vendredi 20 mars 2020

Roc, pic, cap, péninsule...

Vous l'avez sans doute remarqué si vous êtes intéressés par le sujet et/ou attentifs: je n'ai guère abordé le sujet des César cette année. J'y reviendrai peut-être, car la direction de l'Académie a démissionné en bloc il y a un mois - ce qui pose quelques questions pour la suite. Bref... pour aujourd'hui, passons: je veux vous parler d'autre chose...

Pourquoi diable cette introduction ? Parce que je voulais évoquer l'un des deux films ayant gagné le plus de compressions dorées: Cyrano de Bergerac, dans sa version cinéma sortie en 1990 (trente ans !). Faut-il que je fasse les présentations ? Au cas où, je rappellerai juste que Cyrano - personnage réel ayant vécu de 1619 à 1655 - a acquis une incroyable dimension mythique depuis qu'à la fin du 19ème siècle, un dénommé Edmond Rostand en a fait un personnage de théâtre truculent, porteur d'un certain esprit français. C'est simple: je vénère ce héros et j'adore la pièce, tant la langue que l'auteur a utilisée s'impose comme un délice pour mes oreilles. Et j'applaudis avec force ceux qui ont choisi Gérard Depardieu pour jouer ce rôle légendaire ! Ici, je juge l'acteur excellent. Et j'ajoute: sur l'ensemble de la gamme.

Cela mérite une explication pour qui l'ignore encore: haut en couleurs si ce n'est arrogant, Cyrano est en réalité un personnage complexe. Derrière son grand nez et son indéniable verve, il cache une blessure secrète: l'amour qu'il porte à sa cousine et la conviction absolue qu'elle ne partage pas ses sentiments. Une plaie intime décuplée lorsque la belle Roxane, en confiance, lui avoue qu'elle s'est éprise d'un autre homme: un certain Christian de Neuvilette, qu'elle charge Cyrano de prendre sous son aile, puisqu'ils sont tous deux... soldats du même régiment royal. Le chevaleresque cousin fera bien "mieux" que cela dans un premier temps: il aidera son innocent rival à gagner de l'assurance et, du même coup, à lui enlever la femme qu'il aime. Assez de détails sur l'histoire elle-même: je veux dire sans tarder combien Anne Brochet et Vincent Perez me plaisent dans ces rôles d'amoureux juvéniles. Oui, leur absolue candeur les rend admirables !

Vous dire aussi que Cyrano de Bergerac, c'est plein d'autres choses. Puisqu'il est aussi question de départ à la guerre, c'est une fresque épique de très haut vol, déjà admirable sur scène, mais que le cinéma enrichit encore grâce à des scènes extérieures des plus virtuoses. Incroyable force du film d'aujourd'hui: il n'est jamais tape à l'oeil. J'imagine qu'il a dû coûter cher, mais cette probable grosse somme d'argent a été bien utilisée: tout est magnifique et nous transporte dans la France du roi Louis XIII d'une manière tout à fait crédible. Autant vous le redire: j'aime décidément ce type de reconstitutions. Les historiens rigoureux pointeront sans doute des anachronismes ici et là, mais face à une telle poésie visuelle, cela m'importe très peu. Cerise sur le gâteau: outre les dialogues, le son et la bande musicale restent de vraies merveilles, même après trois décennies complètes. Trouve-t-on un meilleur ambassadeur pour le cinéma français ? Euh...

Le destin est malicieux: le Cyrano du théâtre est pratiquement apparu en même temps que le cinématographe, ce qui leur a de fait permis de se rencontrer. Et à une époque où les films étaient muets, oui ! Selon moi, c'est également la grandeur du long-métrage d'aujourd'hui que d'offrir quelques silences évocateurs, où l'émotion et le plaisir qu'elle fait naître ne passent donc que par les seules images et le jeu des comédiens. Le travail d'adaptation a été si soigné que l'on oublie totalement que les vers de l'oeuvre originelle ont été modifiés parfois et évidemment raccourcis - le film durant un peu plus de deux heures génériques compris et la pièce... j'en compterais trois, au bas mot. Sacrilège ? Que nenni: l'esprit demeure (et c'est bien là l'essentiel). Tenez, un aveu: tout cela m'a mis les larmes aux yeux. Une émotion vive, sachant que je n'avais plus vu le film depuis sa sortie en salles. Bien au-delà du cinéma, un très haut sommet du patrimoine national !

