Nous voilà presque à la mi-novembre. La parole à mon amie Joss...
La première fois que j'ai vu Journal intime, c'était au cinéma à Paris pour sa sortie en salles. Transcendée. Et vingt-deux ans après, il me fait toujours le même effet. À tel point que pour mieux connaître une personne, j'ai longtemps usé de la cassette VHS - puis du DVD - à refiler sournoisement avec l'obligation de me donner un avis ! Autant vous dire que la conclusion s'est parfois imposée d'elle-même...
Si vous n'aimiez pas Journal intime, mieux valait passer votre chemin ! Réalisant que ce blog performant n'ouvrait aucune lorgnette dessus, il était inconcevable de laisser l'affaire en l'état. Donc, cette fois, je ferai montre d'une diplomatie à toute épreuve et m'engage ici à accepter vos critiques d'un bon pied (côté oeil, j'aviserai !)...
Trois épisodes autobiographiques dans lesquels le réalisateur italien joue son propre rôle et qui lui ont permis de se faire connaître internationalement avec le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Une balade en Vespa à travers Rome en plein été, un voyage dans les îles éoliennes avec son ami Gerardo, et enfin la tournée des médecins aux prises avec un lymphome de Hodgkin: chacun de ces trois chapitres ouvre une multitude de regards, attitudes, constats, réactions, réfléchis ou épidermiques, sur la société. Avec une légèreté toute en apparence, Nanni Moretti nous sert des portraits cinglants qu'il fait passer avec franchise, grâce, romantisme et humour. Parfois même les quatre réunis.
Dans la première partie, la caméra nous emporte tour à tour sur la Vespa et à côté de la Vespa, comme deux amis qui se déplacent en toute complicité, et surtout en pleine liberté. Nanni se régale à zigzaguer et... nous aussi ! Dans la ville quasi-déserte, il est bon de prendre l'air et d'errer. Même si dans ce cas, il n'y aura pas de hasard. Le promeneur nous présente quelques quartiers de la périphérie comme de grands crus: "Garbatella 1927, Tufello 1960...". Il aime les panoramas et il en fait un ! Le réalisateur ne se prive de rien. Il en dit long le plan en contre-plongée où on le voit de dos avec sa petite amie, admirant le bâtiment où il leur plairait fort de louer. Mais voilà que l'homme a envie de danser et saute sur l'estrade se joindre à l'orchestre d'un bal de quartier (irrésistible). Il évoque sa passion pour le film Flashdance et aborde sur le trottoir la vraie Jennifer Beals pour ne parler avec elle que du confort des chaussures (hilarant)...
Portrait encore de Nanni, cinéphile réduit à un choix estival fort pauvre, outré du peu d'adéquation entre le film qu'il a choisi et la critique. Capable de colère (tordant) quand il harcèle le critique en question jusqu'aux larmes dans son propre lit, ou qu'il refuse de s'assimiler à ses congénères aigris, qui se disent laids et anciens menteurs de manifs: "Moi, je criais la vérité et je suis un splendide quadragénaire, voilà !". Autodérision réussie quand à plusieurs reprises, il adopte un comportement d'enfant, spontané, sans complexes, et que ses interlocuteurs le déclarent "zinzin". Il adore Rome et nous en fait connaître les recoins, sans hésiter à convoquer le passé (sans aucune lourdeur), les différents types d'architecture (on l'a vu) et parfois même la tragédie. Il nous emportera sur des sites qu'il ne connaissait pas lui-même auparavant pour une découverte encore plus forte, comme la plage d'Ostie où Pasolini fut assassiné (l'errance de la musique de Keith Jarrett en phase avec celle de la Vespa longeant rochers et voitures abandonnées, vue au loin sur les baigneurs, vaut le déplacement). Sublime travelling qui s'étire - 45 secondes ! - et nous fait toucher la mort de près, sans immobilité.
Dans la seconde partie, il n'erre plus de quartier en quartier, mais d'île en île, à la recherche du calme pour écrire. En vain. Dans chaque île, l'attend une caricature épouvantable qu'il fuit comme un beau diable: circulation urbaine, enfants-rois et leurs parents martyrs, communication événementielle à outrance, jusqu'au délire de son ami, intellectuel universitaire qui se cache de raffoler des séries américaines pour finalement craquer sur les flancs du volcan et quitter en courant un quotidien pur mais sans poste de télévision ! Nanni vous décidément dans ses contemporains de bien étranges animaux. Il en reproduit d'ailleurs les cris sur l'île aux enfants-rois: fable pas si absurde que ça. De plan en plan (le scénario s'impose au montage), de musique en musique, cohérence et harmonie se renverront la balle pour gagner en puissance jusqu'à la dernière image. Dans ce film, on ne tourne pas les volets comme des épisodes sans lien, on vit, on grandit toujours sur le même fil de notre passage sur Terre.
