Richard Jewell se révèle (un peu) plus nuancé que d'autres opus du maître: ainsi, le héros n'est donc pas "parfait". Quelques effets trop appuyés demeurent, certes, dans la description de la presse, par exemple. Je n'en tiendrai pas rigueur au réalisateur.

Clint Eastwood a tourné ce film à bientôt 90 ans: c'est un âge avancé. J'imagine qu'on ne renonce plus à ses idées et qu'on ne substitue rien à ses méthodes de travail habituelles (je n'ai pas dit routinières). Bref... disons que le vieux cowboy demeure plutôt fidèle à lui-même. Ici, à trop charger la mule, il commet quelques fautes de goût regrettables - faisant par exemple d'une journaliste une arriviste dépourvue de scrupule, finalement repentante et si compréhensive vis-à-vis de l'infortuné Richard... qu'elle écrasera quelques larmes ! Passons: malgré ces "maladresses", j'apprécie ce bon vieil Eastwood pour sa capacité à filmer une certaine Amérique et l'absence d'esbroufe dans sa mise en scène. Et, basiquement, je me dis aussi que c'est bien qu'il ait rendu cet hommage à Jewell, hommage posthume, du reste, puisque l'intéressé est mort en 2007, à 44 ans seulement. Tiens ! Une ultime remarque: comme d'autres, j'ai noté également qu'une personne obèse était ici sur le devant de la scène. La vérité des faits. Et une façon de nous faire accepter la différence ?

Le cas Richard Jewell
Film américain de Clint Eastwood (2019)

C'est la... 25ème fois que je chronique un opus de mon cinéaste chouchou ! Je le répète: on reste à distance des plus hauts sommets de sa carrière, mais on tient vraiment à mes yeux un long-métrage très honorable. Je suis d'accord avec ceux qui le placent dans la lignée de Sully - un autre Clint bien ficelé, que je vous recommande donc. Sinon ? Je veux en voir d'autres ! Et, à terme, toute sa filmographie ! 

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Et pour finir, si vous voulez d'autres avis...

Je vous encourage à lire également ceux de Pascale et Princécranoir.

4 commentaires:

Pascale a dit…

Du très bon Clint.
Moi je ne prends même plus la peine de m'apesantir sur ses paradoxes, d'autres sen chargent :-) et mieux que je ne le ferais.
Effectivement le rôle, le traitement et l'interprétation de la journaliste sont PÉNIBLES.
Pour le reste, c'est du bon et le choix des acteurs un sans faute.
Sauf Olivia Wilde, son personnage est antipathique, son interprétation vulgaire la rend détestable.
Mention spéciale à Sam Rockwell : parfait, notamment quand il doit tenter de faire taire son client trop bavard.

Martin a dit…

Il y a de superbes exceptions, mais Clint et les femmes... euh... c'est pas toujours jojo. Surtout qu'on ne peut pas dire qu'Olivia Wilde soit habituellement une immense vedette hollywoodienne. Bref...

C'est vrai que Sam Rockwell est excellent ! Je trouve sa prestation d'autant plus réussie qu'il ne tire pas vraiment la couverture à lui et, à mon humble avis, laisse même l'essentiel de la lumière à un magnifique Paul Walter Hauser. Et les scènes dont tu parles apportent une (petite) touche d'humour bienvenue, qui confirme que le premier adversaire d'un avocat est parfois... son client !

Pascale a dit…

Je ne suis pas d'accord pour Clint les femmes même si certaines passent de sales quart d'heure.

Olivia Wilde n'a jamais imprimé la péloche.

Sam... si, il imprime bien depuis ses premiers films.

Martin a dit…

Non, en fait, avec les femmes, je voulais dire que je trouvais qu'il était rare que Clint leur confie un rôle de première importance. Et que sa filmographie est aussi truffée de quelques gourdes retentissantes. Mais, comme je disais, il y a aussi de superbes exceptions. De toute façon, j'imagine qu'il n'est pas possible de faire jouer une idiote à Meryl Streep, par exemple...

Je te confirme pour Olivia Wilde. Le seul souvenir que j'avais avec elle, c'est "Cowboys et envahisseurs", c'est dire. En vérifiant, je vois aussi qu'elle a joué dans "Her" et je m'en souviens, en y repensant, mais ce n'était pas un grand rôle. C'est une actrice de second plan, à mon sens, qui fait malgré tout une carrière honorable.

Sam Rockwell, je ne le connais que très mal. Mais le film donne envie de le retrouver ailleurs !