Cyrano de Bergerac
Film français de Jean-Paul Rappeneau (1990)

Oui: cinq étoiles pleines et entières pour un in-con-tour-nable. Qu'ajouter ? Que j'aimerais aussi revoir la pièce dans un théâtre d'ici ou d'ailleurs. Et, qu'en attendant cela, je me rabattrais bien volontiers sur d'autres adaptations ciné. Une suggestion: vous frotter au Cyrano sans parole et en couleurs, un bel hommage italien remontant à 1923. Ou alors, tiens ! Tenter l'ascension de la légende par la face Edmond !

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Au fait, une précision...
Au total, le film a remporté dix César: un "record" qui tient toujours et qu'il partage avec Le dernier métro, grand cru du millésime 1981 !

Vous en voulez encore ?
Ce sera avec plaisir que vous lirez la chronique de "L'oeil sur l'écran".

6 commentaires:

cc rider a dit…

Fan de Cyrano , j'ai une tendresse toute particuliére pour la version tournée par Claude Barma en 1960 et diffusée sur la seule chaine de la RTF de l'époque le soir de Noël de cette même année. Dans le rôle titre l'immense Daniel Sorano , dont l'interprétation tout en finesse est pour moi l'une des meilleures avec celle de notre ami Gérard, on reconnaît même un tout jeune Noiret dans le rôle de Ligniére....Édité en DVD par l'excellente collection de 'INA, un must à voir et revoir en ces périodes de confinement

Pascale a dit…


Ah enfin un cinq étoiles ! Et comme je suis d'accord.
Cyrano est mon personnage de la littérature préféré et la tirade des "non merci" je l'aime à la folie.
Ce film est admirable en tout point. Tout y est à sa place et je tape des mains pour l'ensemble du casting. Avec un Gégé au sommet de son panache.
Les deux jeunes sont merveilleux. L'interprétation de Roxane par Anne Brochet qui n'en fait pas une sotte écervelée est éblouissante.

Je l'ai vu sur scène (2 fois) lorsque je vivais à Paris avec Jacques Wéber juste quand il a perdu sa voix. Il jouait un merveilleux Cyrano que j'étais allée attendre à la sortie du théâtre. Dans le film il est tout aussi formidable en De Guiche (de mémoire). Je le revois perdre presque connaissance sur le front à Arras...
J'espère que je l'ai en DVD car tu me donnes très envie de le revoir.
Par contre j'ai la BO en CD, un coup de maître.

une fresque épique de très vol

Martin a dit…

@CC Rider:

J'aimerais bien voir cette version de 1960 dont vous parlez. Merci de le faire !
Noiret est taillé pour les rôles en costumes: je suppose que celui de Lignière lui va bien.

Martin a dit…

@Pascale:

Merci pour la relecture: c'est corrigé !

Oui, un cinq étoiles, car revu une nouvelle fois avec une émotion accrue !
La tirade des "Non, merci" est géniale, à l'image de toute la pièce, finalement.

Gégé, inutile d'en rajouter !
Je m'étonne qu'Anne et Christian aient plus ou moins disparu des écrans...

Au théâtre, j'ai vu moi aussi la version Wéber quand j'étais enfant. Souvenir flou.
Content de te donner envie de revoir le film... que tu pourrais peut-être chroniquer ?

Strum a dit…

Tout à fait d'accord Martin ! Un très grand film, le plus beau de Rappeneau.

Martin a dit…

C'est sans doute son meilleur, en effet.
Reste que j'aimerais vraiment bien revoir "Le hussard sur le toit".