Enfin, dans la dernière phase, la course reprendra, cette fois de médecin en médecin après la sortie d'un prurit de plus en plus gênant. Traitements infinis, de la prescription à rallonge jusqu'au simple bain de son, overdose d'examens et de diagnostics hétéroclites jusqu'à l'ultime verre d'eau. Ingurgité avec délectation comme une source de vie. Dans ce plan zoomé très rapproché, les yeux pétillent de bulles ou d'étoiles. Alors, après l'annonce de la probabilité d'un cancer incurable, s'agit-il d'un concentré de rédemption joyeuse ou simplement l'espoir d'autres promenades ? Du grand Nanni.
La première fois que j'ai vu Journal intime, c'était au cinéma à Paris pour sa sortie en salles. Transcendée. Et vingt-deux ans après, il me fait toujours le même effet. À tel point que pour mieux connaître une personne, j'ai longtemps usé de la cassette VHS - puis du DVD - à refiler sournoisement avec l'obligation de me donner un avis ! Autant vous dire que la conclusion s'est parfois imposée d'elle-même...
Si vous n'aimiez pas Journal intime, mieux valait passer votre chemin ! Réalisant que ce blog performant n'ouvrait aucune lorgnette dessus, il était inconcevable de laisser l'affaire en l'état. Donc, cette fois, je ferai montre d'une diplomatie à toute épreuve et m'engage ici à accepter vos critiques d'un bon pied (côté oeil, j'aviserai !)...
Trois épisodes autobiographiques dans lesquels le réalisateur italien joue son propre rôle et qui lui ont permis de se faire connaître internationalement avec le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Une balade en Vespa à travers Rome en plein été, un voyage dans les îles éoliennes avec son ami Gerardo, et enfin la tournée des médecins aux prises avec un lymphome de Hodgkin: chacun de ces trois chapitres ouvre une multitude de regards, attitudes, constats, réactions, réfléchis ou épidermiques, sur la société. Avec une légèreté toute en apparence, Nanni Moretti nous sert des portraits cinglants qu'il fait passer avec franchise, grâce, romantisme et humour. Parfois même les quatre réunis.
Dans la première partie, la caméra nous emporte tour à tour sur la Vespa et à côté de la Vespa, comme deux amis qui se déplacent en toute complicité, et surtout en pleine liberté. Nanni se régale à zigzaguer et... nous aussi ! Dans la ville quasi-déserte, il est bon de prendre l'air et d'errer. Même si dans ce cas, il n'y aura pas de hasard. Le promeneur nous présente quelques quartiers de la périphérie comme de grands crus: "Garbatella 1927, Tufello 1960...". Il aime les panoramas et il en fait un ! Le réalisateur ne se prive de rien. Il en dit long le plan en contre-plongée où on le voit de dos avec sa petite amie, admirant le bâtiment où il leur plairait fort de louer. Mais voilà que l'homme a envie de danser et saute sur l'estrade se joindre à l'orchestre d'un bal de quartier (irrésistible). Il évoque sa passion pour le film Flashdance et aborde sur le trottoir la vraie Jennifer Beals pour ne parler avec elle que du confort des chaussures (hilarant)...
Portrait encore de Nanni, cinéphile réduit à un choix estival fort pauvre, outré du peu d'adéquation entre le film qu'il a choisi et la critique. Capable de colère (tordant) quand il harcèle le critique en question jusqu'aux larmes dans son propre lit, ou qu'il refuse de s'assimiler à ses congénères aigris, qui se disent laids et anciens menteurs de manifs: "Moi, je criais la vérité et je suis un splendide quadragénaire, voilà !". Autodérision réussie quand à plusieurs reprises, il adopte un comportement d'enfant, spontané, sans complexes, et que ses interlocuteurs le déclarent "zinzin". Il adore Rome et nous en fait connaître les recoins, sans hésiter à convoquer le passé (sans aucune lourdeur), les différents types d'architecture (on l'a vu) et parfois même la tragédie. Il nous emportera sur des sites qu'il ne connaissait pas lui-même auparavant pour une découverte encore plus forte, comme la plage d'Ostie où Pasolini fut assassiné (l'errance de la musique de Keith Jarrett en phase avec celle de la Vespa longeant rochers et voitures abandonnées, vue au loin sur les baigneurs, vaut le déplacement). Sublime travelling qui s'étire - 45 secondes ! - et nous fait toucher la mort de près, sans immobilité.
