Vous l'aurez compris lundi: Papicha m'a fait une très belle impression. Aujourd'hui, je suis ravi de vous proposer une seconde chronique autour du film, à partir des mots de Lyna Khoudri, l'actrice principale. Bien qu'elle vive désormais à Paris, elle est bel et bien née en Algérie. J'ai trouvé très intéressant de l'entendre parler d'elle et de son pays...
Lyna, comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle ?
Lyna, comment vous êtes-vous préparée pour ce rôle ?
J'ai travaillé avec Mounia (Meddour, la réalisatrice) pour apprendre à coudre. Il a fallu me familiariser avec son système de débrouille, parce qu'elle n'a pas les moyens de s'acheter des tissus. Je suis allée en chercher dans les poubelles du Sentier. Pendant le tournage, on vivait tous dans la même maison: cela a permis de créer de vrais liens. C'était sur la côte, une villa avec une superbe vue. Il y avait même une piscine, mais vide ! On nous a fait croire qu'elle serait remplie, mais, en réalité, la peinture a juste été refaite en bleu...
Avez-vous eu l'occasion de recueillir des témoignages d'Algériennes pour composer votre personnage ?
Je suis née en 1992. Ma famille a quitté l'Algérie en 1994, notamment à cause de la décennie noire. L'histoire de Papicha, c'est un peu celle de mes parents. Ils se sont en effet rencontrés à la cité universitaire de Ben Aknoun - c'est celle où Mounia a étudié, elle aussi, et que l'on peut imaginer dans les scènes d'amphithéâtre du film. On nous a toujours parlé de cette époque: personne ne nie ce qui s'est passé. Quant à Mounia, elle nous a également fait part de son expérience. Avec ça, nous les actrices, on a essayé d'être vraies. Sur le tournage, on a eu une belle complicité avec les garçons. Pour jouer les couples du film, avec Shirine Boutella, Marwan Zeghbib et Yasin Houicha, on a pensé à organiser quelques soirées à quatre pour créer une alchimie. Enfin, au moins jusqu'à les autres filles ramènent leurs fraises...
Dans quelle mesure Papicha est-il inspiré de faits réels ?
Toute la partie de la cité universitaire, c'est ce que Mounia a vécu. Après, les événement scénaristiques, ce sont plusieurs faits dont elle a entendu parler par certains de ses amis. Disons que c'est un peu comme un condensé de la situation en Algérie à cette époque.
Y a-t-il des films algériens qui vous ont servi de référence ?
Oui. Le repenti de Merzak Allouache, par exemple. Au-delà même de ce film, tout au long de sa filmographie, sa vision de la jeunesse algérienne est intéressante: il y a quand même une identité. Le voir m'a aussi permis d'entrer dans ce parler, cette attitude, cette vision du monde. Mounia s'est inspirée de films algériens, mais aussi beaucoup d'autres, étrangers. Ce qui est assez fou, en fait, c'est qu'on n'a pas eu besoin d'inspirations en termes de témoignages: on avait toutes des histoires personnelles liées à cette décennie. C'était plus intéressant de chercher de vraies choses à l'intérieur de nous...
Comment le tournage s'est-il passé ?
Sans aucun souci. Je ne dis pas ça parce que c'est Papicha ou même parce que je suis algérienne, mais les tournages en Algérie sont vraiment extraordinaires, pleins de vie, de générosité et de partage ! Il y a simplement des problèmes habituels, comme on en rencontre sur tous les tournages, d'autorisation ou de figuration manquantes.
Comment le film a-t-il été perçu en Algérie ?
La sortie a été annulée au dernier moment. On n'a pas de nouvelles depuis. Cela dit, je connais beaucoup de gens qui vivent là-bas et qui ont vu le film. Ils sont très touchés, forcément: ça fait partie de leur histoire. Il y a des cinéphiles aussi, qui ont aimé le film pour d'autres raisons. D'autres ne l'ont pas totalement apprécié. En Algérie, tout reste à faire: ce n'est pas un problème, mais la production de films chaque année n'est pas très élevée. Du coup, quand un film algérien sort, tout le monde l'attend et le voit. C'est un événement !
