jeudi 10 novembre 2016

Un avis sur la violence

D'avoir visionné successivement trois films américains m'a rappelé soudainement l'importance de la violence dans le cinéma hollywoodien d'hier et d'aujourd'hui - et peut-être bien dans le cinéma "tout court". Quand je prends du recul, je constate que les flingues sont de sortie dans une majorité des films que je vois. Et ça me pose question(s)...

La question de la représentation de faits violents dans une dynamique de divertissement doit être aussi ancienne que les arts représentatifs eux-mêmes. Quand, en 1903, Justus D. Barnes pointa son revolver vers le public et fit feu, l'acteur du fameux The great train robbery suscita paraît-il un mélange d'enthousiasme et de crainte. Je me dis que la peur n'est pas venue parce qu'il tuait quelqu'un, mais plutôt parce que son canon était pointé directement vers le spectateur anonyme... et vulnérable ! Au cinéma, la mort avait déjà frappé avant. Depuis ? J'ai l'impression qu'elle ne s'est jamais arrêtée. Notez qu'en ce sens aussi, le septième art fait juste écho... à la "vraie vie".

Pour être honnête, je dirais que la violence n'est pas quelque chose que je réprouve au cinéma. Quand le scénario la justifie, j'admets même que je l'accepte sans sourciller. J'ai plusieurs fois constaté qu'elle me paraissait plus "efficace" quand elle n'était que suggérée. Ainsi, alors que je tique très régulièrement devant les films récents de Quentin Tarantino, je me souviens d'avoir connu une émotion forte devant le tout premier, Reservoir dogs, quand Michael Madsen torture son otage, hors-champ. Le paradoxe veut que je reproche aujourd'hui au même QT de tomber dans le systématisme outrancier. Je ne le qualifierai pas d'irresponsable, mais j'ai du mal à apprécier réellement ses manières cartoonesques de représenter la mort donnée à autrui. Surtout dès lors que, dans un même film, la même situation peut être filmée de façon beaucoup plus crue et frontale. Cela revient pour moi à orienter l'opinion du spectateur - et non, je n'aime pas ça !

Je ne crois pas pour autant être un Bisounours. Même si l'acte réel mérite à mes yeux un très sévère châtiment, le fait que Jan Kounen ait osé filmer le pseudo-viol de Monica Bellucci dans Irréversible aurait plutôt tendance à me rassurer sur l'avancée réelle de la société démocratique. Je n'ai pas vu le film, je n'ai pas spécialement envie d'ailleurs de le rattraper, mais je suis content qu'il puisse exister. D'une manière générale, il me semble positif que le monde du cinéma soit en mesure de tout montrer, en laissant alors chaque spectateur libre de découvrir et de ressentir ce qu'il veut. Dans le septième art comme ailleurs, je ne crois ni aux interdits, ni aux obligations. Définir ce qu'il sera acceptable d'exprimer, ça me paraît dangereux. Plus que des limites, je crois que la raison doit mettre des bornes. Une société responsable ne devrait pas censurer, mais plutôt inventer un système qui permette à chacun de ses membres d'anticiper facilement la violence à laquelle il risque de s'exposer. C'est l'objectif des classifications "Déconseillé aux moins de...". Enfin, je l'espère...

La question de l'âge me paraît tout à fait centrale: accepte-t-on mieux la représentation de la violence dès lors que l'on est plus âgé ? N'ayant pas encore d'enfants, je n'ai pas réellement d'opinion argumentée sur ce point, ce qui ne m'empêche pas d'en faire aussi une source régulière d'interrogations - et en particulier pour inciter les jeunes parents que je côtoie plus ou moins régulièrement à tester la fibre cinéphile de leurs marmots ! La violence fait mal ? Elle rend triste ? Il vaut mieux s'en garder tant qu'elle ne nous est pas infligée ? Possible. Moi-même, je préfère la tendresse... et j'apprécie les films qui jouent allégrement sur le bon sentiment. Je ne me souviens plus si j'ai pleuré ou non quand le chasseur a tué la maman de Bambi. J'imagine que c'est parce que j'ai reçu de solides repères éducatifs que le cinéma ne m'a JAMAIS traumatisé - et aussi que j'en parle parfois sur un ton aussi sentencieux ! Notre rapport à ce que l'art comporte de violent tient, je crois, à notre capacité de confrontation. Au sens premier: de notre force pour "aller voir". À chacun la sienne.

----------
Bien sûr, votre avis m'intéresse...
Sur ce point comme sur tous les autres, je n'ai pas la science infuse. Autant dire que j'espère vos impressions, avis... et contradictions ! 

18 commentaires:

ideyvonne a dit…

Pour moi, il y a une différence entre la violence filmée avec des actes et la violence visuelle d'une mort "statique" à l'écran. La 1ère est bien plus choquante que la 2ème!!! D'ailleurs, les enfants ne s'y trompent pas. Ils disent que la mort ce n'est pas beau, que ça peut même ressembler "à un monstre" (réaction d'enfants de 8 à 12 ans quand j'étais éduc)
Par-contre pour les actes de violences, je trouve ça tout à fait normal de mettre des logo d'avertissement. La maturité de l'esprit est pris en compte ainsi que l'évolution de la société. Mais cela pose un autre problème : doit-on TOUT montrer sous prétexte que l'on se dit une "société évoluée"... Personnellement, je ne le pense pas !