Dans la seconde partie, il n'erre plus de quartier en quartier, mais d'île en île, à la recherche du calme pour écrire. En vain. Dans chaque île, l'attend une caricature épouvantable qu'il fuit comme un beau diable: circulation urbaine, enfants-rois et leurs parents martyrs, communication événementielle à outrance, jusqu'au délire de son ami, intellectuel universitaire qui se cache de raffoler des séries américaines pour finalement craquer sur les flancs du volcan et quitter en courant un quotidien pur mais sans poste de télévision ! Nanni vous décidément dans ses contemporains de bien étranges animaux. Il en reproduit d'ailleurs les cris sur l'île aux enfants-rois: fable pas si absurde que ça. De plan en plan (le scénario s'impose au montage), de musique en musique, cohérence et harmonie se renverront la balle pour gagner en puissance jusqu'à la dernière image. Dans ce film, on ne tourne pas les volets comme des épisodes sans lien, on vit, on grandit toujours sur le même fil de notre passage sur Terre.
Enfin, dans la dernière phase, la course reprendra, cette fois de médecin en médecin après la sortie d'un prurit de plus en plus gênant. Traitements infinis, de la prescription à rallonge jusqu'au simple bain de son, overdose d'examens et de diagnostics hétéroclites jusqu'à l'ultime verre d'eau. Ingurgité avec délectation comme une source de vie. Dans ce plan zoomé très rapproché, les yeux pétillent de bulles ou d'étoiles. Alors, après l'annonce de la probabilité d'un cancer incurable, s'agit-il d'un concentré de rédemption joyeuse ou simplement l'espoir d'autres promenades ? Du grand Nanni.
8 commentaires:
Hello Martin. Comme ton enthousiasme m'enthousiasme. Je suis un passionné de Moretti dont j'ai tout vu (en tant que metteur en scène). Ce Journal intime est passionnant comme toute sa filmo. J'ai il y a quelques années animé un séminaire sur Moretti au Temps Libre. Tu peux en retrouver pas mal d'éléments sur mon blog. Nanni était passionnant trentenaire. Il l'est toujours sexagénaire. A+.
Il me faut rendre à Joss ce qui appartient à Joss: pour le coup, c'est mon amie co-chroniqueuse qui a écrit ce texte admiratif de l'ami Nanni. Je l'aime beaucoup, moi aussi, mais je n'ai pas encore eu l'occasion de voir ce "Journal intime".
J'irai probablement voir ton blog pour en savoir plus, merci de me l'avoir proposé. Je suis convaincu que j'ai encore bien des choses agréables à découvrir sur (et avec) ce grand réalisateur.
Pardon à Joss, je n'avais pas percuté. Et felicitations car les amis de Nanni sont ms amis.
Il n'y a pas d'offense, l'ami ! Entre amateurs de Nanni, nous sommes faits pour nous entendre.
J'aime tellement ce film (et le cinéma de Moretti) et ce billet est bien écrit ! Merci Joss !! :D
Il faut vraiment que je voie, donc ! J'espère que Joss viendra vous répondre directement.
Merci Joss pour ce conseil ! Je connais encore mal Nanni Moretti et tu m'as convaincue de voir celui-ci, que j'ai beaucoup aimé. Quel plaisir et quelle bonne surprise d'entendre la chanson I’m Your Man écrite par Leonard Cohen et de revoir Stromboli. Par je ne sais quel miracle, cette île semble de pas avoir changé depuis le tournage du film "Stromboli, terra di Dio" par Roberto Rossellini. En tout cas, Nanni Moretti fait suffisamment de plans serrés pour qu'on y croit. J'attends déjà avec une certaine impatience ton prochain conseil avisé :)
A ce propos, Martin, serait-il envisageable de retrouver facilement tous les conseils de Joss, via un tag ou un lien dans ta sidebar par exemple(barre latérale en bon français) ?
Bonne journée à tous les deux !
J'ai hâte moi-même d'avoir une occasion de découvrir le film, car Joss m'a également mis l'eau à la bouche… et a fortiori s'il est permis d'y retrouver l'ambiance incroyable du "Stromboli" de Rossellini - sans même reparler de Leonard Cohen.
Pour ce qui est de trouver un moyen de retrouver immédiatement toutes les chroniques de Joss, je vais y réfléchir. C'est un conseil judicieux. En attendant, je pense maintenir le principe de publier ses textes autour du 15 de chaque mois (ou presque).
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