Votre personnage s'inspire-t-il d'une femme réellement existante ?
Oui, d'une couturière qui s'appelle Yasmina (Chelali), qui a travaillé avec les grands couturiers français et du monde entier, et qui est retournée en Algérie pour lancer sa ligne. C'est l'une des seules couturières connues du monde de la mode. Les couturiers sont souvent des hommes. Nous, on n'en a qu'une... et c'est une femme !
Comment celles qui ont vécu à cette époque réagissent-elles devant le film ?
Avec beaucoup, beaucoup d'émotion ! Les hommes aussi, d'ailleurs. Pour tous ceux qui ont vécu en Algérie à l'époque, il n'y aucun doute possible: tout ce qui est dit est vrai. Cela les ramène vingt ans en arrière et les replonge dans des souvenirs qui sont très durs, parfois. Des choses qui n'ont pas encore été réglées. Ce film, c'est aussi une thérapie pour beaucoup. Ma mère, elle, n'a pas arrêté de parler après l'avoir vu: elle était bouleversée. Elle m'a dit qu'elle en avait pleuré toute la nuit, en laissant sortir tout ce qu'elle avait gardé en elle.
Pourquoi n'y a-t-il pas de figure paternelle dans Papicha ?
Je n'ai jamais vraiment posé la question à Mounia. En fait, elle a perdu son papa quand elle avait l'âge de mon personnage. Je pense que c'est un peu tabou. Effectivement, la figure du père est absente en tant que personnage, mais le film entier est dédié à son père.
Le film nous parle du haïk, un vêtement traditionnel algérien. Qu'est-ce que Mounia Meddour a voulu transmettre par ce biais ?
C'est important: c'est un lien entre toutes les générations de femmes qui ont résisté et se sont battues pour leur liberté, leurs droits, leur vie. Un lien aussi entre celles qui le portaient pendant la guerre d'Algérie, en y cachant des armes, comme cela est expliqué par le personnage de la mère, dans le film. C'était un objet de résistance ! Le choix de ce tissu est clairement symbolique. Mounia a également cette force de simplicité des choses de la vie. Cela pouvait être n'importe quel objet, un bijou transmis de grand-mère à petite-fille...
Quel décalage existe-t-il entre le film et l'Algérie "en révolte" d'aujourd'hui ?
La situation a changé: le pays n'est plus en guerre. Oui, il reste encore des barrages de l'armée: les vieilles habitudes ! On en trouve de semblables dans plein d'autres pays. L'Algérie, ce n'est plus du tout la situation décrite dans le film. Heureusement !
Papicha a obtenu le César du meilleur premier film. Et vous, celui du meilleur espoir féminin. Qu'est-ce que cela change ?
Pas grand-chose: cela change la vie du film et c'est ce qui est beau. C'était un beau point final à sa carrière en festivals et à la liste des prix reçus. Ma vie à moi n'a pas tellement changé pour l'instant. Aujourd'hui, il est trop tôt pour dire si cela va changer quelque chose à ma carrière. J'ai deux films qui vont sortir, Gagarine et La beauté du geste, mais ces deux-là, je les avais tournés avant les César...
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Avant de conclure, une petite précision...
J'ai recueilli ces propos de Lina Khoudri après une projection virtuelle de Papicha, à laquelle j'ai assisté le 6 mai dernier... en confinement. L'échange (à distance) était animé par Sarah Chazelle, la présidente et directrice générale de Jour2Fête, la société de distribution du film.
Les conditions de vie à Alger ont été le sujet de quelques questions. Présentes dans le casting, Amira Hilda Douaouda et Zahra Doumandji ont également pris part à ce mini-débat - avec le sourire - et évoqué la soif de liberté du peuple algérien. Sympa, ce bonus d'après-séance !