Laura L a dit…

Super article !
Vraiment très interessant je ne me suis jamais vraiment interrogée sur la question.
Et ça sera un peu plus le cas à présent. Par contre nous ressortir l'image de Bambi et sa maman c'est carrément cruel ! =)

Bonne soirée à toi

Martin a dit…

@Ideyvonne:

Je suis tout à fait d'accord avec toi. Tout montrer, ce n'est pas forcément un signe de société évoluée. Il y a des choses que je préfère voir rester dans l'ombre, même si ça m'embêterait qu'on en vienne à censurer une expression artistique pour cela.

Merci de ton témoignage sur ton expérience d'éducatrice: c'est très intéressant.

Martin a dit…

@Laura:

Merci beaucoup ! Et désolé pour Bambi...

En fait, ce n'est que très récemment que je me suis posé la question de la violence au cinéma en ces termes. J'avais l'idée d'une chronique sur ce thème depuis un petit moment, mais j'ai mis du temps à formuler exactement mes pensées sur le sujet.

eeguab a dit…

Vaste débat, mon cher Martin.

Martin a dit…

Effectivement. Et, comme je l'ai dit à Laura, je souhaitais (au moins) l'aborder depuis longtemps.

Lui a dit…

La violence au cinéma est une question intéressante et s’interroger sur sa représentation est une démarche saine. Comme vous le soulignez, le cinéma a utilisé la violence dès ses débuts pour frapper les esprits et accrocher le spectateur. La violence a donc indéniablement un premier rôle de racolage avec le mélange d’attirance / répulsion qu’il provoque. Pour la plupart d’entre nous, nous sommes confrontés plus souvent à la violence au travers des films que notre vie réelle. La violence fait (normalement) peur mais elle attire aussi et peut même être jouissive… Sur le sujet, il y a un excellent film de Cronenberg, A History of Violence. Les films de Tarantino sont assez emblématiques de cette ambiguïté : en plus de l’esthétisation de la violence, toute son approche repose sur le principe justicier « à violence, violence et demie », c'est-à-dire « la violence est un mauvais moyen pour parvenir à ses fins car on finira toujours par rencontrer quelqu’un de plus violent, de plus cruel ». Pas besoin de faire un dessin des limites de ce raisonnement.

Quant à la question « peut-on tout montrer ? », je ne suis pas d’accord avec vous. Vouloir s’affranchir de toute règle me paraît aussi dangereux qu’utopique. L’absence de règle ne caractérise en rien une « avancée réelle de la société démocratique ». Ce serait plutôt l’existence de règles équilibrées et acceptables par tous qui le serait. Il y a une zone suffisamment grande entre la permissivité totale et la censure. Ensuite, on ne peut nier les différences de perception. La violence provoque des réactions instinctives, animales presque, des pulsions diverses et la façon de les intégrer va dépendre de chacun. « La raison doit mettre les bornes » dites-vous. Oui, mais c’est de votre raison qu’il s’agit, votre voisin en aura certainement une autre. Et enfin, on ne peut nier l’influence du cinéma sur l’évolution des codes qui régissent notre vie en société…

Martin a dit…

Je n'ai visiblement pas très bien formulé ma pensée, car je ne pensais pas avoir exprimé l'idée qu'il serait bon de vouloir s'affranchir de toute règle. Je trouve assez juste votre expression de "règles équilibrées et acceptables par tous".

Quant à la raison qui mettrait des bornes, je pense qu'elle n'exclut pas nécessairement la dimension collective. Reste à savoir comment définir ce qui peut être communément admis. Vaste débat, comme le disait l'ami Eeguab.

Merci pour votre contribution à ce débat, "Lui". À votre invitation, je vais ajouter "A history of violence" à la liste de mes films à voir.

tinalakiller a dit…

Quel article ! Pas évident de répondre à une telle question qui mérite certainement des dissertations et des ouvrages entiers - et encore cela ne suffirait pas. Evidemment qu'il faut repérer la violence gratuite, celle qui sert artistiquement, la violence physique, psycho, sexuelle etc... face aux types de violence, certaines nous laissent parfois indifférentes (par habitude, peut-être, en regardant le JT par exemple ?), d'autres nous touchent forcément plus par notre sensibilité. Il y a aussi le degré de violence (je pense qu'il y a des limites, même dans l'extremité). Après, comme tu le dis d'ailleurs, il faut en tout cas sensibiliser le public et ne pas montrer certains films à n'importe qui !

Martin a dit…

Je suis content que cet article t'ait intéressé. D'après ce que je lis, nos avis sur la violence au cinéma sont assez proches, finalement. Personnellement, elle ne me laisse jamais tout à fait indifférent, mais c'est vrai que l'on est parfois un peu blasé. Cela dit, je crois que j'arrive encore à faire la part des choses entre la fiction et la réalité crue des journaux télévisés.

