vendredi 17 juin 2016

Je vais voir...

Comme annoncé ce mercredi, je laisse aujourd'hui la parole à Joss. Précision (tardive): je n'ai choisi "que" l'intitulé et les six illustrations.

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Prologue...

Il fait beau à Paris, en cette fin d'après-midi d'avril. Comme il fait beau à Paris après les averses de toute une journée. Tout y est retour. Celui du soleil dans sa descente vers le soir, et le mien aussi seule dans Paris. Avenue Saint-Lazare. Je vais voir L'avenir.

Dans ce petit cinéma sans envergure, jamais remarqué jusque-là, un sombre guichet, sombre et mal-aimable. Puis c'est le hall, où l'on attend, où l'on peut commander un médiocre café, un en-cas - servi par une jeune fille au sourire facile comme une grâce offerte, où l'on patiente en tentant de trouver une cohérence aux cordes qu'elle viendra déplacer, soulever, accrocher à nouveau, différemment selon les files d'attente... Le hall désert se peuple. Je vais voir L'avenir. Ils vont presque tous voir L'avenir.

Il y a plus d'un an, c'était Rendez-vous à Atlit qui devait marquer le début de ma participation à cette chronique sur Mille et une bobines. Rendez-vous manqué. Celui d'Atlit est passé. Il en fallait un autre, au bon moment. Ce soir, je vais voir L'avenir.

Lorsque Martin, l'ami et l'auteur du blog, m'avait proposé d'écrire ici, je ne comprenais pas que l'on puisse porter son choix sur un film sorti plusieurs années après sa sortie, ou même un très récent déjà amplement décortiqué par les médias. Et puis, j'ai mieux saisi sa demande: raconter le film, mais peut-être plus encore se raconter à travers le film, apporter une critique cousue de l'air du moment et de son propre souffle, sans contraintes. Décidément, j'ai bien fait de choisir celui-là. Ce soir, je vais voir L'avenir.

L'avenir
Elle occupe tout l'écran. Radicalement. Isabelle Huppert est l'héroïne du début et le restera jusqu'à la dernière seconde. Belle, intelligente, incroyablement vivante, et malgré tout profonde, digne... parce qu'il s'agit bien de dignité, et sûrement pas d'indifférence. Sa cinquantaine ne pèse pas et donnerait tort à quiconque oserait la confondre... à commencer par son mari. Tout ça, c'est l'histoire de Nathalie, professeur de philosophie dans l'enseignement supérieur, passionnée, capable de vrais liens avec les étudiants, sur fond de passé engagé. D'emblée, la réalisatrice Mia Hansen-Love lance un tableau de la vie passée. Un couple qui emmène ses deux enfants devant le tombeau de Chateaubriand. L'île du Grand Bé à quelques centaines de mètres de Saint-Malo que l'on rejoint à marée basse dans le froid, sous un ciel de plomb. Nathalie sera la première à se détourner de la croix de granit pour rejoindre ses enfants que le tombeau de l'illustre n'intéresse guère... L'homme prend son temps sur fond d'horizon tandis qu'elle court derrière eux... Une vie de femme.

Après ce flashback qui campe le couple parental dans son meilleur profil "nature-culture", Nathalie ne tardera pas à se faire franchement larguer par le même mari (André Marcon), une bonne décennie plus tard. Double surprise. Leur fille sait et c'est elle qui se trouve à l'origine de la décision. Sans cela, Heinz aurait-il eu le courage de quitter Nathalie ? On peut en douter. Et c'est la dégringolade. Nathalie redescendra de l'échelle sans passer par toutes les marches. Sa mère possessive et paranoïaque (sublime Édith Scob) ne tardera pas à disparaître. Juste le temps de nous confirmer le statut du film. Intimiste avec des facettes récurrentes de comédie.

De la remarque sur le physique du jeune pompier qui l'a presque tirée du trépas, jusqu'à ses commentaires sur un Sarkozy audiovisuel, la vieille dame donne le ton que Nathalie poursuivra allègrement. Car notre héroïne sait faire preuve d'un humour fin et étonnant au plus profond de son chagrin. En jetant et pestant contre les épines des roses sublimes que son mari lui a laissées. En passant des larmes au fou rire lorsqu'elle surprend par hasard son mari aux bras d'une jeunesse. En qualifiant de "publicité pour bonbons Haribo" la nouvelle couverture de ses livres concoctée par un duo commercial à souhait qui reprend l'enseigne de son ami éditeur et qui finira par la virer !