Avez-vous eu l'occasion de recueillir des témoignages d'Algériennes pour composer votre personnage ?
Je suis née en 1992. Ma famille a quitté l'Algérie en 1994, notamment à cause de la décennie noire. L'histoire de Papicha, c'est un peu celle de mes parents. Ils se sont en effet rencontrés à la cité universitaire de Ben Aknoun - c'est celle où Mounia a étudié, elle aussi, et que l'on peut imaginer dans les scènes d'amphithéâtre du film. On nous a toujours parlé de cette époque: personne ne nie ce qui s'est passé. Quant à Mounia, elle nous a également fait part de son expérience. Avec ça, nous les actrices, on a essayé d'être vraies. Sur le tournage, on a eu une belle complicité avec les garçons. Pour jouer les couples du film, avec Shirine Boutella, Marwan Zeghbib et Yasin Houicha, on a pensé à organiser quelques soirées à quatre pour créer une alchimie. Enfin, au moins jusqu'à les autres filles ramènent leurs fraises...
Dans quelle mesure Papicha est-il inspiré de faits réels ?
Toute la partie de la cité universitaire, c'est ce que Mounia a vécu. Après, les événement scénaristiques, ce sont plusieurs faits dont elle a entendu parler par certains de ses amis. Disons que c'est un peu comme un condensé de la situation en Algérie à cette époque.
Y a-t-il des films algériens qui vous ont servi de référence ?
Oui. Le repenti de Merzak Allouache, par exemple. Au-delà même de ce film, tout au long de sa filmographie, sa vision de la jeunesse algérienne est intéressante: il y a quand même une identité. Le voir m'a aussi permis d'entrer dans ce parler, cette attitude, cette vision du monde. Mounia s'est inspirée de films algériens, mais aussi beaucoup d'autres, étrangers. Ce qui est assez fou, en fait, c'est qu'on n'a pas eu besoin d'inspirations en termes de témoignages: on avait toutes des histoires personnelles liées à cette décennie. C'était plus intéressant de chercher de vraies choses à l'intérieur de nous...
Comment le tournage s'est-il passé ?
Sans aucun souci. Je ne dis pas ça parce que c'est Papicha ou même parce que je suis algérienne, mais les tournages en Algérie sont vraiment extraordinaires, pleins de vie, de générosité et de partage ! Il y a simplement des problèmes habituels, comme on en rencontre sur tous les tournages, d'autorisation ou de figuration manquantes.
Comment le film a-t-il été perçu en Algérie ?
La sortie a été annulée au dernier moment. On n'a pas de nouvelles depuis. Cela dit, je connais beaucoup de gens qui vivent là-bas et qui ont vu le film. Ils sont très touchés, forcément: ça fait partie de leur histoire. Il y a des cinéphiles aussi, qui ont aimé le film pour d'autres raisons. D'autres ne l'ont pas totalement apprécié. En Algérie, tout reste à faire: ce n'est pas un problème, mais la production de films chaque année n'est pas très élevée. Du coup, quand un film algérien sort, tout le monde l'attend et le voit. C'est un événement !
Votre personnage s'inspire-t-il d'une femme réellement existante ?
Oui, d'une couturière qui s'appelle Yasmina (Chelali), qui a travaillé avec les grands couturiers français et du monde entier, et qui est retournée en Algérie pour lancer sa ligne. C'est l'une des seules couturières connues du monde de la mode. Les couturiers sont souvent des hommes. Nous, on n'en a qu'une... et c'est une femme !
Comment celles qui ont vécu à cette époque réagissent-elles devant le film ?