La sensibilisation / éducation du public est un autre vaste sujet. Je ne sais pas exactement où je situe la limite, mais il est clair qu'avant d'encourager quelqu'un à visionner un film, s'il s'avère que ce film est violent, j'essaye plus ou moins de le "préparer".

Anonyme a dit…

Hello Martin,
Sur ce sujet intéressant, mon avis est assez tranché. Pour résumer : il y a trop de violence à l'écran et pas assez de recours au hors champ. Pourquoi : parce que la violence est par essence cinématographique, elle donne du mouvement à l'image et certains réalisateurs s'en servent donc. Elle est aussi une façon de résoudre certains noeuds de l'intrigue et elle permet une catharsis. Mais elle est aussi une solution de facilité et à cause de la condensation propre au cinéma, elle prend une place disproportionnée dans les films, d'autant qu'elle a un impact sur le public notamment jeune qui regarde : elle leur renvoie dans certains films l'image d'un monde où l'on résout les choses par la violence (je ne dis pas que le monde réel n'est pas violent mais qu'un cinéaste est responsable de ses images et du reflet qu'il en donne). J'écrirai peut-être un jour sur ce sujet. Bref, pour moi, la violence est à manier avec précaution et je n'aime guère les réalisateurs (type Tarantino - voir ma chronique sur Inglourious Basterds) qui en jouent à outrance ou gratuitement.
Strum

Martin a dit…

Merci de t'intéresser à ce sujet, Strum. Je trouve très pertinent le distinguo que tu opères entre violence "utile" et utilisation gratuite de la violence. C'est très habilement résumé et je me retrouve largement dans cette analyse. D'accord aussi pour dire que la violence est cinématographique par essence. En certaines occasions, il est donc permis de le déplorer.

tinalakiller a dit…

Hélas, ça après c'est aux rôles des parents et visiblement, ils ne jouent plus leurs rôles...

Martin a dit…

Ils ne jouent plus TOUJOURS leurs rôles, je dirais. Je crois qu'il n'y a pas de vérité absolue sur ce sujet.

Anonyme a dit…

A propos de l'utilisation du hors champs : je ne sais si tu le sais Martin, mais l'image que tu montres de Bambi auprès de sa mère morte n'est pas dans le film. On y entend juste un coup de feu. Et plus tard, le grand cerf vient dire à Bambi que sa mère ne reviendra plus. La mort de la mère a d'autant plus d'effet sur les jeunes spectateurs qu'elle est soudaine et inexpliquée par l'image (leur imagination, leur angoisse, leurs questions, comblent alors ce vide).

S'agissant du rôle des parents, ils ne peuvent pas tout, la socialisation et l'environnement ont aussi un rôle énorme, et les enfants ont une vie à eux qu'ils vivent en dehors de leurs parents et qu'ils leur cachent parfois.
Strum

Martin a dit…

Oh ! Tu fais bien de me le préciser, Strum: je dois reconnaître que je l'ignorais. Cette image de "Bambi" serait donc un faux ? Ou une image réelle que le studio aurait choisi de couper ? Une petite voix me suggérait en effet que c'est beaucoup plus tardivement que l'on a vu pour la première fois du sang chez Disney. Ce qui ne rend pas la séquence moins angoissante pour autant...

Pour ce qui est du rôle des parents, je suis d'accord avec ce que tu dis (et exprimes bien). Il est vrai également que l'école et d'autres autorités ont leur mot à dire et leur rôle à jouer dans l'éducation à l'image des bambins. Et des adultes aussi, à mon avis.

Lui a dit…

Je trouve très intéressant ce que dit Strum sur l'aspect racoleur de la violence au cinéma. Il est indéniable que le Cinéma l'utilise largement depuis un siècle. L'être humain est voyeur (je ne vais pas donner l'exemple des automobilistes qui ralentissent pour voir un accident qui a eu lieu... il y a bien d'autres exemples, le plus récent est la diffusion des images d'attentats sur les réseaux sociaux). Après, on peut se demander pourquoi l'être humain est voyeur, pourquoi la violence attire t-elle ? il y a les pulsions animales profondes, bien entendu, mais aussi la recherche d'émotions, d'intensité... et là on rejoint l'attrait du cinéma de façon générale : il permet de vivre par procuration.

Le rôle du hors-champ est également très vrai. Mais aujourd'hui, la norme est hélas de tout montrer. L'interprétation par le spectateur n'en est que réduite.

Martin a dit…

Merci à vous aussi, "Lui", de participer à ce modeste débat.

C'est vrai que le cinéma permet de vivre par procuration... ou plutôt, dirais-je, de se projeter dans une autre vie, l'espace de quelques heures. Mais cela peut aussi s'avérer exact dans des contextes narratifs éloignés de toute violence, non ? Je suis de nature à préférer en général les émotions positives, à vrai dire.

Je vous rejoins sur les regrets quant à l'effacement progressif du hors-champ. Je dirais même que cette technique est l'une de celles que je préfère au cinéma. Arriver à déclencher une émotion sans donner à voir quelque chose de matériel, je trouve ça fort. Surtout au cinéma qui est bien, par nature, un art de l'image (en mouvement).