Pourtant déjà violemment emportée par la vague qui la dépasse, Nathalie s'évertue à sourire. Cache la violence du désespoir. Et grâce à ça, pas une fois, nous n'éprouvons de la pitié. Jusque dans la démonstration des signes de l'âge, comme sur les mains de Nathalie forcément mâtures, que la caméra suit nettement dans les moments difficiles. Pudeur, grande classe, loin des caprices de diva. Vous rappelez-vous d'Isabelle Adjani dans La journée de la jupe ? Le film n'aurait-il pas gagné en force si l'âge de l'actrice n'avait pas été gommé - merci Photoshop - au détriment de l'histoire racontée ?

Dans ce remarquable portrait d'une femme parvenue avec brio à l'âge mur et au plus fort tournant de son existence, la réalisatrice a pris le parti de nous surprendre sans cesse, de ne jamais nous conduire là où elle nous le promet. Non seulement son élève préféré ne deviendra pas son nouvel amour (irrésistible Roman Kolinka), mais il lui fera lui-même le reproche de ne pas mettre ses convictions en application. Non seulement elle s'attachera - et bien réciproquement - à la chatte Pandora (dont le nom grec rappelle pourtant tous les dons, et aussi dernier lien avec sa mère), mais elle ira jusqu'à la faire adopter dans le Vercors...

Non, le jeune Fabien ne retournera pas vers Nathalie, même si après l'avoir déposée à la gare une dernière fois, son visage nous a laissé dubitatifs... Non, en dépit même des larmes de sa fille devenue mère à son tour (cerise sur le gâteau, Nathalie est grand-mère), elle ne se démontrera pas davantage clémente avec son ex... Et enfin non, elle ne le gardera pas à dîner le soir de Noël malgré son insistance... quitte à fredonner un peu plus tard "À la claire fontaine" à son petit-fils. Ils ont le coeur à rire, Nathalie, elle, l'a à pleurer. Et la vie continue. Subtile démonstration. 

Post-scriptum: et si parmi vous, quelqu'un veut bien nous confier ici ce qu'il pense de l'expression de Fabien au moment où il rentre chez lui après avoir déposé Nathalie à la gare, je suis preneuse !        

10 commentaires:

2flicsamiami a dit…

Pas vu ce film, mais joli premier article pour toi Josse :) Bravo !

Martin a dit…

Encore merci pour elle ! Un autre article est déjà envisagé. J'espère que ce ne sera que le début d'une belle série. Elle pourrait être publiée ici... ou ailleurs. Les réponses appartiennent à Josse.

JossB a dit…

La dernière fois, que j'ai écrit un commentaire... je n'ai pas du l'enregistrer. Alors merci pour le compliment et à bientôt. Autour des films commentés par le rédacteur en chef et au 15 juillet piyr mon prochain. Bon début d'été et belle fête de la Musique à tous. Joss... Sans e !

newstrum a dit…

Bonjour, Bonne idée que d'ouvrir ton blog à une autre chroniqueuse et bienvenue à Joss !

Strum

Martin a dit…

@Joss:

Cette fois, c'est la bonne ! Ces petits cafouillages techniques m'auront au moins permis de me corriger rapidement pour écrire "Joss" (sans E, donc).

Martin a dit…

@Strum:

Ravi que ça te paraisse également une bonne idée ! Joss m'a fait le plaisir d'accepter cette proposition.

ChonchonAelezig a dit…

Bienvenue. J'ai bien aimé ta franchise : pourquoi écrire sur un film sorti depuis plusieurs années... et pourquoi écrire sur un récent qui croule déjà sous la promo... Bonne question ! ;) Mais tu as donné la réponse : à travers nos commentaires, nous parlons de nous, de nos ressentis, de nos émotions ! Quand on donne à quelqu'un envie de voir un film, et qui l'apprécie à son tour, on est super content, on est aimé ! Les blogs sont des appels à la reconnaissance, à l'amour, il ne faut pas se leurrer...
Et c'est pour ça qu'aucun blog ne ressemble à aucun autre ! Et que certains sont si touchants.

Martin a dit…

Un joli message venu d'une bloggeuse multiple ! Merci de ton accueil à Joss, Chonchon.

Valérie a dit…

Je découvre ton blog (et ton billet) plusieurs semaines après avoir visionné ce film que j'ai vraiment aimé. Si nous pensons bien à la même scène, je pense que Fabien sait que le lien entre son mentor et lui-même vient de se briser (personnellement, je ne pense pas qu'il y ait du désir dans cette relation, plutôt un lien fort entre un mentor et son ancien élève qui va prendre une voie différente).

Martin a dit…

Une analyse intéressante, qui apporte un éclairage intéressante après la question de Joss. Merci, Valérie ! J'attends de voir le film pour me forger une opinion.

Et puis, bien sûr, bienvenue sur ce blog ! N'hésite pas à revenir et à commenter d'autres chroniques.