Avec beaucoup, beaucoup d'émotion ! Les hommes aussi, d'ailleurs. Pour tous ceux qui ont vécu en Algérie à l'époque, il n'y aucun doute possible: tout ce qui est dit est vrai. Cela les ramène vingt ans en arrière et les replonge dans des souvenirs qui sont très durs, parfois. Des choses qui n'ont pas encore été réglées. Ce film, c'est aussi une thérapie pour beaucoup. Ma mère, elle, n'a pas arrêté de parler après l'avoir vu: elle était bouleversée. Elle m'a dit qu'elle en avait pleuré toute la nuit, en laissant sortir tout ce qu'elle avait gardé en elle.
Pourquoi n'y a-t-il pas de figure paternelle dans Papicha ?
Je n'ai jamais vraiment posé la question à Mounia. En fait, elle a perdu son papa quand elle avait l'âge de mon personnage. Je pense que c'est un peu tabou. Effectivement, la figure du père est absente en tant que personnage, mais le film entier est dédié à son père.
C'est important: c'est un lien entre toutes les générations de femmes qui ont résisté et se sont battues pour leur liberté, leurs droits, leur vie. Un lien aussi entre celles qui le portaient pendant la guerre d'Algérie, en y cachant des armes, comme cela est expliqué par le personnage de la mère, dans le film. C'était un objet de résistance ! Le choix de ce tissu est clairement symbolique. Mounia a également cette force de simplicité des choses de la vie. Cela pouvait être n'importe quel objet, un bijou transmis de grand-mère à petite-fille...
Quel décalage existe-t-il entre le film et l'Algérie "en révolte" d'aujourd'hui ?
La situation a changé: le pays n'est plus en guerre. Oui, il reste encore des barrages de l'armée: les vieilles habitudes ! On en trouve de semblables dans plein d'autres pays. L'Algérie, ce n'est plus du tout la situation décrite dans le film. Heureusement !
Papicha a obtenu le César du meilleur premier film. Et vous, celui du meilleur espoir féminin. Qu'est-ce que cela change ?
Pas grand-chose: cela change la vie du film et c'est ce qui est beau. C'était un beau point final à sa carrière en festivals et à la liste des prix reçus. Ma vie à moi n'a pas tellement changé pour l'instant. Aujourd'hui, il est trop tôt pour dire si cela va changer quelque chose à ma carrière. J'ai deux films qui vont sortir, Gagarine et La beauté du geste, mais ces deux-là, je les avais tournés avant les César...
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Avant de conclure, une petite précision...
J'ai recueilli ces propos de Lina Khoudri après une projection virtuelle de Papicha, à laquelle j'ai assisté le 6 mai dernier... en confinement. L'échange (à distance) était animé par Sarah Chazelle, la présidente et directrice générale de Jour2Fête, la société de distribution du film.
Les conditions de vie à Alger ont été le sujet de quelques questions. Présentes dans le casting, Amira Hilda Douaouda et Zahra Doumandji ont également pris part à ce mini-débat - avec le sourire - et évoqué la soif de liberté du peuple algérien. Sympa, ce bonus d'après-séance !
4 commentaires:
Bonsoir Martin, merci pour cet entretien avec une jeune actrice talentueuse. En plus, le film est très bien bien qu'il n'ait pas reçu les critiques auxquelles il aurait mérité. Dans un petit rôle dans Hors normes, elle est aussi très bien. Elle a un visage que l'on n'oublie pas. Bonne soirée.
Merci à toi, Dasola, de ton intérêt pour cette retranscription.
Nous sommes d'accord sur le film et sur "Hors normes", j'ai l'impression.
Lyna Khoudri enchaîne les rôles: elle est peut-être à l'aube d'une belle carrière.
27 ans et un César du meilleur espoir: les plus belles choses restent sans doute à venir.
Je n'ai pas encore eu l'occasion de découvrir Papicha mais j'ai trouvé l'interview très intéressante !
Ravi que tu t'y retrouves, Tina de nuit ! C'était sympa et original, cette formule.
Je ne regrette qu'une seule chose: ne pas avoir pu retranscrire les propos des deux autres actrices.
"Papicha" est un film qui vaut le détour, je trouve. Tout comme "Le repenti", évoqué dans l'interview.
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